Avis. A serious man. Coen. Humour juif. Michael Stuhlbarg – Résumé. (2009) 8/10

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Les frères Coen savent très bien mener leur barque : histoire étincelante, prise de vue superbe, rythme parfait, acteurs qui assurent au millimètre – bien que peu connus-, humour de grande qualité allié à beaucoup d’humanité… Et en cadeau, mine de rien, une leçon sur la vie et son non-sens fondamental. Le tout, en nous menant avec talent et patience, sur un long chemin de croix (on dit cela dans la culture juive ?)

D’emblée le film nous plonge dans une triple incertitude. Et ce n’est pas innocent puisque tout tourne autour de ce concept protéiforme. Mais cela on ne le découvre qu’après et très progressivement.

  • Pourquoi nous infliger avant le récit véritable, cette vision volontairement caricaturale du chtetl/schtetl ancestral et des dialogues en yiddish ? A priori c’est comme un cheveu sur la soupe. Profonde incertitude du spectateur !
  • Mais en réalité se pose ici la question de l’influence de l’héritage distant pour les juifs intégrés occidentaux… comme les frères Cohen. Le film répondra finalement… qu’on ne sait pas très bien à quoi cela sert. Incertitude des réalisateurs !
  • Et dans ce film dans le film, est-ce que ce curieux visiteur est un personnage bien réel ou un mort maléfique habité par un dibbouk ? Même avec un coup de couteau dans le cœur, on ne le saura jamais. Conte ou histoire vraie ? Incertitude fondamentale ! C’est la frontière infranchissable entre la croyance et la raison.

L’homme sérieux est un professeur qui enseigne dans une université, les mathématiques et la physique de haut vol, genre démonstration du principe d’incertitude d’Heisenberg et illustration du problème du chat de Schrödinger. Mais il n’applique pas ces règles mouvantes à sa propre vie. Lui il aimerait bien savoir.

C’est un homme modeste, qui a réussi et qui a vécu jusque là dans un monde certain. A présent il tend à être bousculé par les évènements, plus qu’il ne les dirige.

Au fond, il est profondément honnête et ne veut pas d’histoires. Et peut-être estime-t-il que cela doit être récompensé.

Mais tout autour de lui semble s’écrouler. Sa femme veut le quitter pour un autre. Ses enfants sont distants, pénibles et revendicateurs. Il est contraint d’héberger son frère qui est à la dérive. Son voisin borné empiète sur sa propriété. Un de ses étudiants tente de le manipuler, pour avoir des bonnes notes. Alors qu’il est sur le point d’être titularisé, des lettres anonymes cherchent à le perdre et ses collègues très hypocrites, ne lui font guère de cadeaux. Il se faire mettre à la porte de son domicile… et d’autres nuages noirs s’accumulent sur sa tête.

Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Son entourage lui fait porter le chapeau, alors qu’il pense ne rien avoir à se reprocher. L’amant de sa femme vient même lui faire la leçon. Ce qui donne lieu à un savoureux moment.

Son frère se fait prendre dans des jeux de hasard illicites puis dans une histoire de sodomie. A noter que ce personnage remplit des feuilles entières d’inscriptions hermétiques et/ou cabalistiques. Et que ce serait une méthode qui lui aurait permis de gagner à tous les coups aux jeux. Ce qui est une certitude parfaitement paradoxale, puisqu’une telle martingale ne peut pas exister. C’est la seule fois que quelque chose de paralogique (et/ou un principe supérieur) semble vouloir guider l’action. Et c’est une impossibilité. On appelle cela un raisonnement par l’absurde. Ce sont des matheux nos super frangins.

Sans être profondément croyant, l’homme sérieuxqui se croit droit et se pensait ainsi hors d’atteinte, cherche des réponses métaphysiques. Et puis il y a des signes, comme ce double accident de voitures, dont un va le débarrasser de l’amant de sa femme.

  • Cette chère épouse, qui impose sa tyrannie polie, va quand même lui imposer de prendre en charge les frais d’enterrement du cocuficateur. On atteint là des sommets. Même le spectateur le plus timide aurait tendance à brandir ses petits poings.

Pourquoi est-il soumis à tant d’épreuves à la fois et pourquoi ne réagit-il pas ?

Il sera poussé à consulter 3 rabbins. Mais sans que cela éclaire sa lanterne plus que cela. Au contraire, le seul enseignement consiste à éluder les questions avec des propos maladroits, sibyllins et sentencieux, qui se donnent l’air de grandes réflexions. A noter que les avocats, contactés pour d’autres raisons, font à peu près la même chose. C’est le flou total.

Et pour lui, il n’est toujours pas question de se battre. Il y a peut-être un dessein là derrière.

Les esprits globalisants pourraient penser qu’il se dirige droit vers son Destin, qui se situerait juste derrière le grand portail «Arbeit macht frei». Il y a-t-il ici un fil inconscient et caché, quant au sort d’un peuple dont le destin serait d’être pourchassé et qui, parce qu’il croit à la destinée, aurait du mal à se défendre ? Je n’en suis pas sûr du tout.

En réalité le scénario est un merveilleux support pour de croustillants portraits, dont une profonde analyse psychologique sur la passivité, la résignation, les limites de l’intelligence… et le destin. Je ne vois pas de l’atavisme ou une passivité culturelle là dedans, mais plutôt une question de caractère individuel.

La judaïté, constamment représentée dans le film, Dibbouk compris, est ici minimisée dans son influence voire anecdotique. En ce sens déjà, que peu sont profondément croyants. Et aucun message rabbinique ne fera remonter la pente existentielle. En gros tout cela ne sert à rien et n’a pas plus de portée qu’une méthode Coué, mais c’est un bon sujet pour de subtiles railleries.

C’est comme si les frères Coen sécularisés et modernes, réglaient leurs comptes aimablement. Il s’agit de s’affranchir pleinement de cette emprise désuète, tout en revendiquant quelques reliquats d’appartenance.

Et donc, si religion il y a, pour eux, pour les personnages, comme pour tant d’autres, c’est n’est plus que dans l’observance communautaire des grandes rites de l’existence, comme le passage à l’âge adulte, le mariage, le divorce, le décès… Que ce soit dans cette foi, comme dans la plupart des autres obédiences, il faut y voir des conventions sociales qui continuent à borner l’existence, par simple habitude, et dont on n’a plus trop les codes.

Il y a un peu de Woody Allen là dedans. Lui qui convoque souvent dans les mêmes termes distanciés la religion et qui laisse longtemps la balle du match point en équilibre sur le filet. Incertitude !

Ce film est un régal, si à l’instar du héros, vous savez être passif et vous vous laissez glisser dedans sans résistance. Sinon prenez votre temps et repassez le voir une deuxième fois… je suis sûr que Hachem et aucun de ses confrères, ne trouveront à redire, qu’ils existent ou non. Incertitude !

Cela dit, cela peut être éprouvant pour le « client » qui n’est pas venu au ciné pour réfléchir et qui aime bien qu’on lui mâche le travail, en lui disant quoi penser. Il y a même des critiques de cinéma qui entrent dans cette catégorie. J’en suis certain.

https://fr.wikipedia.org/wiki/A_Serious_Man

Michael Stuhlbarg
Sari Lennick
Fred Melamed
Richard Kind

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