Avis. Laurel Canyon, Légende pop-rock Hollywood – Résumé. (2020) 8/10

Temps de lecture : 5 minutes

Excellent documentaire en 2 parties (Arte)

Laurel Canyon est une petite vallée proche d’ Hollywood. Sur ses flancs se sont retrouvés jadis tout un tas de musiciens prometteurs. Laurel canyon a fonctionné comme un incubateur, un think-tank avant la lettre, une Silicon valley. Cette conjonction de talents a fait éclore de grandes figures et de belles œuvres.

Cela a débuté au milieu des années 60 et a duré une dizaine d’années. On est tout proche de L.A. et les loyers n’étaient pas chers. Le cadre campagnard et forestier convenait bien aux jeunes poètes citadins de cette époque.

Il a fini par y avoir de nombreuses bicoques habitées par cette faune artistique.

Selon la légende, les portes n’étaient jamais fermées et ces esprits réputés libres, allaient d’un foyer à l’autre. Il y a donc eu un brassage de styles et d’idées. Ce fut ainsi le centre de ces premières retro-actions enrichissantes, qui ont permis aux uns et aux autres de développer hardiment leur manière. Ils ont tenu compte des appréciations de cette communauté informelle.

Dans ce genre, que l’on peut qualifier globalement de pop-rock-music, il y a un tronc commun de folk auquel se surajoute le blues et des influences diverses. Au final ces mélanges sont d’une grande diversité. Autant de fleurs originales dans ce bouquet du Flower Power.

Rétrospectivement les noms sont connus. Ces caractères semblent avoir été toujours promis à de grands destins. Mais c’est une illusion rétrospective. Les parcours étaient heurtés et rien n’était gagné d’avance. Mais comme c’étaient des « gentils », on se laisse aller à penser qu’ils ont été récompensés pour cela. Inconsciemment on fait intervenir dans leur bonne étoile, qu’on associe à une justice immanente. Ils étaient du bon côté et donc cela devait être ainsi, amen.

Cela n’a pas été si simple. Mais c’étaient eux, les bonnes personnes, au bon endroit, au bon moment. Pour certains, il s’en est fallu d’un cheveu pour qu’ils restent dans l’ombre. D’autres n’ont jamais vraiment percé. L’affreux Manson en a conçu du ressentiment. Quelques uns étaient très doués et la démarche était naturelle et facile, d’autres ont eu besoin de beaucoup travailler. Le documentaire raconte cela très bien.

Mais on pourrait réécrire leur histoire tout autrement. La mise en lumière du groupe LOVE, puis sa mise à l’ombre au profit des DOORS, en est un bel exemple. Leur petit label n’avait pas les moyens de propulser deux groupes et donc le premier d’entre eux a été mis à mort. Il faut dire aussi que leur mixité colorée ne plaisaient pas à tout le monde.

Ironie du sort, c’est LOVE qui a tout fait pour que les DOORS entrent dans la maison. Qui connaît encore LOVE ?

Pourquoi il y a-t-il eu consécration de cette musique pop-rock ? Il est très difficile de mettre parfaitement en équation cette question. Si le succès obéissait à des règles immuables, il suffirait à chaque fois de les appliquer. Mais bien entendu, il n’y a pas de martingale.

On peut juste souligner quelques grandes lignes.

D’abord il y a indiscutablement des cycles. Une mode musicale, connaît une progression un plateau un déclin, puis elle laisse la place à une autre.

En 1965, les baby-boomers aspiraient à autre chose que la musique de leurs prédécesseurs. Déjà ils arrivaient en masse avec de grands besoins.

Il se trouve aussi que les techniques de diffusion étaient abouties. Les supports étaient à la portée de tous. La radio et la télé étaient en mesure de s’ouvrir à ce qui paraissait comme de la nouveauté, avec certaines réserves cependant. Toute la chaîne de la production à la consommation était mûre.

La musique était devenue encore plus collective et ubiquitaire qu’avant. Il n’y pas que mon tourne disque qui donnait à entendre ces nouveautés. Ils étaient innombrables tout autour de cette bonne vieille terre. On le savait.

La musique a en effet multiplicateur sur l’individu. Avec elle, chacun est susceptible de devenir un peu plus que lui-même (pour le meilleur et pour le pire). Un petit groupe d’amis qui communient musicalement ressent cela très bien.

C’est une puissance partagée exponentielle qui peut atteindre une intensité considérable.

Avec les grands concerts, Monterey ou Woodstock, l’amplification des médias, la désinhibition de cette génération (avec ou sans substances), c’est devenu un phénomène supra-planétaire (on a mis le pas sur la lune à cette époque).

Une petite étincelle a suffi à cet embrasement généralisé. D’autant plus qu’apparaissaient ces talents appréciables.

Les jeunes artistes sans contraintes étaient libres d’expérimenter. Ils apportaient aussi une grande sincérité et une fraîcheur qui tranchaient avec les « produits » musicaux convenus d’alors. Ils n’ont pas hésité à s’inscrire, quand il le fallait, dans les problématiques de leur temps. Leur musique a pu témoigner et quelques œuvres sont devenues des hymnes pour leur génération.

Comme ils partaient d’un tronc musical connu et solide, il leur suffisait de développer de nouvelles branches au gré de leur inspiration. Les validations par leurs amis, par le groupe et par le bon accueil des petites salles de spectacle, leur confirmait qu’ils se dirigeaient dans la bonne voie. Ils étaient près pour la grande aventure.

Il fallait être suffisamment en avant, pour attirer l’attention et réveiller l’intellect et les émotions. Et rester dans l’esprit du temps et dans les limites de l’inconscient collectif, pour ne pas faire fuir. Ils ont pris le bon chemin, plus un renouvellement qu’une vraie révolution.

L’artiste s’inscrit dans une temporalité bien précise, avec ce que cela comporte d’adhésion et d’opposition. Il sait clairement quand il tient le bon morceau. Il a lui aussi son Eurêka. Mais ce n’est pas une transcendance, ou un cadeau du ciel, c’est la stricte application de la doctrine du juste milieu. Il a atteint le point d’équilibre. En cela, la création n’est pas géniale et hors sol, elle est juste parfaite… mais ancrée dans les canons (évolutifs) de l’époque.

Ils ont su flairer les nouvelles orientations prometteuses. Comme celles apportées par l’électrification des instruments.
Ils n’ont pas hésité à visiter le passé, dont les sources du jazz, comme avec leur voisin Little Richard et quelques autres.

Zappa a côtoyé de très près la musique expérimentale européenne, comme celle de Varèse et s’est aussi permis l’humour et la parodie. Ce qui ne l’a pas empêché de « signer » Alice Cooper.

Plus tard ils ont regardé ce qui passait bien plus loin et ont découvert eux aussi l’intérêt de fusionner parfois avec les musiques d’Asie et d’ailleurs.

Ils n’ont pas négligé les grandes figures novatrices, comme Jim Morrison et sa poétique.

Ils ont pris des claques salutaires quand ils ont été confrontés à l’agilité et l’inventivité prodigieuse des grands guitaristes, dont Hendrix et peut être Clapton.

Ils ont été soulevé et enrichi par la force ascensionnelle des Beatles et des Stones. Bob Dylan est aussi une source d’inspiration reconnue.


Ce qui devait arriver, se produisit. Ce qui a semblé être une formidable force émancipatrice et qui était entonnée par des voix très diverses mais avec un souffle commun, a fini par percer. C’était comme des évidences.

Certains destins sont vraiment emblématiques. Je pense ici au groupe Crosby, Stills, Nash and Young dont chaque membre a une histoire bien à lui et où cette conjonction de talents survient presque fortuitement, tant il y a eu dans leurs parcours de hasards et d’aventures musicales différentes. On pourrait presque en dire autant de Buffalo Springfield dont sont issus certains membre de CSNY.

On nous parle aussi des Monkees, des Byrds, des Mama’s and the Papa’s, de Joni Mitchell. Des artistes que je ne connaissais pas vraiment, mais que j’ai eu plaisir à découvrir ici.

Le documentaire est divisé en deux parties, selon un découpage classique. Il y a d’abord une sorte d’âge d’or insouciant de 65 à 69, la période Hippie. Puis une cassure brutale avec les crimes du clan Manson, l’épouvantable festival d’Altamont et les décès précoces d’artistes qui se sont perdus ici ou là. Je découvre alors la génération d’après avec Jackson Browne, Bonnie Raitt, Linda Ronstadt. Chaque époque a eu son style musical et c’est vraiment bien raconté.

De nombreuses archives musicales sont judicieusement mises à contribution. Deux photographes du Canyon, Nurit Wilde et Henry Diltz, nous montrent des clichés mythiques et commentent avec grâce le quotidien des artistes et les histoires de cœur. L’esprit n’était pas si libertin-libertaire que cela. Autant la rock star en devenir pouvait avoir des maîtresses, autant c’était un interdit tacite pour les filles du groupe que de batifoler ailleurs. La belle Michelle Phillips des Mama’s et Papa’s, la seule rescapée du groupe, l’a appris à ses dépens.

Chaudement recommandé à ceux qui ont la nostalgie de cette époque.

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