Digression personnelle sur le thème de la liberté.

Temps de lecture : 6 minutes

Ce texte fait suite à la critique du film A nous la liberté ! (1931) 6/10 https://librecritique.fr/?p=2302

Une jeune femme avec qui j’ai vécu et que j’apprécie toujours, m’a dit récemment ceci : « … tu as de la chance dans la vie, tu peux aller n’importe où et vivre où te veux. »

Elle a touché là un point fondamental. Cela mérite qu’on y réfléchisse un peu.

C’est vrai qu’en ce qui me concerne, tout au long de ma vie, j’ai privilégié la liberté.

Dans mon travail, rapidement je n’ai eu personne qui me dise quoi faire. Je n’aurais même pas accepté un égal qui dirige avec moi. Et cela a été une très grande chance pour moi de pouvoir me le permettre.

C’est sans doute en rapport avec mon caractère contemplatif. Je n’ai aucun problème avec le fait d’être seul avec moi-même, et d’être mon propre maître, bien au contraire. J’apprécie le silence et la réflexion personnelle qu’il favorise grandement.

Je déteste les ordres comme la plupart d’entre nous. Et ensuite j’aime bien au contraire exercer de pleines responsabilités, sans entraves. Bien que cela ne soit pas si facile et si drôle que cela, en réalité.

Ce qui est plus important, c’est que j’ai pu développer des méthodes parfaitement adaptées à ce que je voulais. Cela m’a pris du temps, mais cela m’a beaucoup plu. Je peux même dire que souvent je me suis amusé en me confrontant avec des sujets aussi arides en apparence que la logique et l’informatique. J’ai eu le sentiment plusieurs fois de vivre en avant de mon époque. Ce qui est grisant.

J’ai évité à chaque embranchement ce qui pourrait limiter les possibles.

Et en théorie, j’ai pu aller au travail quand je voulais. Mais la contrepartie de cette « liberté », c’est que je me suis aussi enfermé dans un système « propriétaire » que je ne pouvais ni partager ni transmettre. Et comme la quantité de travail a fini par être considérable, même en étant libre de mes horaires, j’étais quand même contraint de travailler tous les jours. Et ainsi l’homme supposé libre que je suis n’a pas pris de vraies vacances en 35 ans.

J’ai toujours considéré que ce qu’on accumulait risquait de disparaître du jour au lendemain. Et je suis de plus en plus sûr que c’est vrai. Rien n’est vraiment acquis, ce qui est à prendre en compte pour qui veut se prétendre libre. Moins d’attaches concrètes et moins de freins ? En dehors du professionnel, je n’ai rien construit de concret. Je n’ai même pas cherché à améliorer ou préserver la maison que j’occupe. Je suis toujours dans cet esprit d’un possible naufragé qui garde sur lui juste de quoi s’en sortir sur une île déserte. Et donc là maintenant, j’ai en théorie de quoi bien (sur)vivre pendant mes vieux jours.

Dans ma vie privée, j’ai aussi choisi une certaine liberté. J’ai toujours évité les attaches irréversibles. Je n’ai jamais été marié. J’avais trop vu autour de moi, ces couples qui se haïssaient car ils étaient obligés de rester ensemble. Et puis les êtres qu’on aime méritent d’être aimés en toute liberté, sans aucune arrière pensée. Et sans doute qu’on peut aimer plusieurs fois, sans calcul, juste parce que c’est notre destin. Et ce serait bien malheureux que quand on change de direction, on doive forcément couper les ponts. La liberté ne signifie pas bien sûr une totale autarcie sentimentale.

D’ailleurs chaque fois que j’ai été sérieusement en couple, j’ai été étonnamment fidèle (si on considère les nombreuses personnes que j’ai fréquenté en dehors de ces longues périodes). Et la séparation, n’a jamais été le fait d’une autre personne. Comme c’est habituellement le cas pour de nombreuses ruptures. Je n’ai pas pris la précaution de chercher avant. Je me suis juste fié à ma liberté.

Reste la question des enfants. Ce n’est pas une question simple que de mettre sur le même plan ses enfants et sa liberté.

Certaines mères par exemple, n’ont que ce cap en vue. Il leur faut impérativement des enfants. C’est la nature qui le commande. Ce n’est donc pas vraiment une liberté. Et à partir de là, toute leur vie va être dirigée par cela. Elles doivent apporter leur protection et leur soutien à ces petits qui en ont bien besoin. Mais cette aide va durer toute la vie. Mais les mères exigent en retour l’amour indéfectible de leurs enfants, qu’elles pensent tout aussi naturel que le leur. Ce qui pose parfois problème lors de l’adolescence et après, quand ils veulent leur indépendance. La liberté des uns s’arrête là où commence la liberté des autres, selon la formule consacrée.

Il y a aussi quelque chose de curieux qui peut gouverner les relations mère enfant(s). C’est l’idée que les enfants vont venir au secours de leurs parents, une fois que ces derniers seront vieux avec des difficultés. Un peu comme du donnant/donnant. Je vous ai aidé jadis, maintenant c’est à votre tour. Et même si cela semble logique, je n’ai jamais pensé que je puisse en être un jour là. Sans doute est-ce pour moi un prolongement de cet impérieux désir de liberté et que je n’arrive pas à m’imaginer ce que je serai en vraiment diminué. Certains états sont des prisons. Fini les discours sur la liberté.

Pour les pères, c’est aussi un devoir évident et une attitude très naturelle que de soutenir ses enfants. Ils le font souvent sans avoir à abdiquer leur liberté. C’est pourquoi la séparation d’un couple avec enfants est plus facile pour un homme. L’amour d’un père avec ses enfants est quelque chose de plus rationnel, de plus réfléchie et donc plus désincarné. Les étapes à franchir sont très différentes qu’avec une maman. Un père doit être sacrifié symboliquement pour permettre à ses fils d’être des hommes à part entière. Il ne le fait pas volontiers car il a toujours en tête que ses fils ou filles peuvent faire des écarts dangereux et qu’il doit être là pour les aider.

Et donc avoir des enfants, limite un peu les choix que l’on a dans sa vie, mais pas fondamentalement, si l’on sait avoir le recul suffisant. Et puis à un certain moment les enfants sortent du nid et les parents peuvent se considérer comme parfaitement libres à nouveau.

En ce qui me concerne, cette liberté à peu près pleine et entière, dans le travail, dans les attaches, dans la famille, survient assez tard. Mais elle est bien là, en effet.

Et maintenant ?

C’est la grande question.

Chacun des choix que je serais amené à faire me paraîtra limiter ma liberté à nouveau. C’est pourquoi, bien qu’il aurait été logique que j’arrête de travailler en cette fin 2020, j’ai continué. J’avais peur du vide, peur de m’ennuyer et peur de la fatigue de toutes ces questions à régler quand on cesse son activité.

Mais c’est aussi pourquoi je regarde ici ou là. Comme si je cherchais un bon prétexte pour partir. Comme par exemple en regardant sur Internet ces maisons de rêve au Costa-Rica.

Mais je sais que ce rêve n’est pas forcément réaliste. La liberté n’a de sens qu’en opposition aux contingences. C’est un mouvement d’émancipation plus qu’un état. Je n’ai pas le sentiment, que de regarder toute la journée l’Océan Pacifique, soit un bonheur en soi. Il faudra forcément reconstruire patiemment une relation. Le monde n’a de sens que quand il est vécu au moins à deux.

C’est un sacré pari que de changer totalement d’endroit et de culture et de penser qu’à mon âge, ce sera facile de trouver la bonne personne là bas. D’autant plus que je suis exigeant généralement.

Je devrais être plus confiant. En effet, je suis surpris qu’à mon âge respectable, je n’effraie toujours pas les dames, au contraire. Elles se sentent très à l’aise avec moi. Et même de très jolies jeunes femmes me sont relativement faciles à séduire. Mais un peu plus dures à garder que dans le temps. Il y en a que j’ai fréquenté en long et en large. Et bien qu’elles m’aient fait des déclarations amoureuses enthousiastes, elles ont parfois disparu dans la nature, sans donner vraiment d’explication. Mais jamais tout à fait cependant, souvent femme varie…

Dans ce domaine, j’ai sans doute perdu un peu de mon pouvoir et/ou de mon attrait. Mais je pense surtout que ses dames ont davantage senti mon manque d’entrain à m’engager. Elles ont pensé que cette frontière était désormais irréversible. Par le passé, elles auraient eu plus d’espoir de me convaincre de changer d’avis.

Nous les hommes, particulièrement ceux qui ont du tempérament, sommes très impatients et tous phares allumés. On nous voir venir de loin. Nous n’aimons qu’elles nous fassent attendre. Alors qu’elles au contraire ont été dotées d’une certaine facilité à se mettre en veilleuse. Elles ont besoin de nous éprouver avec cet avantage stratégique là. Mais l’âge donne aussi aux hommes une capacité à surseoir, si l’espoir est raisonnable. Sans doute flairent-elles cela et se sentent-elles moins sur leur terrain. Et donc cela les amuse moins.

Et les femmes sont comme cela, que les choses ne sont jamais complètement au premier degré. Et si on leur dit qu’on veut rester libre, elles comprennent que c’est juste une assertion qui vaut pour l’instant présent. Et que tous les espoirs restent permis.

Sur la même musique, si elles vous disent qu’elles vous aiment pour toujours, cela signifie juste qu’elles vous apprécient énormément à cet instant présent. Il faut toujours interpréter.

Je ne suis pas trop inquiet dans ce domaine. Ma stratégie « libertaire » fait que je retombe quand même toujours sur mes pieds. En amour, quoiqu’on dise, ce n’est jamais aussi grave que cela.

Et puis de partir « libre » de l’autre côté de la terre, c’est prendre le risque d’un « loin des yeux, loin du cœur » avec ceux auxquels on tient et qui resteraient ici. Je ne suis pas si libre que cela.

Outre la famille, quelques amitiés sincères et de nombreux problèmes encore à régler, me retiennent aussi.

Et donc, il n’y a pas de conclusion pour le moment.

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