“Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares” (Îmi este indiferent daca în istorie vom intra ca barbari ) (2018) 7/10

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Un demi-film ou une demi-réalité sur les difficultés de réalisation d’un évènement commémoratif en Roumanie.

Et le sujet n’est pas des moindres puisqu’il s’agit de crimes génocidaires avec la participation très active des dirigeants de ce pays. Le point culminant étant le massacre de Juifs à Odessa, mais aussi des Roms, en 1941.

Et il est dit dans le récit, que la Roumanie aurait été alors le deuxième pays le plus massacreur d’ethnies après le Reich. On parle là de 380.000 meurtres en tout et de 20.000 à Odessa.

D’ailleurs les dignitaires nazis, qui a cette époque n’étaient pas encore dans la phase aiguë de la solution finale, se seraient inquiétés que leurs amis roumains tuaient plus vite qu’ils ne pouvaient enterrer.

C’est un passé largement occulté par cette nation. On note d’ailleurs un silence analogue dans de nombreux pays d’Europe où il s’est déroulé le même genre de compromissions. La France n’est pas en reste. On préfère mettre l’intégralité de la faute sur l’occupant. C’est plus commode.

Dis comme cela, on s’attend à une tristesse convenue et de la repentance. D’où la tentation de zapper. Et ce d’autant plus que le début peut sembler long et un peu ennuyeux.

Mais il faut rester devant sa télé, car c’est bien plus intéressant que cela. Le docu-fiction-happening tient de la Nuit américaine de Truffaut. En ce sens, qu’en nous montrant les rouages grinçants de la mise en place du spectacle, les atermoiements, les freins de toutes sortes, on nous fait sentir les multiples enjeux et mises en cause que cela présuppose.

Les conflits sont du côté de ceux qui voudraient la paix et l’oubli raisonnable comme de ceux qui au contraire sont dans l’effroi et la nécessaire prise de conscience. Il n’y a pas de parfaite vérité.

Et comme dans le film de Truffaut, les problématiques personnelles – actuelles – viennent compliquer le tout. Ici, celle qui tient l’ensemble à bout de bras, vient d’apprendre qu’elle est enceinte d’un pilote d’avion qui est marié et qui n’a pas du tout envie d’assumer sa paternité. Et le caractère de ce bouillonnant bout de femme n’est pas toujours facile. Ioana Iacob, cette actrice de la minorité linguistique allemande, en est l’excellente interprète.

Mine de rien, grâce à l’habile succession des circonstances, les questions posées assez directement à l’écran, sont simples et lumineuses.

  • Est ce que d’en parler maintenant aidera au plus jamais cela ?
  • D’où parle-t-on ?
  • Qui est-on pour s’arroger le droit d’en parler ou de ne pas en parler ?
  • Qui connaît les massacres d’aujourd’hui ?
  • Est-ce que ceux qui ne l’ont pas vécu ne commettent pas d’anachronisme en traitant ce sujet ?
  • Quid de la compétition victimaire et/ou du relativisme ?
  • Quelles sont les nouvelles manifestations de la haine raciale ?
  • Où sont les bons signaux ? Banalité du mal ou rictus révélateur du méchant ?
  • L’indifférence voire le repli sur ses propres valeurs communautaires sont-ils vraiment le lit du racisme ?
  • Les « spécialistes » médiatisés de ces questions sont-ils totalement neutres et fiables ?
  • L’histoire écrite par les vainqueurs ?
  • Quid de la nécessité d’un bon roman national ?

Comme c’est pour la bonne cause, celle de la prise de conscience, on est sommé d’être attentif, de garder les yeux et l’esprit bien ouverts.

Mais pas trop, car comme on le verra au final, le public de l’évènement est passablement dissipé.

Il applaudit à tort la pyrotechnie. Or celle-ci consiste à brûler une baraque supposée contenir des victimes vivantes. Et c’est vrai que le feu fascine au-delà du raisonnable.

En bons patriotes, les badauds fêtent les soldats roumains, dans ces formations d’époque. Alors que ces figurants symbolisent ceux qui vont commettre l’irréparable. Ils conspuent les soldats soviétiques et sont étonnamment silencieux devant les uniformes SS.

Entendez par là que le public de maintenant ne comprend pas grand-chose à la démonstration, comme sans doute celui d’hier n’a pas compris clairement ce qui se passait en 1941. Et dans ce climat général de racisme sans limite, il a été facile de le faire hurler avec la meute ou bien juste d’amener à ce qu’il se taise ; ce qui n’est pas bien différent.

Dans ces circonstances, la passivité est souvent un mal bien plus dévastateur – car plus répandu et plus dur à identifier – que l’action perverse et orchestrée. “Je crains plus le silence des pantoufles que le bruit des bottes” Sentence lumineuse de Max Frisch, quand Hitler a pris le pouvoir.

Pour le bruit de bottes, on a quand même une partie du sinistre discours du maréchal Antonescu, qui valide clairement les exactions : “Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares…

En montrant les rouages de la réalisation, il y a donc un parti pris ici de la vérité toute nue. Elle s’exprime « métaphoriquement » dans le fait qu’on voit un couple au lit totalement à poil. L’homme, dont le corps n’est pas parfait, exhibe son engin sans aucune gène. C’est assez dérangeant mais moins que ces corps décharnés entassés dans les camps.

De la même manière on nous montre très longuement une photo d’époque, avec des pendaisons obscènes. Mon dieu que ces cous sont allongés par le supplice ! Strange fruits pour le moins. Qu’on enlève cette photo, que cela cesse !

Le réalisateur Radu Jude arrive à nous faire tenir 2h20 !

Décidément ce nouveau cinéma qui vient de toutes les directions de l’Europe, est prometteur ! Le cinéma français est lui en état de mort cérébrale.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Peu_m%27importe_si_l%27histoire_nous_consid%C3%A8re_comme_des_barbares

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