Avis. Inland Empire – David Lynch – Résumé. (2006) 7/10

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AVERTISSEMENT : 99 % des spectateurs n’iront pas jusqu’au bout de ce film morbide et apparemment incompréhensible. Soit ils se désintéresseront de certains passages, soit ils s’enfuiront en courant.

Dommage de quitter le navire, car l’exercice du capitaine es cinéma David Lynch n’est pas sans intérêt.

Cette peinture dérangeante, multiple et complexe, qui dure tout de même près de 3 heures, peut se voir à l’état brut, sans réfléchir. On se laisse alors emporter par les fortes impressions successives, à la manière d’une œuvre d’art, qui serait totalement hors sol et gratuite. Il y a d’ailleurs une juxtaposition de nombreuses techniques d’expression visuelle qui commence dès la première image. On est indubitablement dans ce registre expérimental aussi.

  • Le tout début est dans un noir et blanc partiellement flouté, avec un réel effet esthétique et une forte charge émotionnelle, qui se suffisent à eux-mêmes. Ça commence bien !
  • Les plans suivants montrent un trio sur scène avec des masques en tête d’âne et des propos qui à ce stade semblent absurdes, et qui sont directement inspirés du théâtre d’avant-garde. Ce sont des scènes d’ailleurs qui ont été repositionnées ici à partir d’autres créations du réalisateur.
  • Par la suite, on observe sans arrêt le recours à des formes d’expression qui font bouger les lignes. Les visages sont pris de très très près. Des objectifs entraînent de légères déformations sphériques, que l’on note bien sur les lignes droites. Il y a des flous de focus bizarres et des caméras de poche avec une basse définition, etc.

Le sens est fuyant et en cela c’est également un procédé artistique. Mais si l’on veut tenter une explication à cette montagne de postulats imprévisibles, il faut tenter de s’arrimer à un pôle central, fût-il changeant. En l’occurrence, il s’agit de la femme protéiforme incarnée par la célèbre actrice Laura Dern.

  • Elle est vue sur toute les facettes. Avec un spectre de jeu étendu, qui va de l’élégante apprêtée et séductrice, à la fille des rues abîmée et repoussante. Ça c’est pour la forme.
  • Pour le fond c’est encore plus compliqué. Elle est tour à tour une bourgeoise qui vit dans une maison haut de gamme, une prostituée sur les plus sordides trottoirs, une femme fidèle, une femme infidèle, une actrice de renom, une folle authentique, une simple perturbée, un assassin au tournevis, une victime du même outil… et toujours une énigme.
  • On peut oser l’interprétation « cubiste » suivante. Paradoxalement, elle serait composée de tous ces possibles en même temps, et l’auteur le rendrait visible en une seule fois, sur un même tableau, ce long métrage. Et là, s’il est vrai qu’il faut de nombreuses heures pour essayer de connaître quelqu’un, on peut considérer que ces 3 heures là seraient insuffisantes… mais justifiées.

Certains décors sont habilement déformés, de manière à les rendre étouffants, comme ces couloirs qui semblent rétrécir, avec des contorsions qui empruntent au caligarisme. Un mouvement expressionniste dont on connaît les accointances avec le cubisme.

Ces déformations de perspectives touchent aussi les gens de son entourage. Les hommes qu’elle côtoie changent de rôle et de dimension, selon son propre état. Avec des jeux de miroirs, comme pour l’amant qui est juste un acteur qui joue l’amant, ou bien plus.

Mais David Lynch ne s’arrête pas là. Il rajoute encore une dimension spatio-temporelle dans son film. Une visiteuse bizarre parle à cette femme d’une position passée pour lui dire ce qu’il en est aujourd’hui. A moins que cela soit une position présente qui prédit ce que sera demain.

Une facture impayée, dont on ignore totalement de quoi il retourne, contient une forte charge qui la hisse au niveau d’une vérité. Elle devient une sérieuse menace car elle témoigne que l’enchaînement des causes et des conséquences, en tant que principe de réalité, est en train de voler en éclat. Comme dans les cauchemars.

Et quand il le décide, le réalisateur sort d’une scène qui semblait réelle, en nous montrant la caméra qui la tourne. Voilà qui annonce l’ambiguïté et la polysémie à tous les étages, pour notre maître du fuyant.

De plus, au sein même de la situation d’actrice qui semble la plus stable dans le film, on rajoute que ce n’est qu’un remake d’un projet non abouti où il serait arrivé les mêmes aventures aux comédiens d’alors. On ne sait même plus si les embarras de l’héroïne sont ce qu’on voit sous nos yeux ou quelque chose qui s’est déjà déroulé.

D’ailleurs et c’est bien vu, le paradoxe temporel est illustré par le fait que l’actrice de maintenant et la même du tournage précédent sont fugacement dans le même studio d’Hollywood d’un bout à l’autre du décor. Le jeu continue.

La fiction semble engendrer la réalité, à moins que ce soit l’inverse. Jeremy Irons assure que le film qu’il réalise pourrait apporter un Oscar à celle qui joue Laura Dern. Or Lynch a fait campagne pour que cela soit vrai. Ainsi l’intrication réalité fiction sort même de l’écran.

Et tout se complique encore, quand on voit que les évènements se déroulent en parallèle sur deux continents différents et dans des langues différentes.

Avec cette accumulation d’artifices explosifs, on peut difficilement dynamiter davantage l’exposé linéaire traditionnel.

A moins qu’on introduise dans ces atmosphères hautement dramatiques et flippantes, une vraie dimension humoristique. Et Lynch qui semble avoir pensé à tout, s’y essaye dans son théâtre d’âne. Le public, nous-mêmes et celui qu’il convoque, hésite en fonction des curieux dialogues entre le rire et le sérieux. La boucle est bouclée.

L’exposé est progressif et toujours à la frontière du sens et du non-sens. Cette configuration évolue avec les clés qu’ils nous donnent. Lesquelles sont fausses ou en tout cas déformées, pour la plupart. Et donc en s’attachant correctement, à la manière d’un excellent cavalier de rodéo, on peut tenir un moment dans cette quête d’une signification. Mais attention ce n’est pas du n’importe quoi, c’est un savant borderline. Très ou trop cérébral sans doute.

La musique pour une fois n’aide pas trop. Elle ne nous dit pas la vérité. C’est juste une sinistre basse qui se trimbale d’un bout à l’autre du film, sans claires indications.

Un des rares points fixes est le réalisateur interprété par Jeremy Irons, lui ne change pas. Il doit donc figurer la position tri-axiale et solidement assis, de Lynch lui-même.

Le déroulé a un côté récursivité à l’infini de type Ricercare à multiples voix comme ce que Douglas Hofstadter nous explique dans son livre Gödel, Escher, Bach : Les Brins d’une Guirlande Éternelle.

C’est un film déprimant et copieux. On n’arrive difficilement à le supporter d’une seule traite. Pourtant il me semble qu’on lui doit le respect… à moins qu’il ne faille s’en défaire en s’en moquant. L’un plus l’autre sont possibles également.

Une récompense de principe à la Mostra de Venise. Mais ce fut un total échec commercial. Cela on pouvait s’en douter. En tout cas dans notre pays où ce fut Les Bronzés 3 : Amis pour la vie, un film raté, qui a été en tête du box-office 2006.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Inland_Empire_(film)

David Lynch

Laura Dern
Jeremy Irons
Justin Theroux

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