Avis. A nous la liberté ! René Clair – Gorki – Résumé. (1931) 6/10

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  • Vous vous souvenez sans doute que ces critiques de films sont surtout pour moi l’occasion de faire le point sur de nombreux sujets qui m’intéressent. L’idée étant de laisser aux miens, à mes amis et à tous ceux que cela pourrait intéresser, quelques traces et/ou des pistes.
  • Vous trouverez donc après cette recension du long métrage, une longue digression très personnelle sur le sujet de la liberté de l’homme mûr (*)

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René Clair passe pour un poète du cinéma. Et ce film est bien connu dans un certain milieu cinéphile. Il est très respecté et même encensé, le plus souvent. C’est bien entendu bien réalisé et le scénario fait montre d’une certaine inventivité.

Mais à mon goût ce n’est qu’une poésie de pacotille, pleine d’à priori peu subtiles. Un récit mythologique qui fait des plus humbles, les détenteurs du secret du bonheur. A eux la bonté, la sincérité, le véritable amour, les petits oiseaux et les fleurs des champs.

Les riches, les politiques et même les savants, ce sont eux les méchants. Et ces classes dominantes ricanent depuis qu’ils ont tout asservi.

Ils seraient eux-même coincés dans leur petit monde, par leurs coutumes stupides, leurs unions ratées, leur mépris de classe, la cupidité etc.

De plus, il n’y a pas de mérite à être riche. Le moindre voleur peut se hisser en haut de la pyramide sociale aisément. Tout le monde sait cela (et c’est démontré dans le film).

C’est un tout autre exploit que d’être un de ces respectables pauvres. Une situation bien enviée ! Il est plus facile à un affamé maigrichon de passer par le trou d’une aiguille qu’à un gros riche d’entrer dans le royaume du bonheur. Et l’argent bien entendu ne fait pas que des heureux. Et patati et patata.

C’est très proche des courants de pensée de ce qui deviendra le front populaire. Cette base de communisme qui parodie la doctrine chrétienne, elle-même piquée aux Esséniens.

A ce bon peuple maintenant, de reconquérir la liberté qui leur a été confisquée. Ah eux de se lever pour sortir de l’esclavage en brandissant l’étendard de la révolte (*)

Jacques Tati, un vrai poète, qui est un peu dans les mêmes traces, a nettement moins exagéré le trait et s’est gardé de prendre si ouvertement parti. Ce qui lui a permis de ne pas étouffer son imagination et la notre.

Tout cela est bien beau et semble parfaitement innocent à cette époque. On n’avait pas encore connaissance des ravages de la dictature du prolétariat ou de ce qui deviendra le germe de l’infâme Révolution culturelle.

Et notre réalisateur y va fort pour soutenir sa thèse.

Ce sont ces usines impersonnelles qui ressemblent à des prisons modernes. L’analogie est clairement développée.

C’est ce travail à la chaîne qui faits des hommes des robots et qui déraille parfois. Ce qui ne manque pas de nous faire sourire. Ces plans sont presque identiques à ceux des Temps modernes de Charlot. Cela sent le plagiat. Et comme la nouveauté vient généralement d’Amérique, on est tenté d’incriminer René Clair. Il n’en est rien et c’est sans doute Charlot qui a copié René, les Temps modernes datant de1936, 5 ans plus tard !

La direction d’usine ose un « la liberté c’est le travail » qui fera pâle figure traduit en nazi « arbeit macht frei ».

Cependant le scénario poursuit dans son idéologie sommaire. Il nous montrera un monde d’après souriant où les machines font tout le boulot, pendant que les ouvriers dansent, jouent aux cartes ou vont à la pêche et où il n’y a que des bons copains. Le triomphe de la médiocrité, de la destruction de l’esprit de compétition et du laisser aller général. Cette civilisation du désir de vacances éternelles, telle qu’elle a été réalisée du temps des Bronzés (le film). De quoi faire trembler Pétain, Maurras et quelques autres.

Voilà le bonheur qui nous attend, lors des lendemains qui chantent !

Ce n’est pas le seul film du genre, à cette période, mais cela n’excuse pas l’absence d’esprit critique et la coupable indulgence que l’on a pour cette œuvre.

  • (*) Brandir l’étendard de la révolte : j’ai une grand-mère, sans doute indisciplinée qui a du recopier une phrase de ce type cent fois à l’école – ce devait être bien avant ces années 30.

Dans l’Humanité du 25 décembre 1931, on trouve un article assez favorable au film A nous la liberté, tout en regrettant qu’il n’aille pas encore plus loin. Ce journal critique ci-dessous toutes les autres œuvres qui bien entendu ne sont pas dans leur ligne, mais se hérisse aussi que Clair « le plus intelligent des cinéastes français » remette en cause le travail de l’ouvrier (dont le bolchevisme avait tant besoin qu’il a encore poussé plus loin l’esclavage régulé du système capitaliste)

  • « Les lecteurs du Populaire ne doivent pas être socialistes le matin seulement en achetant et en lisant leur journal, mais le soir aussi, dans le choix de leurs distractions : le cinéma a des effets considérables au point de vue politique et social, effets que presque tous nos amis ignorent ou sous-estiment : la production est tout entière donnée par les forces d’argent, les spectateurs ne devraient jamais l’oublier ; ils réaliseraient alors pleinement pourquoi tant de films sont sournoisement tendancieux ou simplement d’une écœurante vulgarité ; leur vigilance, mise en éveil, pourrait alors leur désigner clairement les œuvres qu’ils ont le devoir de siffler. »
  • « … la conclusion qui se dégage d’À nous, la liberté ! est qu’en régime capitaliste – mais est-ce bien du capitalisme qu’il est question au-delà de l’opérette ? – le travail n’a pas de sens et qu’il vaut mieux, en somme, être chemineau qu’ouvrier. Le public populaire ne manquera pas de se rappeler le héros romantique et littéraire pour qui rien ne vaut la liberté des granges, des fruits volés, du pain mendié et des belles filles culbutées dans un pré ; mais il gardera non moins présente la réalité moins poétique : à savoir que tout vagabond relève du gendarme. Les héros de René Clair, voulus joyeux compagnons, ne tarderont pas de finir leur vie comme ils l’avaient commencée : dans les prisons de la République.
  • Pour remettre les spectateurs en contact avec l’heure présente et la réalité tragique qui s’annonce, on pourrait faire entendre après la dernière note de la partition d’Auric, dans le silence rouvert, ces paroles de Gorki : « … Seule la Révolution libère l’homme, non seulement socialement et physiquement, mais encore émotionnellement et intellectuellement»

L’avenir et le bon sens ont donné tort à ce slogan délirant de Gorki.

Voir la suite ici une longue digression personnelle sur le thème de la liberté. => https://librecritique.fr/?p=2305

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%80_nous_la_libert%C3%A9

La liberté, c’est toute l’existence,

Mais les humains ont créé les prisons,

Les règlements, les lois, les convenances

Et les travaux, les bureaux, les maisons.

Ai-je raison ?

Alors disons :

Mon vieux copain, la vie est belle,

Quand on connaît la liberté,

N’attendons plus, partons vers elle,

L’air pur est bon pour la santé.

Partout, si l’on en croit l’histoire,

Partout on peut rire et chanter,

Partout on peut aimer et boire,

A nous, à nous la liberté !

(chanson du film et qui est devenue un hymne pour la jeunesse de gauche et/ou anarchiste des années 30)

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