Amnesia. Barbet Schroeder – Marthe Keller – Avis. Résumé. (2015) 7/10

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Ibiza est le domaine privilégié du réalisateur Barbet Schroeder. Sa mère a eu une maison là bas, on la retrouve dans deux de ses films (Punta Galera – Sant Antoni à l’ouest, près du cap Nono).

Il adore les paysages déchiquetés – mais ensoleillés – du bord de mer, les petites maisons blanches isolées, les belles lumières, le climat doux, la pêche, le petit jardin potager, l’éclairage à la bougie, l’absence d’électricité et de contraintes modernes qui vont avec… et tout ce qui donne l’air d’un petit paradis terrestre (*).

Et sa caméra le rend bien. L’image est à la fois simple et magnifique. Encore plus belle et plus colorée que lors du tournage de More (1969) – Et c’est le même refuge qui est filmé presque 50 ans après. Cela veut forcément dire quelque chose.

Il a remarqué que dans les années cinquante, il y avait là plein d’expatriés nazis. Ils étaient protégés par le franquisme. Ça le travaille encore.

Il traite donc ici du problème de la culpabilité allemande telle qu’elle est vécue après guerre. La question peut être dramatiquement hystérisée… ou niée. Je sais que disant cela je peux choquer. Il ne s’agit pas de minimiser les fautes impardonnables commises par les nazis, bien entendu, mais de trouver le juste milieu dans l’appréciation de maintenant, après avoir étudié les extrêmes.

Deux questions se posent. Peut-on faire porter ce poids sur les épaules des nouvelles générations ? Doit-on tout mettre cela sous le tapis, comme s’il ne s’était rien passé ? Ce sont deux attitudes diamétralement opposées qui sont débattues dans le film.

Marthe Keller incarne une femme qui a connu le conflit et dont le compagnon a très vraisemblablement fini dans un camp de la mort.

Sous des dehors de femme accomplie, elle est pourtant étrangement hypersensible et obstinée. Elle ne pardonne pas. Toutes ces décennies, elle s’est murée dans sa colère. Elle a fui à Ibiza. Elle refuse encore de parler l’allemand, sa langue maternelle. Elle rejette tout ce qui de près ou de loin vient de là-bas, à part la grande musique. Pas question d’aller dans une Volkswagen, surtout quand il s’agit d’une coccinelle d’origine hitlérienne. Tous les produits allemands, même le vin sont bannis. C’est évidemment une attitude extrême. Cette vision focale tend davantage vers une certaine cécité que vers une amnésie proprement dite.

La jeunesse allemande est représentée par son sympathique voisin musicien. Ce jeune Werther très cool n’a vraiment rien de commun avec les uniformes noirs, c’est même tout le contraire. Tout ce qui est allemand n’est donc pas à jeter. Voilà de quoi compliquer les choses, quand on s’oblige à un rejet si radical.

C’est un rôle très bien tenu par Max Riemelt.

Solitaire, tout comme elle, il occupe une de ces maisons blanches toutes simples et si belles. Il voudrait être accepté comme disc-jockey dans la plus grande boite de l’île, Amnesia. Il compose des mélodies avec son synthétiseur. C’est vraiment là le grand bonheur de sa vie.

Un artiste inoffensif, pas une graine de tortionnaire.

Il ne se doute pas que la gentille Marthe puisse avoir un tel contentieux avec son pays d’origine. Et une fois qu’il a percé son secret, il ne la comprend vraiment pas. Pour lui c’est soit une personne excessive et fragile soit peut-être une juive qui a enduré le pire.

Pourtant elle l’attire. Mme Keller n’a pas une ride ! Il la couve et l’apprécie jusqu’à en tomber amoureux, malgré l’immense différence d’âge (70 / 31 ans chez ces acteurs).

Le grand-père et la mère du musicien viennent rendre visite au jeune homme avec l’arrière pensée de le faire revenir au pays de ses ancêtres.

Marthe les invite et compte tenu des ces rejets multiples il y aura une grande explication.

A priori et compte tenu de sa hargne, on pourrait reprocher à l’exilée de vouloir trop en faire. – Elle souligne que la plupart des compatriotes n’ont pas été tenus informés de l’existence d’Oradour et d’autres lieux d’abjection. C’est l’angle d’attaque.

Puis elle pousse dans ses retranchements le vieil homme joué par le célèbre Bruno Ganz (qui a interprété un Hitler un peu « humanisé » dans La Chute en 2004 !) – comme si elle savait que derrière chaque récit il y avait désormais un travestissement, un embellissement.

Elle fait le siège de ce vieux qui jusqu’à présent passait pour un « juste » auprès de sa famille. Et là finalement il craque. L’on comprend qu’il a été pour le moins passif pendant un massacre alors qu’il se faisait passer pour un sauveur. C’est une scène dérangeante.

C’est donc l’épreuve de vérité.

Oui, on a caché beaucoup plus de méfaits qu’on veut bien le dire. Amnésie / Amnesia.

Oui, on a un devoir de mémoire. Mais à présent, ne devrait-il pas s’exercer plus pour alerter et prévenir que pour punir ? Même si ces faits ne sont pas prescrits.

Non, on ne peut pas demander à tous les témoins d’être des héros sacrificiels.

Non, on ne peut pas éternellement faire porter au peuple allemand le poids des péchés des anciens.

La mère de Max est écartelée par plusieurs forces contraires. D’une part la nécessité de préserver son vieux père à présent et d’autre part son devoir de vérité vis à vis de son fils. Elle sent bien que toute la famille peut se disloquer.

Elle contre-attaque. S’adressant à Marthe : «  vous vous êtes enfuie pour vous donner bonne conscience » « vous vous enfermez dans votre bulle de vertu » … Et les générations d’après-guerre ne se sont pas croisées les bras et n’ont pas passé leur temps à se morfondre. Eux ils ont bûché pour reconstruire une meilleure Allemagne.

L’ambiance est assez théâtrale.

Bien qu’il s’agisse de sujets graves, ils sont traités ici à l’échelle humaine, avec forcément une imperfection dans les perceptions et leur rendu et des incomplétudes dans les raisonnements. Comme cela serait, si nous avions à nous prononcer vous et moi. Ce n’est pas une thèse et un avis définitif sur ces questions. Même si Marthe semble emporter le morceau, on ne nous demande pas de nous positionner obligatoirement. Nous aussi on peut garder cela en nous et juste contempler l’environnement. Au total cela change si peu de choses.

Plusieurs façons de voir pourraient être acceptables. Sans doute doit on préférer le juste milieu à l’anathème expéditif ou la conscientisation extrémiste. Et si c’était avant tout une affaire d’historiens et de juges ?

Voilà un film intéressant mais qui, bien que dû à Barbet Schroeder, est resté confidentiel.

Les nostalgiques comme moi regretteront que la musique ne soit plus des Pink Floyd.

(*) paradis terrestre méditerranéen : j’ai eu le même flash à Capri, avec une furieuse envie d’y déposer mes valises. Les Baléares sont un peu trop encombrées à présent. Le nord d’Ibiza comporte encore quelques beaux endroits quasi déserts. Et je ne connais pas toutes les îles. D’autres endroits de la méditerranée restent à découvrir, mais il faut sans cesse aller plus loin pour retrouver des émotions pures. La côte d’Azur n’a plus d’intérêt si vous n’êtes pas milliardaire.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Amnesia_(film,_2015)

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