Avis. All is lost. Film Robert Redford – Chandor – Résumé. (6/10)

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All is lost prend le risque de ne montrer à l’écran qu’un seul et même sujet. La survie d’un individu isolé dans une vaste étendue d’eau salée.

Comment ce vieux navigateur plaisancier, perdu dans le vaste Océan Indien, dans un si petit voilier en perdition, peut-il essayer de s’en sortir ?

Toute la production a misé là dessus. C’est Redford, tout Redford ou rien. Ça marche ou ça tombe à l’eau (hum)

De manière générale, les films de survie aquatique ont de sérieuses limites. Ce thème a été traité si souvent qu’on en a fait le tour. Les problèmes posées et les solutions tiennent sur une page. Ce sont toujours les mêmes.

– Le sujet connaîtra la soif, la faim, les blessures, le déchaînement des éléments, la faune inquiétante ; mais aussi les contraintes dues aux défauts et aux insuffisances des solutions embarquées, avec un matériel de secours limité ou défaillant. Il faut nécessairement que les balises de détresse soient HS, que la radio ne fonctionne pas, qu’il ne puisse être géolocalisé… sinon le film ne tient pas la distance.

Même si cela défie les statistiques marines, il y aura forcément un ou plutôt des bateaux d’envergure qui passeront par là. En fait il en verra trois ! Et quand il passera à deux doigts du premier de ces gros cargos, il ne sera pas vu malgré les fusées qu’il envoie. Idem pour le deuxième. Plus c’est gros et injuste, plus la tension devrait monter.

La réalisation nous fait bien comprendre ainsi, que notre homme devra tout endurer pendant le temps réglementaire d’une séance de cinéma. Il n’y aura pas d’échappatoire, ni pour lui, ni pour le spectateur.

Cette régularité des scénarios qui sont cantonnés dans ce genre, fait qu’on attend de pied ferme l’arrivée des requins. Et bien entendu ils seront au rendez-vous. Ils sont juste moins méchants que d’habitude. Voilà un écueil évité de justesse.

Dans la même logique, le canot de sauvetage en caoutchouc finira par sombrer lui aussi. C’est juste une question de temps. Cela dit Redford y met du sien, puisque tel un Bernard Palissy, il va lui-même le faire brûler, pour en faire son œuvre ultime, un signal de détresse bien lumineux. Du coup c’est du quitte ou double, puisqu’il n’a pas même une bouée de sauvetage (*)

L’éventuelle libération ne peut survenir que dans les dernières minutes. C’est la dure loi de ce genre du spectacle. A l’inverse, pour les mêmes raisons, on est sûr qu’il tiendra au moins jusque là. On est donc paradoxalement bien tranquille.

On n’est donc pas à proprement parler dans un réel suspense. Et ce qui vient encore brouiller les pistes, c’est que le tout début nous relate la fin. En tout cas une des fins possibles. On le devine à deux doigts de la mort, positionné sur de vastes plaques de métal (le container qui est entré en collision avec son bateau?)

On a donc le temps de laisser notre esprit vagabonder.

– Il n’y a plus qu’à attendre la (les) tempêtes, le coulage progressif de la première embarcation, le coulage progressif de la deuxième embarcation, les affres de la soif avec les astuces pour en venir à bout, la pèche non miraculeuse avec l’hameçon de la trousse de secours, les difficultés insurmontables pour remettre en route le matériel de transmission… et toutes ces joyeuseté de rigueur.

– Mais on peut aussi essayer de ramener dans nos filets les incongruités.

  • On s’attendait à ce que ce soit le rafistolage si léger de la voie d’eau, avec de trop fines couches de fibres de verre, qui soient à l’origine de la perte du vaisseau. On ne voit rien de tel.
  • Une fois sur la canot: il n’est pas possible de basculer avec la seule force des ses « très vieux » poignets un zodiac qui est rempli de tonnes d’eau.
  • De plus, en se retournant, la plupart des objets qui n’étaient pas fixés auraient du disparaitre.
  • Le container chinois, en roue libre (hum), qui est à l’origine du désastre, laisse échapper des paires de chaussures de petite pointure bon marché. Des copies de Nike qui flottent forcément. Le problème c’est qu’à l’inverse l’eau doit pénétrer librement le volumineux conteneur. Et vu les structures massives en acier, la masse volumique doit être très défavorable. En deux mots, en bon français, il est impossible qu’il flotte encore. Il aurait du couler.
  • Quid de la blessure au front ? En général, le réalisateur nous montre clairement comment elle a été produite et son devenir. Ici il faut deviner en grande partie

Je sais que je pinaille. Mais j’ai un blocage émotionnel quand il y a des hics de ce type. La magie s’estompe. J’en arrive presque à voir les caméras qui sont derrière la scène. En clair, je ne marche plus.

De manière très inhabituelle, l’histoire part de nulle part et ne va pour ainsi dire nulle part.

On ne sait pas qui il est et pourquoi cet homme âgé est là. On ne connaît pas son cadre de vie habituel. Est-il en rupture de ban ? A-t-il encore des attaches, de la famille, des ressources ?

Aucune histoire B. Pas même une photo de famille. Seule la rédaction d’un message énigmatique le lie au reste de l’humanité.

Et la fin en queue de poisson ne nous éclairera pas davantage.

On peut bien entendu prétendre, que cette absence de tenants et d’aboutissants est volontaire. Ainsi on tendrait vers l’épure ? Une sorte d’œuvre d’art hors sol (hum, « hors de l’eau ») ? Ce point de vue est conforté par l’absence voulu (et imposé) de dialogues.

Unité de lieu, unité d’action, quasi unité de temps (8 jours), unité de personnage… et multiplicité des difficultés. On n’est pas loin du cadre imposé par le drame antique.

Soyons clair ! Ce film ne tient que par la présence (l’omniprésence) d’un acteur. Enlevez Redford (mais mettez quand même quelqu’un d’autre à sa place) et tout tombe… à l’eau.

Et il est bon le vieux bougre de 77 ans. On y croit à son rôle, malgré le scénario très téléphoné. Il a de beaux restes. Mais qu’est-il allé faire dans cette galère ?

En toile de fond, il y a cette appétence de certains spectateurs pour l’ascétisme mortifère, l’individualisme forcené ; deux sources qui alimentent ce type de productions et leurs équivalents. Les expéditions mortelles dans l’Himalaya en sont un autre exemple.

Sans vouloir faire la morale, je voudrais ajouter ceci. Cet exploit supposé des occidentaux aisés qui mettent leur vie en danger sans justification sérieuse, a de quoi incommoder pas mal de nos amis sur terre. Ceux qui sont dans la précarité et les fortes contraintes du quotidien. Il y a des façons plus prosaïques de manquer d’eau et de nourriture. Et ça ce sont des vrais problèmes, pas des constructions surgies du néant.

On me souffle : quoi, il n’est même pas parti pour la pêche ?

Et puis il y a cette histoire non résolue des deux fins. Celle du début et celle en pointillé de la dernière minute. Avec cette main secourable qui pourrait n’être que virtuelle finalement.

(*) cette belle bouée orange était pourtant bien voyante au début. J’ai même sauté de mon fauteuil en lui criant (de manière muette) qu’il devait absolument s’en emparer. Il n’en a rien fait. Il a préféré prendre un modeste réceptacle vide en verre et des feuilles de papier. Notre MacGyver anticipant inconsciemment qu’il allait jeter une bouteille à la mer, au sens propre. On a fait mieux pour être sauvé !

https://fr.wikipedia.org/wiki/All_Is_Lost

RéalisationJ. C. Chandor
ScénarioJ. C. Chandor
Acteur (le seul)Robert Redford

Cette bouée qui m’obsède

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