American Beauty (1999) 8/10

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Quand le film s’arrête, la majeure partie d’entre nous restent bouche bée. On vient d’assister à quelque chose de grand, de très grand. On le sait très bien.

C’est une œuvre éminemment poétique, au sens le plus noble du terme. C’est à dire un seuil symbolique très élaboré, presque hermétique, et qui permet à certains un passage vers l’ailleurs.

  • Ce film puissant et dense est inscrit dans un cadre formel très travaillé. Il est basé sur une esthétique multidimensionnelle. Dont la beauté des images, la musicalité et le rythme, l’intensité des émotions, les métaphores et les détournements de scènes primordiales.
  • Cette intense expressivité suggère un sens profond et caché, qui se trouverait au-delà des simples routines. Pour former un tableau complet, elle a nécessité de la récursivité et de la cohérence.
  • L’idée de ce travail étant de dépasser le commun, ce qui est véhiculé par les mots de tous les jours et les situations ordinaires, pour se rapprocher d’un ailleurs, de toute façon inatteignable, de « ce que l’homme a cru voir ».

D’ailleurs un jour ou l’autre, on peut être amené à voir comme ça.

  • Cette petite vidéo diffusée deux fois, et qui à première vue ne montre qu’un sac en plastique qui virevolte, est le vrai centre de gravité. Elle nous révèle, à nous aussi, la formidable légèreté de l’être.
  • Il m’a fallu visionner le film plusieurs fois, à différentes époques, pour enfin le ressentir très clairement comme cela. Peut-être est-ce cette fameux Dharma body dans une scène ordinaire, comme en témoigne Huxley, dans les portes de la perception.

Comme pour un poème, il faut se garder de trop analyser et de disséquer. Faute de quoi toute la subtilité risque de s’évanouir.

Mais revenons sur terre un moment. C’est aussi une histoire.

Dans cette banlieue, façon « desperate housewives », et comme d’ailleurs dans de nombreuses collectivités, personne ne se supporte vraiment. Les civilités d’usage ne sont que des faux semblants. Chaque voisin contient une menace. Quelques rituels tentent d’apaiser cette angoisse sourde.

  • Comme ce couple homo qui ramène une corbeille pleine de cadeaux à ce colonel à la retraite, si straight, qui vient de s’installer avec son fils.

La machine à broyer les originalités a fait son œuvre. La plupart se cantonnent prudemment à maintenir les apparences. Mais derrière les façades, il y a des désirs inassouvis, des destins brisés, des rancœurs.

Il y a d’abord ce monsieur de la quarantaine interprété par Kevin Spacey. Lui, plus que les autres, a fini par être mangé par le système. Autour de lui, il ne rencontre plus que du mépris.

Doucement mais sûrement, son couple est devenu un enfer. Sur ses épaules on a fait reposer une sournoise culpabilité, sans réelle cause. Il n’est plus le conjoint aimé, loin s’en faut. Et même sa fille adolescente a pris ses distances. Il est sur le point d’être licencié au boulot. On pourrait dire qu’il est au bout du rouleau.

Un désir profond pour la copine de sa fille va le réveiller. Il est attiré irrésistiblement par cette jeunette frimeuse jouée par Mena Suvari. Il se fait des plans. Sa fille s’inquiète.

A partir de là, il s’ébroue et progressivement il regagne le terrain perdu. Du personnage passif et fataliste qu’il était, il redevient un homme maître de son destin. Une véritable révolution.

Il négocie habillement, chantage à l’appui, un licenciement très bien indemnisé. Par ailleurs il prend volontairement un emploi subalterne, sans responsabilité, dans un apparenté McDonald du coin. Il est plus heureux comme cela. La scène du recrutement est habile.

A la maison, il tape du point sur la table. Il n’est plus désormais celui qui dit oui à tout. A présent, il n’est tenté de faire que ce qu’il désire vraiment.

Il se remet à la gym pour les beaux yeux de la gamine. Il tente un rapprochement avec sa propre fille. Mais pour sa femme, c’est peine perdue.

L’épouse est un femme entre deux âges. Un caractère bien interprété par Annette Bening. Elle est malheureuse en ménage et aigrie. Du point de vue professionnel, cela n’est pas brillant non plus. Elle est agent immobilier. Et sa petite entreprise ne fonctionne pas bien. L’épisode où elle fait visiter une maison est terrifiant. Elle voudrait que sa carrière redécolle. La réussite sociale est pour elle plus important que tout.

Son concurrent a énormément d’avance sur elle. Il s’agit de l’autoproclamé roi du real estate.Un self made man bien inscrit dans le rêve américain. Sourire carnassier, ambition démesurée, avec le fameux credo de la force de la volonté. Un petit Trump. Un rôle qui va comme un gant à l’insolent Peter Gallagher.

L’épouse fait une fixation sur ce bellâtre, qui lui semble l’archétype de la réussite, le but ultime. La chance lui sourit. Elle finit par avoir une idylle avec ce mentor. Et elle va même partager sa passion des armes à feu.

Mais quand ils sont découverts, le champion manque de courage et préfère renoncer à ces rencontres. Elle ne comptait pas vraiment. Elle tombe de haut.

Le colonel à la retraite vit avec son fils et ses souvenirs. Il est difficile de faire un militaire plus borné. Mais cette rigidité ne choque pas l’Américain moyen. Il prend cela au contraire pour une qualité.

Il tance régulièrement son fils unique pour des broutilles. Il lui file de violentes corrections, comme par exemple quand le jeune déplace une assiette SS de sa collection. Ce serait pour son bien.

Le vieux soldat est un psychorigide de la pire espèce. Le plus grand péché pour lui c’est la drogue, et il fait faire des tests d’urine réguliers à son fils. Il l’a fait enfermé deux ans dans un établissement psychiatrique. Et le gradé redoute aussi l’homosexualité.

Son fils est un caractère à part. Ce grand gaillard entretient en fait un business très lucratif de petit dealer. Il travaille sur le premium. Mais il arrive à maintenir l’image d’un fils docile. Ces yeux sont rivés sur l’ailleurs. Ce qui permet une interprétation de premier plan pour Wes Bentley.

Cet être étrange passe son temps à filmer en vidéo des scènes de la vie qui lui paraissent significatives. Il est passionné par la mort. Un pigeon crevé sera un de ses sujets. Mais il observera de très près le défunt abîmé de la fin du film, avec un sourire étrange.

Et bien entendu, il passe pour un tordu dangereux au collège. De la graine de tueur en série, pour ceux qui ne manquent pas d’associer la fascination des animaux morts, avec les premiers pas de ce genre d’assassin. Le spectateur est troublé aussi par ce déterminisme supposé et dans un premier temps, ce voyeur morbide est mal vécu.

La fille du couple, incarnée par Thora Birch, et ce garçon, vont rapprocher leur solitude. Un lien très intense va finir par les unir. Cette rencontre atypique donne de très belles scènes, loin des sentiers battus. Roméo et Juliette échapperont à la pesanteur.

La copine qui joue à la coquine affranchie, se jette finalement dans les bras du papa. Mais quand elle avoue que c’est en fait une première fois, le vieux qui la désire pourtant plus que tout, se détournera. Il l’épargnera.

On assiste à un autre moment fort. Le soldat paranoïaque est troublé par ce papa qui fait de la musculation torse nu dans la maison d’en face, notre personnage principal. Il va venir le voir sous la pluie, totalement déboussolé, quasi muet et tentera de l’embrasser très maladroitement… On ne s’attendait pas à cette homosexualité refoulée. C’est une scène d’une incroyable d’intensité, où le vieux Chris Cooper est remarquable. Un grand moment de cinéma.

L’issue finale permettra à l’âme du personnage joué Kevin Spacey de s’envoler.

  • A noter que l’acteur a eu une année noire en 2017. On lui reproche d’être un prédateur sexuel, constamment à la recherche de mâles. Tout étant désormais déballé, il a fait son coming out officiel.
  • Il est difficile de mêler la vie privée d’un artiste à ses prestations. Les compartiments sont souvent étanches. Mais il est vrai que le charme étrange de Spacey trouve sans doute une explication dans ce qu’il est vraiment.

Tout le film est soutenu par des chansons pop bien connues et très bien réinterprétées. Cela contribue beaucoup à la beauté de l’œuvre.

Le réalisateur Sam Mendes a fait une nouvelle fois un bon boulot. Deux heures qui passent très vite.

Bien que le film bourre de coups de poing le rêve américain, les récompenses aux USA ont été très nombreuses. Pour une fois les critiques ont vu juste.

  • Oscar du meilleur film
  • Oscar du meilleur réalisateur pour Sam Mendes
  • Oscar du meilleur acteur pour Kevin Spacey
  • Oscar du meilleur scénario original pour Alan Ball
  • Oscar de la meilleure photographie pour Conrad Hall
  • Golden Globe du meilleur film dramatique
  • Golden Globe du meilleur réalisateur pour Sam Mendes
  • Golden Globe du meilleur scénario pour Alan Ball

etc.

https://fr.wikipedia.org/wiki/American_Beauty

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