Un film de deux heures et demi, que j’ai vu et revu plusieurs fois, toujours avec autant d’intérêt… et de perplexité. (Giulietta degli spiriti)
Mon dieu, que c’est une œuvre difficile à cerner. On sent plus ou moins confusément, qu’il y a là derrière quelque chose de profond. Mais quoi ?
Sur le fond et la forme, c’est sans aucun doute un film expérimental, mais qui a réussi. Après avoir exploré avec succès les nombreuses voies du noir et blanc, pour la première fois Fellini s’essaye à la couleur et c’est un coup de maître.
Et plutôt qu’un film, c’est une poésie chatoyante et éminemment rimbaldienne. Il a su échapper au côté pénible de la plupart des adaptations de ce genre littéraire au cinéma. Nous avons là le bateau ivre de Fellini, E la nave va !
Fellini nous donne à voir l’intérieur perceptif et fantasmatique, qui bouillonne en Giuletta, cette incarnation qui se confond avec sa femme Masina. Avec un talent incroyable, il arrive à figurer au dehors, ce qui se passe en dedans. Il donne ainsi autant d’importance à l’un et à l’autre.
Rarement on a pu voir une telle sincérité, une telle mise à nue. Du grand art.
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Cette grande bourgeoise, qui fait plutôt petite paysanne, est brinquebalée par les évènements.
Sous des faux semblants de vie accomplie, se cachent de multiples failles.
Mais depuis l’enfance elle a appris à cacher ce qu’elle pense et perçoit réellement. Elle se sent en dehors des turbulences et des passions du monde.
Totalement à côté, ne sachant quoi désirer, elle ne sait que faire semblant et cherche en permanence à sauver la face. Elle passe son temps à essayer de sourire, malgré tout, dans ce monde qu’elle ne comprend pas vraiment. Mais cela sonne bien faux.
Sa mère, la somptueuse et très extravertie Caterina Boratto, ne la trouve pas aussi belle que ses sœurs. Elle lui reproche ouvertement de ne pas soigner son apparence, cette valeur ultime très largement répandue dans ce milieu. Elle l’a met donc constamment en porte à faux avec sa vraie nature, faite de gentillesse, de passivité et de naïveté. Giulietta doit se sentir coupable et elle s’y conforme obscurément.
Son riche et puissant mari feint de la dorloter de l’aimer toujours. Mais en fait il a une maîtresse top modèle. Là encore les apparences mentent effrontément. Par un sursaut conventionnel de femme moderne, elle voudra en avoir le cœur net. Elle engage un détective, mais cette vérité brutale ne l’aide pas vraiment.
Ses domestiques se complaisent dans un rôle, comme le garçon de café qui joue le garçon de café (JP Sartre). Et ce monde atone, préfabriqué et bien balisé, est celui qui rassure Giulietta.
Un bel homme, ami du mari, passe par là. José Luis de Vilallonga, comme à l’habitude, se meut et parle avec style et une sibylline profondeur.
Et comme elle est toujours dans l’attente d’une clef, d’une explication, elle écoute avec une forte attention ses « messages », sans trop bien les comprendre.
Il est en de même pour cet oracle paradoxal qu’elle va être amenée à rencontrer et qui lui donne de curieuses indications, mais aussi ce message de l’au-delà transmis par une table tournante, cette séance interrompue de pendule magnétique au dessus de sa tête, cette incitation à la liberté sexuelle transmise par sa jolie voisine, ces petites moniale en file indienne dont le ridicule condamne implicitement la religion, ces autorités tétanisantes, comme ce vieux proviseur, et qui obèrent le savoir, ce curieux père qui s’envoie en l’air littéralement avec une jeune beauté, qui prône le détachement, ne l’aide pas non plus, ce salmigondis d’une psychanalyste qui est supposé lui dire quoi faire, cette suicidée qu’elle a connu, qui lui parle dans ses rêves, et dont l’exemple pourrait être La solution … Aucune des pistes n’est laissée de côté. Tout l’émerveille et tout lui fait peur. Mais elle continue à n’être qu’une spectatrice de sa vie.
Pour tenter de démêler les orages de son esprit qui l’épuisent et la font souffrir, elle est très sérieusement en quête d’une issue. A l’instar des esprits adolescents tourmentés, prêts à se soumettre à des mages et/ou à se donner à n’importe quelle cause.
Mais on peut y voir aussi une mélancolie débutante et un brin délirante, pour laquelle on pourrait proposer une solution authentiquement psychiatrique.
D’autres percevront dans le final ambigu, une femme qui se libère de la domination masculine. On n’est jamais à l’abri de telles interprétations depuis que les arguments de la lutte des classes ont cédé du terrain.
Mais avec ces dernières pistes là, on s’éloigne franchement de la poésie.
On peut y retourner aisément en plongeant dans cette belle mise en scène et ces décors extraordinaires, avec ces actrices de rêves, dans leurs atours étonnants, qui poussent la féminité jusqu’à l’extravagance. Je pense à Sylva Koscina, Sandra Milo, Silvana Jachino, Valentina Cortese, Valeska Gert etc etc.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Juliette_des_esprits
Giulietta Masina
Mario Pisu
Sandra Milo
Valentina Cortese