Amok. Ozep. Yonnel. Marcelle Chantal. Racisme colonial. Zweig. 4/10

Ce film est besogneusement didactique, au point de devenir aussi ennuyeux qu’un de ces mauvais documentaires scolaires. Il s’agit de nous expliquer ce qu’est un Amok ou Fou de Malaisie. Et je vois que vous-mêmes n’attendiez que cela !

Tout d’abord, on nous montre un exemple in situ. Un rituel sinistre a lieu dans un village extrême-oriental des plus reculés. Cet évènement forcément « primitif » et angoissant, est animé par la danse suggestive des femmes. Le rythme devient de plus en plus « sauvage ». On sent donc qu’un grand danger va pointer le bout de son nez. La musique de mauvais augure des films sert à tambouriner nos nerfs pour mieux développer nos appréhensions.

C’est là qu’on voit un natif visiblement brindezingue, assassiner « sauvagement » la danseuse principale. Ce bonhomme qui agit sans raison, est donc devenu Amok. Et comme il s’agit d’enfoncer ce clou rouillé dans nos têtes, le metteur en scène Fedor Ozep en fait des tonnes.

Voilà, vous avez la notice explicative de ce chapitre du zoo humain. Désormais, on peut développer une métaphore plus « civilisée ».

***

En parallèle on nous décrit un médecin en perdition, qui officie tant bien que mal au même endroit. Torturé mentalement par une femme de son milieu dominateur, il a fini par se laisser glisser vers l’abyme. A présent, il en est au stade d’un méchant alcoolisme.

Rien ne va plus pour notre pauvre Jean Yonnel. Il est pourtant environné de déesses exotiques dévouées. Ces petites « choses » frétillent autour de lui, les seins nus. Ce sont des sauvageonnes, donc des êtres réputés dominés par leur animalité. Au delà d’être des objets sexuels, elles sont réduites à l’état de ventilateur. Elles agitent des palmes rafraîchissantes au dessus de l’homme blanc.

Du coup, la censure permet cette exposition « zoophile », sous réserve qu’on ne fricote pas avec elles. En 1934, les lois raciales prennent déjà pas mal de la vitesse chez nos voisins teutons.

Les colons ramenaient jadis plein de cartes postales de ces femelles, autant colorées que dévêtues. C’est aussi une sorte de pédagogie. Cette exposition « orientaliste » de la nudité, qui touche exclusivement les femmes bien faites, est pour le moins grivoise et le plus souvent perverse. Mais elle avait aussi pour vertu de susciter des vocations de voyageurs. Les colonies voraces avaient besoin de ce sang neuf, en provenance de la vieille Europe.

***

Le Dr Yonnel est un théâtreux de métier. Il officie à la Comédie-Française. Pourtant, dans ce drame, il est souvent à contretemps, avec ses lourds effets démonstratifs. Question de mise en scène, de découpe ?

La Marcelle Chantal passe dans cet improbable bled. Mais qu’elle joue mal, avec ces yeux bloqués en haut de l’orbite, presque révulsés. Ses attitudes outrées de cinéma viennent du muet et n’avaient plus cours depuis un moment déjà.

Dans le film, c’est un riche jeune femme, dont le mari généralement absent est dans les hautes sphères. Elle le trompe avec un tout jeune Jean Servais. Mais elle a l’excuse passionnelle.

Son boy dévoué est d’origine chinoise. Une sorte de Cerbère prêt à sacrifier sa vie pour elle.

Un « accident » de parcours amoureux, fait qu’elle vient demander l’intervention « illégale » du toubib le plus égaré possible. C’est retraite au fin fond de la jungle est une garantie de discrétion. L’avortement était sévèrement réprimé jadis.

Mais ce docteur, qui joue ici tout aussi mal que Marcelle, s’oppose à la demanderesse, sous prétexte qu’elle cache son jeu, derrière sa voilette. Les deux se livrent à une improbable joute verbale. C’est un combat de coqs ; de poule et coq en vérité. Malgré cela, il semble qu’il en soit tombé follement (amokément) amoureux. « Enfin une femme blanche !», n’hésite-t-il pas à dire et redire, du haut de sa « supériorité » raciale. Comme s’il en avait marre de consommer de l’asiatique à tous les repas.

Sentant qu’il va la perdre, alors que cette femme est vraiment dans le besoin, il se ravise aussitôt. Trop tard ! Il sait qu’il a commis une bévue, il s’en mord les doigts.

Disons le sans ambage, cette pirouette instantanée est hautement improbable ; même avec l’alibi de la boisson. D’ailleurs on ne le voit jamais réellement saoul. Décidément son rôle est mal goupillé.

La « belle » vexée par le refus initial, mal à l’aise avec cet étrange pantin, lui tourne le dos définitivement. Bon, on peut partir, nous aussi humbles spectateurs ?

Notre cabossé de la vie, qui a pourtant déjà morflé avec ces dames, ne veut pas en rester là. Il va la poursuivre de toutes les façons possibles, un peu comme un érotomane (illusion qu’il y a une « ouverture » possible).

Comme la psychologie est mal dosée dans le film, tout cela part en foufelle.

Faute de sorcier blanc, La donzelle se fera charcuter le bas ventre par un autochtone et donc forcément cela va foirer ; selon les critères colonialistes de l’époque.

Le mari, l’amant, le docteur… tout ce beau monde va bien pleurer la morte.

Et ça continue pourtant. Le médecin cherche à faire disparaître le corps pour qu’on ne découvre pas qu’elle était enceinte. Elle lui avait demandé le secret. Il assume.

***

Si je peux me permettre, cette femme hautaine ne vaut pas cette peine posthume. Cette prétentieuse, de son vivant, me révulse. Elle est d’autant plus vulgaire, qu’elle veut jouer à la grande dominatrice coloniale. Ce n’est pas ça la classe !

J’ai rarement vu autant de lieux communs. Les natifs sont maltraités. Le mépris colonial est endossé sans le moindre scrupule, par toutes ces faciès marmoréens, qu’ils soient sur l’écran ou derrière la caméra. Les arts premiers sont ridiculisés, avec ces grotesques imitations de carton-pâte. Les cultures locales sont mal reproduites. On préfère manier les caricatures méprisantes.

A voir ces films, on est bien content que toutes ces postures humiliantes aient volé en éclat, grâce à des coups de pieds donnés par des « colored people » et bien placés. Ces peuples ont finalement recouvré la plupart de leur habitudes ancestrales.

Pour autant, je ne dis pas que certaines composantes du colonialisme ne leur ont servi à rien. Nous-mêmes avons profité du bond culturel de la romanité. La mise au pas de nos ancêtres gaulois n’avaient pas que des mauvais côtés. Mais c’est un autre débat.

Cet Amok est sans doute bien mieux raconté dans la nouvelle de Stefan Zweig, même si le film suit assez scrupuleusement le récit.

La chanteuse Fréhel fait une courte prestation. L’apparition de cette proto-Piaf ne mange pas de pain. On aurait préféré Aya Nakamura, mais elle n’était pas disponible à l’époque.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Amok_(ethnologie)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Amok_ou_le_Fou_de_Malaisie

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fedor_Ozep

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcelle_Chantal

https://fr.wikipedia.org/wiki/Aya_Nakamura

Envoi
User Review
0 (0 votes)

Laisser un commentaire