Avis. Cosmos selon Kepler – documentaire Arte – Résumé. (2020) 7/10

Temps de lecture : 7 minutes

L’astronome mathématicien Johannes Kepler, comme la plupart des découvreurs de talent, a beaucoup tâtonné, mais de manière réfléchie. Il ne faut pas trop compter sur de la sérendipité pure en la matière. Il faut quand même savoir un peu ce qu’on cherche pour trouver.

Il a eu besoin de donner de la cohérence visuelle à sa grande idée du système solaire. Ce qui pour l’homme signifie déjà une tridimensionnalité. Tant qu’une image 3D « tangible » ne pouvait se constituer dans sa tête, rien ne pouvait avancer (*). Tous les « génies » passent par là.

  • Le mathématicien peut accéder par ses formules à des dimensions supérieures, avec lesquelles il peut jongler sans les voir. Mais ce n’est pas le propos ici.

Cette nécessité d’une structure « objective » à dresser puis à alimenter, est utilisée dans les bons documentaires didactiques. En donnant du corps à Kepler, en nous permettant de voir un de ses possibles avatars quasi in vivo, en le mettant judicieusement dans son temps, on a nécessairement un socle solide qui s’édifie dans notre tête. Ce qui nous permet de mieux l’appréhender et de mieux l’associer à certaines de ses théories. Cette fusion mentale d’un être et d’une idée, a plus de chance de se fixer en nous (**) – Quand bien même l’acteur qui joue ici a sans doute peu à voir avec le grand homme.

Le biopic ne cède pas trop au côté génie méconnu, au passé difficile et qui va mourir dans la pauvreté. Même s’il y a de cela, cette version ne parasite pas l’image qu’on se fait de lui. Et l’exposé de ses idées est préservée. Il y a bien entendu un storytelling mais qui est acceptable et sans doute globalement vrai. On est vers 1600 et il y a donc pas mal de témoignages crédibles.

A la base de son travail à lui, il y a les observations méticuleuses et ordonnées du ciel par Tycho Brahe, auxquelles Johannes a eu accès. Des décennies de boulot respectable. Elles fournissaient des données solides et même indiscutables, alors qu’elles n’étaient même pas faites au télescope mais à l’œil nu. Pourtant l’instrument venait d’apparaître.

C’est le point fixe.

Les positions calculées dans le temps et l’espace, ne donnent aucune image de la réalité en soi. Ce sont juste des séries de constellations de points et de nombres. Rien ne peut partir de là de manière spontanée. Le gros travail consiste à vérifier qu’un modèle puisse coller avec ces données changeantes. Il faut donc un concept.

Mais cet immense ensemble cinétique ne collait bien avec aucune des hypothèses de l’époque, même les plus audacieuses. En particulier, le trajet « bizarre » de Mars donnait du fil à retordre.

Le géocentrisme était déjà dépassé depuis la révolution copernicienne. Galilée, le contemporain de nos Praguois d’adoption, a rajouté le dernier clou dans le cercueil de la vieille théorie de l’homme au centre du monde perché sur sa boule bleue.

L’héliocentrisme était désormais en vogue.

La terre tournait autour du soleil, soit. Mais les autres planètes ne semblaient pas respecter les beaux cercles concentriques qu’on imaginait.

L’esprit humain, surtout quand il est rigoureux, est ainsi fait qu’il lui faut une cohérence et si possible un modèle joliment ordonné. Plus c’est esthétique plus c’est tentant. Cela peut devenir un gros piège.

Tycho Brahe a une idée et des chiffres. Il appelle à lui le mathématicien Kepler pour qu’il confirme son intuition complexe, par le calcul. Il s’agit d’un système mixte dit géo-héliocentrique. La Terre est toujours centrale mais les autres planètes tournent elles autour du soleil. C’est une idée politiquement correcte puisqu’elle respecte la prééminence de notre planète et qu’elle s’arrange en partie avec les données de la science. La religion pourrait s’en accommoder.

Mais Kepler qui partage les idées héliocentriques, se rend vite compte que l’hypothèse de Brahe ne tient pas la route. Et l’héliocentrisme classique non plus.

Il en faut du temps pour qu’un homme dépasse les préjugés et échafaude une abstraction judicieuse.

  • Regardez le ciel, l’intuition est trompeuse. Et même si tout le monde sait maintenant que la terre tourne autour du soleil comme les autres planètes, vous ne pourrez quand même pas le voir de vos yeux. Alors imaginez ce qu’il en fut à l’époque !

A noter que Kepler a de gros problèmes de vision dont une myopie et une diplopie attrapées dans sa jeunesse. Il ne « voit » pratiquement rien au dehors, mais modélise en dedans.

Comme pour le clergé, notre croyant a viscéralement besoin d’un concept qui respecte l’Harmonices Mundi (L’Harmonie du monde) – Au bout de quelques années, il va le trouver grâce à des allers retours entre les modèles, les chiffres et cette conviction profonde qu’il existe nécessairement une équation lumineuse et simple.

« Dieu est un mathématicien ! » s’écrit-il. C’est son eurêka à lui.

Avant Newton notre savant comprend qu’il existe des forces qui interagissent dans les cieux comme sur terre. Le moteur le plus puissant étant le soleil. Il détermine même qu’il s’agit d’un principe qui dépend de la masse et de la distance. Isaac va s’en inspirer plus tard.

  • Kepler envisage même un voyage possible dans la lune en échappant progressivement à la force terrestre. C’est un saut conceptuel prodigieux et totalement contre-intuitif, alors qu’on considérait le ciel quasiment immuable.

Il faut mettre en ordre les vitesses variables des corps célestes les plus proches, les distances, les tailles, les trajets supposés… A une époque où le ciel est plutôt une toile de fond avec des constellations figées et quelques éléments qui bougent dessus.

Son premier modèle spatial de polyèdres emboîtés résout quelques points mais n’est absolument pas consistant.

En lâchant les orbites circulaires, et grâce à son système de trajectoires en cercles aplaties, il va pouvoir comprendre la trajectoire de Mars, puis des autres planètes.

Le soleil occupe un des deux centres d’une l’ellipse (***) et les planètes tournent chacune à des distances différentes et des vitesses variables de ce point fixe, d’où l’apparente confusion des observations.

Observations qui sont faites d’un corps lui même en mouvement changeant. C’est énorme mais tout colle désormais !

Les trois lois de Kepler sont des formules mathématiques rigoureuses. C’est à dire des « moulins » à traiter des données qui génèrent à chaque cas de figure un résultat cohérent avec l’observation. On peut donc désormais anticiper les positions.

Pour le reste de son travail, il y a eu aussi des erreurs. Les intuitions n’ont pas toujours été géniales.

Il s’est intéressé à l’astrologie, dont le caractère divinatoire était très demandé, y compris par son protecteur Rodolphe II. On ne doit pas sourire là. L’astrologie quand elle se contente de donner la position de certains astres à un moment T, est une science. On trouve d’ailleurs des applications qui fonctionnent à merveille et qui donne par exemple l’état du ciel à votre naissance.

Ce qui est condamnable dans l’astrologie, pour un esprit sain, c’est la volonté puérile d’en tirer des prédictions. Et notre bon Kepler, et par calcul et par une certaine conviction, s’est laissé aller dans cette mauvaise direction, tout en revendiquant une assise scientifique plus sérieuses que les habituels charlatans.

Il a pensé aussi que la position des astres pouvait avoir une incidence sur le temps qu’il fait. Ce n’est pas exact. Mais la question des marées, sur laquelle Galilée s’est planté, a à voir avec la lune comme on le sait bien maintenant.

(*) … et nous aussi dans notre quotidien nous avons une approche projective. Ceux qui ont un tant soit peu le sens de l’orientation, se déplacent ainsi, sur la base d’un plan ordonné dans leur cerveau. Plan interactif qui d’ailleurs est parcellaire et s’enrichit chemin faisant.

(**) C’est comme pour les sites de rencontre, il vaut mieux « voir » en vrai la personne avant de se faire un « film ». A partir de là une histoire peut vraiment commencer.. ou pas. Sinon on est dans le virtuel peu consistant et/ou le fantasme.

(***) ellipse / distance au soleil / climat : il y a quelque chose là dedans que je n’arrivais pas bien à comprendre.

Petite tentative de synthèse personnelle.

La distance au soleil :

Si l’on en croit le schéma https://fr.wikipedia.org/wiki/Orbite_de_la_Terre les apsides (positions extrêmes de la terre par rapport au soleil) sont actuellement de 152 millions de km au solstice d’été (hémisphère nord) et de 147 millions en hiver, alors de la variation de distance été/hiver due juste à la position de l’axe de la terre est minime (quelques milliers de km) par rapport aux distances précédentes. Il ferait donc en ce moment plus froid alors qu’on serait plus proche du soleil. Nous ne sommes pourtant pas en glaciation.

Si l’on considère le rapport entre les deux distances extrêmes Terre/Soleil, il n’est que de 3 % et donc ce ne sont pas les 5 millions de km de différence qui comptent vraiment, les rayons pouvant être considérés comme parallèles. On parle pourtant de 26 % de variation d’énergie reçue.

Il y a pourtant un rapport établi avec les cycles de glaciation, avec cependant des éléments perturbateurs et différés.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Param%C3%A8tres_de_Milankovi%C4%87 « la Terre au périhélie peut recevoir du Soleil jusqu’à 26 % d’énergie de plus qu’à l’aphélie ».

Si l’on met entre parenthèse ce qui précède, les facteurs majeurs dans nos climats tempérés seraient donc maintenant :

– la durée d’ensoleillement variable en rapport avec les 23 % de notre axe terrestre (chez nous moins de la moitié en hiver de celle de l’été)

– L’inclinaison des rayons (cosinus) (hauteur apparente du soleil) quand on s’éloigne de l’équateur, avec la question de l’épaisseur de la couche aérienne à traverser mais aussi l’angle lui-même qui détermine en partie la densité énergétique que reçoit la zone considérée (moins 50 % avec un angle de 60°) – mais il faut tenir compte du rayonnement global pas que du rayonnement direct.

– L’écosystème Terre. Sujet complexe et important mais non abordé ici.

La forte distance au soleil en ce moment (cela change par période multimillénaire) pourrait quand même tempérer un peu été comme hiver. A noter qu’il y a dix mille ans la distance au soleil était à l’inverse plus courte en été et plus longue en hiver, avec là comme conséquence, on suppose, un effet d’amplification des saisons. Cf les cycles de Milankovitch.

La puissance solaire maximale à la surface de la Terre est d’environ 1 000 W/m² pour une surface perpendiculaire aux rayons… pendant nos mois d’hiver, en hémisphère nord la durée d’insolation est relativement courte et le Soleil ne monte pas très haut dans le ciel

« Sous notre climat, le Soleil nous apporte annuellement environ 1 000 kWh/m² au sol, l’équivalent énergétique de 100 litres de mazout par m² ! »

https://fr.wikipedia.org/wiki/Glaciation

https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_astronomique_des_pal%C3%A9oclimats

« Cette théorie explique que l’énergie radiative reçue par la Terre en provenance de l’espace — essentiellement du Soleil — est quantitativement affectée de variations à long terme, corrélées à celles de son orbite et de ses paramètres de rotation. Les variations correspondent à la quantité nette d’énergie reçue, mais également à sa répartition et à sa « gestion » par l’écosystème Terre. La théorie avance que ces variations sont périodiques, et qu’elles influencent par conséquent le climat selon des motifs cycliques (alternance de périodes glaciaires et interglaciaires, notamment). »

https://fr.wikipedia.org/wiki/Johannes_Kepler

Envoi
User Review
0 (0 votes)

Laisser un commentaire