Avis film. Retour à la vie. Blier, Périer, Jouvet, Reggiani. Clouzot, Cayatte, Lampin, Dréville. 8/10

Temps de lecture : 4 minutes

Quatre réalisateurs se sont emparés d’un thème sérieux, qu’ils exposent en cinq scénettes. Henri-Georges Clouzot, André Cayatte, Georges Lampin et Jean Dréville on traité, chacun à sa manière, du douloureux sujet du retour des prisonniers de guerre.

Curieuse déférence à la parité, qui fait passer en premier le retour d’une femme, que l’on a « explosé » à Dachau. C’est un des sketchs les plus durs. Sans se donner la peine d’attendre un hypothétique rétablissement, la sainte famille menée par Bernard Blier, cherche à régulariser une question juridique avec la tante Emma. Elle est devenue un quasi squelette, qui ne bouge pas et qui peut dire à peine quelques mots. Il s’agit de faire signer des papiers à cette ombre, pour laquelle même le stylo-plume est trop lourd. Blier s’excuse du bout des lèvres, une fois son mauvais geste accompli. La situation pathétique révèle l’immense fossé entre ceux de l’arrière qui faisaient leurs petites affaires et ceux qui sont passés par la case camp de la mort, souvent parce qu’ils ont été résistants et qu’ils se sont sacrifiés pour le bien de tous. Une très belle leçon que l’on doit à André Cayatte.

Du coup, le sketch suivant, de Georges Lampin, paraît bien artificiel et frivole. Il se nomme le retour d’Antoine. François Périer, ex-détenu, se recase en barman de la nuit, dans un hôtel réquisitionné pour des femmes soldats anglo-saxonnes, les Wacs (Women’s Army Corps). Le scénario se veut grivois. On nous vend cette « chance inespérée », pour un homme qui peut à présent frétiller dans une nasse pleine de pépés en manque. Mais cette farce grotesque est bien trop dérisoire pour nous entraîner. Dans la version que j’ai vu, on ne traduit pas les longues et multiples interventions en anglais, de ces donzelles en uniforme, droites dans leurs bottes.

On passe donc à la vitesse supérieure avec un Louis Jouvet boiteux, devenu misanthrope après qu’il ait souffert à cause des boches. Par solidarité avec ceux qu’on pourchasse, il planque un pauvre Allemand recherché ardemment par les autorités françaises. Mais le gars s’avère avoir été un tortionnaire de la Gestapo. Jouvet se trouve devant un dilemme. Mais avant tout, il veut comprendre comment un humain, qui a été prof comme lui, en est arrivé là. Bien entendu, on partage le même désarroi existentiel. Cela donne des dialogues philosophiques, durs et passionnants. Henri-Georges Clouzot réalise là une petite merveille. Il est aidé en cela, par un redoutable Jouvet, dans une forme cinématographique extraordinaire.

Noël-Noël est ce bon gars qui revient de loin. C’est désormais une brindille ballottée selon les circonstances. Ce quidam au bon sourire est acclamé comme étant le 1 500 000e rapatrié. C’est surtout l’occasion pour les politiques de faire leur show. Son ancien appartement est squatté. Il ne se plaint même pas. Ce qu’il veut, c’est retrouver ses chiens. On comprendra que ces animaux « savants » étaient le clou de son spectacle de dressage. Tout pourrait l’accabler, mais il ne sombre pas pour autant. Un court métrage presque poétique que l’on doit à Jean Dréville. Ce réalisateur a la bonté de nous faire un happy end.

Le dernier épisode, le retour de Louis est de Jean Dréville également. C’est à mettre dans une catégorie aussi violente et dérangeante que le premier opus sur la femme de Dachau, que nous a fait Cayatte. Serge Reggiani revient de captivité. Il n’a pas trop souffert. Mais il ramène dans son petit village meurtri, sa compagne, une Allemande. Il a pensé que les Français seraient moins bêtes et plus accueillants que les Nazis. Mais le mouvement de rejet est général. Personne ne le défend, bien au contraire. Même sa mère rase les murs. Quoi en penser ? Il y a eu des morts dus aux Allemands, chez ces paysans. Tout cela trouble leur deuil. C’est trop tôt pour pardonner, disent-ils. Cela fait penser. Nous partageons cette indécision. La jeune blonde se jette dans l’étang. Dréville la sauve et le village redevient un peu plus humain.

Hormis la piètre tentative d’humour avec le sketch du barman, ces récits sont vraiment formidables. Ils en disent long sur l’âme humaine et ses travers, qui s’affichent si clairement dans les situations critiques.

*

https://fr.wikipedia.org/wiki/Retour_%C3%A0_la_vie_(film,_1949)

Envoi
User Review
0 (0 votes)

Laisser un commentaire