Amarcord (1973) 8.5/10 Fellini meilleur historien

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Bientôt 50 ans pour ce chef-d’œuvre intemporel. Plus de 2h de pur bonheur.

Le coup de génie de Fellini, c’est d’avoir su trouver une nouvelle forme d’expression cinématographique parfaitement adaptée au grand art ancestral du récit. On parle du style inimitable du maître, alors qu’en réalité il s’agit une nouvelle voie, qui devrait être empruntée par d’autres.

Allez, allez, ne soyez pas tétanisés, jeunes et moins jeunes réalisateurs ! Lancez-vous ! Mais où sont-ils donc ?

En quoi consiste cette nouvelle façon de faire ?

D’abord, il est inspiré par la grande tradition orale immémorielle, mais dont l’antiquité nous a donné des traces écrites.

Ce sont ces chants épiques qui retracent l’histoire des hommes, des tribus mais aussi de certains aïeux plus clairement identifiés.

Ce sont de longues sagas, pleines de tribulations, et il n’y a donc aucune raison qu’on surcharge. On prend son temps, on fait les choses avec méthode.

Fellini a compris très tôt qu’il n’y avait tellement besoin de suspenses incessants. Il n’y a pas de raison de susciter des tensions nerveuses inutiles. Il n’y a pas d’esprit moralisateur et/ou punitif non plus. Comme dans l’épopée où c’est plutôt le destin qui mène les affaires. Et donc à quoi bon s’énerver, même quand le monde vous tombe dessus.

C’est en fait quasiment une posture d’historien. Il y a de la hauteur et du recul et parfois même cette étonnante bienveillance du savant qui en a déjà trop vu pour juger.

Quand il montre le fascisme, ce n’est pas comme d’habitude, par ses côtés le plus révoltants et les plus sombres. Ici 99 % de la population sont inscrits au parti. C’est du fascisme des campagnes, pour ainsi dire bon enfant. Du fascisme de gens qui pètent et qui rotent sans voir le mal.

Non ici, c’est un défilé de fascistes en tenue et qui courent. Un ridicule à peine palpable et qui ne doit surtout pas faire rire ouvertement les spectateurs d’alors, sous peine d’être punis. Mais une image qui en dit déjà long sur le factice de ces personnages fourvoyés.

Ou bien c’est une scène où le pauvre chef de famille, qui n’a pas assez montré d’enthousiasme pour le Duce, doit boire la très purgative huile de ricin. Cette humiliation/torture à minima, orchestrée par des n’importe quiest plus réelle, plus proche de monsieur tout le monde, que ces épisodes de torture extrêmes, qu’on nous montrent habituellement et qu’on finit par croire d’un autre monde, que celui des encore possible.

Le fascisme c’est aussi la destruction de l’individualisme en faveur d’un supposé idéal collectif. L’état tout puissant vous dit quoi faire, vous êtes pour eux des enfants. Souvent d’ailleurs cette autorité ne fait que de se substituer à d’autres tutelles, ou les compléter. Ce furent la féodalité et l’emprise du clergé.

Et sans doute que le côté contemplatif de Fellini, son non-interventionnisme, a à voir avec cette culture politique là, qui favorise la docilité. Ça laisse des traces.

Et c’est Nino Rota qui se charge de la ligne mélodique. Il nous compose cette petite musique de la vie, qui souligne si simplement et si sûrement quand le moment est important – mais cela on le faisait déjà -, et qui nous accompagne quand la vie reprend son apaisant cours normal. C’est la macrocosmique musique des sphères (ou une valse de Vienne dans Kubrick) déclinée en joie triste dans nos vies microcosmiques.

Une autre particularité réside dans ces gens qui se parlent, tout en conversant le plus souvent plutôt avec eux-mêmes, mais à haute voix. Quand ils dialoguent vraiment, c’est à dire s’échangent, alors ce sont soit des invectives violentes, soit des approches amoureuses pressantes. Ce qui illustre de manière criantes les relations entre les hommes. Celles qui sont plus souvent faites d’additions d’intérêts personnels, et parfois de crises, qui incitent à s’éloigner ou à se rapprocher – l’un ou l’autre le plus possible.

C’est la même chose dans ses habiles chorégraphies de gens qui marchent ensemble. Ou plutôt, ils vont dans tous les sens, dans un espace circonscrit où ils ont accepté de se joindre au groupe, comme à la fête de mariage en plein air. Mais une fois réunis, ces êtres fondamentalement solitaires, ne font que de se croiser prudemment, sans jamais se rencontrer. Et quand ils sont en deçà de leur zone de sécurité ils se mesurent les uns aux autres. Soit ils s’évitent dans le ressentiment, soit ils tendent à se rapprocher par le désir. Il n’y a pas de demi-mesure, hors l’hypocrisie.

Bien entendu, d’autres cinéastes ont déjà montré cette danse éternelle, mais Fellini qui sait y adjoindre tous les ingrédients – dont la fameuse musique – et qui sent sans doute cela mieux que d’autres, le fait avec un incroyable talent. Ces scènes se suffisent à elles-mêmes tellement elles en disent long sur la nature humaine.

Le récit souligne le trait et c’est bien normal. D’ailleurs il a commencé dans la BD et la caricature.

Quand les vieux profs montrent leurs tics, c’est net et sans bavure. La ligne claire en quelque sorte. Ce sont des cas. Mais rappelez-vous de votre école primaire, vous les voyiez comme cela aussi, avec ces traits distinctifs qui vous apparaissaient gros comme une maison. Alors que maintenant vous en souriez et cela ne vous touche plus qu’à peine.

Il en est de même de si nombreux caractères au village. Chacun est amplifié au point de remplir toute notre attention, à chaque fois. C’est comme cela qu’on voit les choses quand on est gamin.

Et pour l’amour c’est encore pire. Il y en a partout. La Gradisca est la femme inatteignable (notre Magali Noël). Tous les yeux sont rivés sur elle. Les hommes en raison de leur désir, les femmes par jalousie. L’adolescent ne pense qu’à cela. Il en faut toujours une comme cela. L’homme est ainsi fait, qu’il détermine dans son petit enclos, une hiérarchie absolue des êtres. Cela se relativisera fortement quand il s’extirpera de sa bourgade ou de son quartier.

Même la prof de math hautaine et un brin trop mûre devient un objet érotique virtuel. Et que dire des fantasmes sur les fesses d’un ange en statue ou sur les énormes seins de la buraliste.

Il y a bien cette fille perdue, la Volpina, une jeune folle qui cherche des hommes en permanence, mais qui porte tant de stigmates, qu’elle n’est plus si humaine et n’intéresse guère. De cet apparent paradoxe d’une femme offerte à tous mais dont personne ne veut, il ressort que ces hommes attendent plus qu’une fugace relation sexuelle avec n’importe qui. Ils veulent s’élever avec leur désir.

Les outrances familiales prennent une grande place également. Et c’est forcément ainsi. Armando Brancia nous fait un père de famille sanguin, qui doit être toujours à deux doigts de la crise cardiaque. Pupella Maggio incarne cette mère qui ne cède rien à son mari. Les deux crient de concert, en permanence, mais sont inséparables. Les gosses se planquent.

Il y a plein d’intéressants acteurs secondaires, souvent des gueules, qui donnent une image très vivante de cette petite société.

Un personnage particulier mérite notre attention. C’est l’oncle fou interprété par Ciccio Ingrassia et que l’on sort de temps en temps de l’asile pour une promenade. Les soignants leur disent qu’il va mieux, mais une fois dehors, il fait quand même des frasques insensées. C’est beau de voir cette combinaison de sympathie familiale et de désespérance. Sans doute un des rares moments de profonde humanité sans trop de distance, où malgré les apparences, on n’a pas besoin d’en rajouter tant que cela.

Quelques évènements marquent le calendrier et ont valeur de repères partagés. L’arrivée des premiers pollens, le passage du transatlantique, les mariages, les décès, le fête du Duce…

Je ne suis pas sûr de m’être hissé au niveau des chevilles de Federico en ayant écrit cela. C’est un premier jet, que je vais reprendre et reprendre. Cent fois sur le métier… il mérite bien cela.

En ce qui concerne la note de Huit et demi (Otto e mezzo) que j’ai attribué, je pense que les cinéphiles apprécieront.

– Oscar du meilleur film étranger, ce qui montre bien que cette façon de raconter transcende toutes les barrières, même celle de la langue.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Amarcord


Bruno Zanin

Pupella Maggio
Armando Brancia
Giuseppe Ianigro
Envoi
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