Au-delà des montagnes (2015) 8/10 Zhao Tao, Zhang Yi, Jing Dong Liang

Temps de lecture : 4 minutes

De Jia Zhangke avec Zhao Tao, Zhang Yi, Jing Dong Liang.

A priori, l’histoire est simple : une jeune fille courtisée par deux hommes.

Le film relate les destins complexes de ces trois personnes très proches, au fil des années. De la jeunesse à la vieillesse, de la Chine qui se réveille à la Chine qui tend à montrer le chemin.

Le tout avec quand même certaines concessions à l’Occident.

Le personnage féminin central c’est Zhao Tao, la Giuletta Masina du réalisateur.

C’est sa femme en vrai.

Et c’est donc une interprète on ne peut plus proche et émotionnellement impliquée. Le parfait messager de ses intentions. On sent que l’enrichissement est allé dans les deux sens.

La collaboration de ce couple est vraiment fructueuse. Ils peuvent encore aller très loin.

On dit souvent qu’un couple ne doit pas travailler ensemble sous peine d’exploser. Mais Fellini et Giuletta Masina ou Jia Zhangke et Zhao Tao, nous montrent qu’il y a des exceptions heureuses.

On voit l’actrice évoluer, en se pliant aux particularités des différentes périodes, toutes en nuances. Elle reste parfaitement crédible et pleine de ressources sur la durée. Elle n’est pas juste grimée pour faire plus jeune ou plus vieille. Elle transcende ces artifices. Elle est réellement le personnage. Cette femme au destin inhabituel. Le pivot central autour duquel tout se joue.

C’est d’abord une jeune fille courtisée, délicate et un peu naïve. Elle aime danser et chanter. C’est le tout début.

Elle est hésitante, mais plus consciente et réfléchie à l’heure du choix. Mais était-ce le bon choix ?

Elle a un fils. Elle divorce. Son mari emporte son fils. De années passent.

On la voit volontaire, sagace et précise lors du retour très provisoire de son jeune fils. Il s’agit d’essayer de se le réapproprier lors de l’enterrement du grand-père. Peine perdue ?

Enfin on la retrouve vieillie et résignée, avec une patience infinie pendant les décennies de solitude.

La vie ne lui a pas fait de cadeau, mais elle, elle est généreuse. C’est le principe maternel dans ce qu’il a de plus haut.

A noter le retour de la danse et du chant à la fin, dans une apothéose symbolique. C’est bouleversant comme le final de Giuletta dans Les Nuits de Cabiria. Elle aussi défie toutes les misères du monde. Et cela arrive à chaque fois qu’une femme se relève…

Zhang Yi assure en amoureux volontaire et en carriériste affirmé. Il tient bien son rôle. Là aussi avec toutes les finesses voulues. Il en faut pour rester convaincant à différents âges et selon les évolutions majeures de la société chinoise.

Le caractère intransigeant et dominateur reste bien sûr.

On le voit tout d’abord avec les émotions et les éclats de la jeunesse.

Comme dans cette scène où très tendu, il n’arrête pas de rentrer et de sortir de la boutique où se trouve la belle et le rival. Désireux de faire éclater sa vérité.

Puis à la maturité, il est là grisonnant, patrimonial. Il a réussi mais il est plein d’ennui et d’amertume. Et il y a cette impossibilité de vraiment communiquer avec son fils, au-delà de l’amour qu’il lui porte. Ce fils qu’il a privé sciemment de sa mère.

Selon les critères classiques, ce père, ce patron aurait le mauvais rôle, celui du méchant. Le puissant qui menace et pose des ultimatum. Mais ici, il n’y a pas vraiment ces grandes leçons de morale qui encombrent si souvent le cinéma actuel.

Cet homme, c’est aussi celui qui a atteint la prospérité, un des capitaines qui a permis à la Chine de sortir des difficultés économiques. Même au prix de compromissions. On lui porte un certain respect, ce qui complique les choses.

Le fils, comme il est interprété par Zijian Dong lorsqu’il est jeune homme, est très intéressant. On voit toutes les nuances de la révolte sourde et de l’affirmation, travestie en humour plus ou moins grinçant. C’est un très beau rôle, avec là aussi une palette nouvelle.

Liang Jing-Dong, le deuxième homme, figure un être pur à qui rien ne réussit. Il fournit une interprétation silencieuse et délicate, parfaitement en phase avec son rôle.

L’ensemble de cette œuvre est une sorte de métaphore amoureuse de ce qu’il est advenu à la Chine, lors de ces dernières décennies … et au-delà.

D’abord, la surprise de la libération économique, avec sa dose de séduction et répulsion.

Les opportunités saisies, les opportunités ratées, en affaires comme en amour. Certains ont su réagir, d’autres non.

Je n’ai sais pas si l’on arrive bien à imaginer le tsunami que cela a pu faire dans les têtes, après des années de Mao.

On y voit aussi les compromis fructueux face à la pureté improductive.

C’est le curieux destin des alliances ou des unions, en amour comme en affaire.


Mais ces vies complexes et ballottées restent crédibles et les devenirs, imprévisibles.

L’auteur se permet même de tirer l’histoire vers le proche avenir, les années 2020. Avec juste ce qu’il faut de gadgets bien imaginés. C’est un bel exercice de virtuosité. Dans ce cadre de saga quasi mémorialiste, c’est un procédé nouveau.

Ceux qui n’y comprennent rien, disent souvent que les Chinois copient. Dans le cinéma chinois on note bien sûr des références aux grands auteurs reconnus. Mais pas plus que nos réalisateurs occidentaux, qui se mettent sur les épaules des géants qui les ont précédé. C’est plutôt de la révérence.

Et on le voit avec ce petit saut dans la décennie à venir, Jia Zhangke va plus loin.

Bientôt on dira peut-être que les occidentaux vont copier les Asiatiques… Et c’est bien comme cela. Chacun a à apprendre de l’autre et vice versa, c’est une loi humaine universelle.

En conclusion je peux dire que j’ai aimé ce récit de 2h. Surtout, parce qu’il est riche et inventif, et que même dans des situations tragiques, il conserve de la légèreté.

Il ne cède pas aux sirènes du pathos. Il ne donne pas de leçon.

Les situations sont intéressantes, il y a des idées et les acteurs sont bons.

Comme quoi, avec du talent, de l’implication et beaucoup de travail, on peut y arriver.

Nos auteurs malingres, endormis par les subventions feraient bien de s’en inspirer… on de laisser la place à d’autres.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Au-del%C3%A0_des_montagnes

Zhao Tao
Zhang Yi 
Liang Jingdong
Dong Zijian 
Sylvia Chang

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