Un sujet de 1910, révisé en 1931, qui peut nous rendre fier de feu l’humour de qualité, à la française.
Georges Feydeau a façonné un vaudeville à sa façon. La charpente est solide et cela fourmille d’idées.
Le titre n’est pas du tout métaphorique et c’est bien de constipation dont on parle. Le récit se permet de flirter avec le scatologique. On y va dans le détail.
La présence angoissante du seau aux eaux usées, avec ses traces louches, juste au milieu d’un intérieur bourgeois, et même dans le bureau directorial, ça c’est nouveau dans le théâtre d’auteur.
Sur le même clivage dérision/sérieux, on note le sujet « vital » de la commercialisation d’un pot de chambre incassable à l’ensemble des troupes. La fortune de l’industriel Follavoine pourrait être assurée, grâce à l’invitation d’un décideur. Mais diable planquez ce seau dégueulasse. Plus dure sera la chute ?
Jacques Louvigny, un comédien que je ne connaissais pas, est le plus accablé des Follavoine. C’est le créateur de ce fameux vase de nuit en porcelaine, qui devrait être durable. A part que les essais dans le couloir de la maison en bousille un. Mais comme les ingénieurs se sont engagés et que cela n’arrive qu’une fois sur mille, on prend cela pour l’exception qui confirme la règle. Bien vu. Un autre vase, le dernier dans l’appartement est cassé à son tour. Donc cela nous fait du deux sur mille et non pas deux sur deux. Il fallait y penser.
- Louvigny oublié ? Il a pourtant 55 films français à son actif, de 1914 à 1950.
Marguerite Pierry est la femme de ce monsieur Follavoine et on ne peut pas dire qu’elle lui facilite la tâche. En bonne mère, elle privilégie la défécation de son enfant. Qu’importe les intérêts commerciaux de la famille et le sort des soldats si son fils ce jour « n’y est pas allé ».
Lors de cette invitation qui devrait sceller le marché, toujours en peignoir et vraiment négligée, elle assomme les uns et les autres de ces fadaises et ses lieux communs. Là encore l’absurde rivalise avec le réalisme maternel tout cru. Une entité, qu’on peut croire défendable dans l’absolu, mais qu’elle aurait du mettre entre parenthèse. Question de dose. Il y a aussi tous ses ressentiments, que l’on prête aux femmes au foyer et proto-Sandrine Rousseau de cette époque et qui déferlent.
- La Pierry est plus acide que la Maillan, dans le même sujet traité par Marcel Bluwal en 1961. On gagne donc en réalisme mais on perd en humour.
- Autre oubliée ? Etonnant avec 70 films de 1931 à 1961. Ce On purge bébé de Jean Renoir fut son premier.
- Elle a été l’épouse du comédien Marcel Simon (attention ce n’est pas Michel qui joue ici).
Sacha Tarride joue l’affreux Jojo/Toto de 7 ans, le fils Follavoine. Est-il un monstre d’égoïsme ou un gamin qui rejette à juste titre la torture de la purge ? De nos jours, on lui donnerait raison sur le fond, la pratique est en désuétude. Sur la forme, il en fout un bordel, avec ses injures et ses pieds dans le plat. Mais il reste toujours aux limites de la baffe.
Michel Simon est magnifique en haut fonctionnaire « aux armées ». Un grand cocu ignorant de sa condition, de plus. Et bien sûr, en cultivant constamment l’art du paradoxe, le grand Georges Feydeau en fait un planqué et dispensé de service militaire. Par contre il est aussi bêtement rigide qu’incorruptible. Mais son personnages sentencieux, aux multiples troubles digestifs, à la moraline bien trempée, est parfait. Il tentera une approche diplomatique pour que le gosse boive sa potion. Mais en fait c’est lui même, soumis à la pression, qui l’ingurgitera. Là encore, l’ubuesque devient acceptable, si on suit les méandres spécieuses du raisonnement. Rien n’est totalement faux dans l’argumentation de part et d’autre.
Fernandel fait une courte apparition en tant qu’amant de la femme du fonctionnaire. On ne pouvait pas inviter Monsieur et Madame sans adjoindre cette pièce essentielle. Ce jeu sur l’équilibre du trio est savoureux.
Et pour une fois Jean Renoir n’a pas trop abîmé le sujet. C’est sans doute du à ce scénario fortement calqué sur Georges Feydeau. Et puis Jean Renoir a été aidé de Pierre Prévert. Mais aussi, il pouvait compter sur le casting de choc. A partir de là, il est presque impossible de se planter.


Il faudrait quand même voir du côté des autres adaptations au cinéma :
- On purge bébé (1961) de Marcel Bluwal avec Jacqueline Maillan et Jean Poiret ;
- On purge bébé (1979) de Jeannette Hubert avec Bernard Blier et Danielle Darrieux ;
- On purge bébé (1996) de Yves-André Hubert avec Michel Galabru.
https://fr.wikipedia.org/wiki/On_purge_b%C3%A9b%C3%A9
https://fr.wikipedia.org/wiki/On_purge_b%C3%A9b%C3%A9_(film)
