Avis. Baisers volés. Truffaut – Seyrig – Doinel – Résumé. (1968) 8.5/10

Temps de lecture : 4 minutes
  • Mise en garde : cette critique révèle le scénario. Si vous n’avez pas vu le film, revenez une fois que cela sera fait.

Antoine Doinel est divinement joué par Jean-Pierre Léaud (*).

Ce jeune de 24 ans n’est pas trop fixé sur ce qu’il doit faire. Il se laisse largement guider par les évènements. Il n’a pas trop envie de prendre des décisions, mais il n’est pas flemmard pour autant.

Il semble vouloir rester un spectateur de cet étrange monde qui l’entoure. Il attend de voir. Pour l’instant il n’est pas convaincu d’adhérer à toutes les conventions du « vivre ensemble ».

Il y a chez lui une petite tendance à ne pas filer droit.

Les premières scènes nous le montrent comme un jeune engagé peu motivé. Il vient d’être lourdé de l’armée.

L’opposition entre son attitude enfantine et le paternalisme déçu de son chef, est bien plantée.

Il est au garde à vous, il est habillé réglementairement, mais son parcours a été on ne peut plus chaotique. Il ne s’est pas présenté ici ou là. Il a fini par passer la plupart de son temps en prison militaire.

Ce n’est pas un révolté politique, mais plutôt un passif peu doué pour les contraintes du métier. Il est venu sur un coup de tête. A présent il subit les remontrances, en laissant échapper des grimaces. Comme un enfant sermonné.

Il en sort en homme libre, peu marqué par ce qui lui est arrivé.

De retour à la vie civile. Il n’y sera pas plus efficace, passant d’un emploi à un autre. Mais ces échecs ne le touchent pas beaucoup non plus.

Il est un peu en touriste dans cette vie et de toute façon, c’est le plein emploi. Tu cherches du boulot, tu trouves. On a droit à l’erreur.

Rien de ce qui est vraiment sérieux ne l’atteint et rien n’est vraiment grave dans sa vie de post-adolescent.

En amour, c’est la même chose. Il virevolte sans objectif précis. On dirait qu’il se cherche, mais il n’est pas pressé de se trouver.

Aller avec une prostituée ne lui pose pas trop de problème.

Mais au fond, il convoite toujours Christine, incarnée par Claude Jade. Elle vit chez ses parents dans un grand pavillon.

Ils ne sont pas du même milieu. Pourtant le papa (Daniel Ceccaldi) et la maman (Claire Duhamel) sont plutôt complices et rieurs. Nous ne sommes plus à l’époque de l’union de raison mais plutôt dans celle des amours libres.

Il se laisse conduire au gré des circonstances. Un temps veilleur de nuit dans un petit hôtel parisien, il sera licencié à nouveau.

Ce naïf s’est laissé berner. Il a laissé entrer un détective dans une chambre, pour un constat d’adultère. C’est une faute grave.

Le détective subalterne le prendra sous son aile et le fera engager pour des filatures dans l’entreprise de son patron. Il n’est pas efficace pour suivre les gens, car il n’est pas formé et pas très inventif non plus.

On le retrouve missionné dans un magasin de chausseur, par le propriétaire incarné par Lonsdale. Lequel fait une brillante interprétation en tant que parvenu méprisant. Cet homme veut savoir « pourquoi on ne l’aime pas ». La scène qui pourrait paraître grotesque sur le papier est ici tout bonnement remarquable. Le jeune va enquêter de l’intérieur et dictera son rapport quotidien.

C’est là qu’arrive une « apparition », en la flamboyante personne de Delphine Seyrig, la femme du patron. Elle est habillée comme une reine. Elle est racée et belle. Truffaut en a fait une idole, irradiant à jamais. Une incarnation de la liberté guidant le monde. J’en rajoute comme tous les amoureux.

Doinel en tombe raide dingue. Après avoir été maladroit, il lâche même un piteux «pardon monsieur » à la dame. Elle sourit.

La belle comprend que ce jeune est bouleversé. Il est en proie d’émotions très fortes qui le dépassent. Il cache donc un coeur profondément amoureux. Ce qu’elle est loin de mépriser. Cette fraîcheur des sentiments l’attire même, surtout avec un mari rigide comme le sien.

Ils échangent des messages. Comme il est submergé, il voudrait mettre un terme.

Elle vient lui répondre directement dans sa chambrette. Elle lui explique qu’elle est une femme bien réelle et accessible, pas juste un fantasme. Elle lui propose un marché. Ils ne s’aimeront qu’une fois et en resteront là (**). Le gamin accepte avec enthousiasme. Ils sont manifestement satisfaits tous les deux.

La morale traditionnelle, qui fait d’une femme mariée une intouchable, n’est plus trop à la mode dans ces années là. Et d’ailleurs les esprits libres et doués pour l’amour, n’ont jamais pris en considérations ces obstacles là. On a les deux pieds dans le réel.

Et pourtant on y revient à cette morale, mais par la bande. Car après cette coucherie initiatique avec Madame Seyrig, Doinel devenu réparateur de télévision, arrive à l’appel de la toute jeune Christine, sa congénère. Ils vont s’unir le plus étroitement possible. Ce qui se traduit par des promesses de mariage.

Ce film est un cadeau du ciel. Une parenthèse enchantée dans un plat paysage de cinéma ancien. De nombreux spectateurs éclairés se sont pris cette magnifique Nouvelle Vague en plein la figure. Il y a désormais un avant et un après.

J’y vois cette belle délicatesse dont sont capables les gens ordinaires. Mêmes les inaboutis, les sans-grades, les approximatifs, les indécis, les petits et ceux qui se laissent bercer par les évènements, sont appelés à la félicité.

Et peut-être que leur parcours compliqué et leurs sauts de puce progressifs, leur donnent même un avantage.

Il y a des passages non conventionnels qui font date, comme quand Jean-Pierre Léaud crie longuement les trois noms qui comptent pour lui devant son miroir.

De l’intemporel, du grand art ! Merci à François Truffaut.

  • Le Lys dans la vallée de Balzac auquel il est fait clairement allusion dans le script, est en effet focalement repris ici. Mais cet emprunt revendiqué n’est qu’une belle fantaisie de réalisateur, en aucun cas une adaptation fidèle. Le film au final est tout autre chose.
  • (*) Et comme vous le savez sans doute, on prétend que Jean-Pierre Léaud est l’alter égo de François Truffaut.
  • (**) cette clause d’une fois, j’ai eu l’audace un jour de la proposer à une belle. Comme quoi on peut être influencé par le cinéma (film vu plus de 5 fois). Et puis il y a prescription maintenant.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Baisers_vol%C3%A9s


Jean-Pierre Léaud

Claude Jade
Delphine Seyrig
Michel Lonsdale
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