Avis. Looking for Eric – Ken Loach, Cantona – résumé (2009) 6.5/10

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Film feel-bad à la Ken Loach (réalisateur) avec du feel-good à la Cantona (producteur).

On a essayé de nous vendre le film comme drôle.

Mais comment imaginer, ne serait-ce qu’un instant qu’un film de Ken Loach, puisse avoir la moindre trace de drôlerie ? C’est un contresens.

Le réalisateur demeure on ne peut plus sérieux.

A travers ses amères critiques sociales, il est trop persuadé qu’il fait dans du lourd, pour se laisser aller à la blague. C’est un procureur de son temps pour qui le cinéma est un art de la dénonciation nécessaire voire vital. Il est en mission, il n’a pas de temps à perdre. Faut pas rigoler !

En ce qui concerne l’humour, tout au plus, met-il en scène l’artifice d’une incarnation un peu décalée de l’ange gardien. Avec la complicité et l’appui du footballeur-producteur Cantona qu’il aurait été difficile de caser autrement. Mais cette apparente entorse au réalisme socio-politique reste essentiellement métaphorique et fondamentalement utilitariste.

Si là, la rédemption doit se faire par le football, c’est que ce sport est éminemment populaire. Il a actuellement le statut de congés payés manière 1936. Ce défoulement, cette émulation, cette ferveur, ils appartiennent avant tout au peuple, à ceux qui hurlent dans les stades ou devant la télé. Les autres sont priés de regagner leurs loges. Il n’y a aucun mépris en disant cela. C’est un constat d’évidence.

Et même si ses vedettes sont outrageusement payées, ce sport collectif est celui des prolétaires. Les grands footballeurs sont des dieux et de ce fait ce qu’ils gagnent n’a pas d’importance aux yeux des supporteurs.

Ce n’est pas la même tasse de thé pour les patrons quels qu’ils soient, car ils sont réputés être des exploiteurs et des voleurs chez les amis politiques du cinéaste. Mais ça c’est une autre histoire.

On retrouve ici cette ambiance front populaire, telle qu’elle a été idéalisée par les cinéastes de cette époque. La guinguette au bord de l’eau. La belle équipe sera la solution au gros problème posé par un gang. C’est joliment peint à la manière Renoir père et/ou fils.

C’est l’idéal de la solidarité fraternelle du clan des petits, des obscurs. Là où l’on rêve que l’union de la base fasse la force. Idéal fusionnel rarement concrétisé dans la vraie vie, mais qu’importe ici on est au cinéma.

Tout cela a pris un coup de vieux. Cette fascination pour la classe ouvrière ou ce qui s’en rapproche, est d’une autre époque. Il faudra expliquer à Ken Loach que ces catégories sont en train de disparaître. La production est délocalisée, la spécialisation augmente inévitablement. Il faut profiter de notre énorme capital en infrastructures, en savoirs, en bien-être. Il vaut mieux fabriquer des Airbus que de continuer à produire des tee-shirts basiques. Ou bien favoriser ce qu’on sait faire en Grande-Bretagne, comme la finance.

Ce dernier point qui tient du sacrilège pour la vieille gauche nécessitera un sérieux « bon en avant » mental.

Et pour toutes ces mutations, on compte plus sur les cols blancs que les cols bleus.

Eh oui le fond de commerce de la défense des supposés damnés de la terre, c’est plutôt une histoire du XIXè siècle. On a déjà donné. Bien sûr en cherchant bien dans le vivier des malheureux on trouvera bien encore quelques survivants…

Ken Loach est « désespérément » bon quand il s’agit de montrer les humbles, les sans grades à la dérive. Ceux à qui rien ne sourit, qui sont sans espoir, qui sont ballottés et qui s’enfoncent inexorablement dans le néant. Il s’y connaît en banlieues moroses, en sinistres lotissements ouvriers, en mauvais garçons alcoolisés, en petits écrasés. Cela en devient culpabilisant à souhait !

Pour tout cela Ken loach est vraiment un cinéaste très doué. Son réalisme est sincère et méticuleux. Les enchaînements sont bien réalisés. La prise de vue est parfaite. Les dialogues sont très bons. Cela fourmille de bonnes idées. Somme toute, il est vraiment efficace.


Ses acteurs sont très parfaits et rendent l’histoire vivante. On vit avec eux ces difficultés, ces espoirs, ces rechutes. Ce qui est en somme un chemin de croix ou un parcours initiatique, selon les obédiences.

Même si les personnages vont très loin parfois, ils restent assez nuancés. Il y a suffisamment d’indétermination pour que cela ne devienne pas ennuyeux. Les interactions entre les uns et les autres sont soignées. Visiblement Ken Loach sait se mettre à leur niveau.

Bien sûr, on se doute depuis le début que l’ancien couple va se reformer et que ceux qui sont sortis du droit chemin vont le retrouver. Mais la façon d’y arriver conserve de bonnes surprises. Et vu la pression qu’on nous met d’emblée, nous avons absolument besoin d’un peu d’espérance dans ce film noir.

Là où cela pèche, c’est dans un certain manichéisme de ces histoires.

Même si c’est bien fait, cela tourne un peu en rond sur les mêmes thèmes. Ken Loach est doué mais il ne sait pas sortir des mêmes sujets de son système linéaire et quasi pédagogique. Comme on peut dire sans se tromper « c’est du Zola », on peut affirmer « c’est du Ken Loach ». Ou c’est les deux à la fois.

Comme il s’y accroche de longue date, on peut déceler chez lui ce qui est le profond conservatisme d’une certaine gauche. Celle pour qui tout va trop vite et il importe avant tout de freiner.

Il y a presque un regret de la crasse, des usines malodorantes, de la vie dure. Mais cela dans une sorte de nostalgie à la Tati, en Solex à travers Manchester.

En tout cas, pour ce conteur, un regret de ne plus avoir autant de ces histoires simples et édifiantes que pouvaient engendrer cette époque pénible.

Les grands cinéastes eux remettent tout en cause à chaque fois. On rêverait que le réalisateur mette son talent au service d’analyses sociales plus en adéquation avec les évolution de son temps. Ou qu’il aille explorer d’autres sphères.

L’inénarrable Cantona fait du coaching psychothérapique à coups d’obscurs aphorismes.

L’ésotérisme populaire de notre sentencieux footballer n’est pas s’en rappeler celui de Van Damme, un grain de folie en moins.

L’acteur en joue bien sûr, au point que le personnage central qu’il doit secourir montre des moments d’exaspération pour ce blabla. En pleine déprime ce n’est pas sûr que cela aide d’entendre des phrases sibyllines et définitives. Surtout quand elles sont plutôt destinées à motiver une joueur professionnel sur le terrain qu’un postier en désarroi. Et qu’au final elles ne prouvent pas grand-chose.

En terme religieux ce seraient des paraboles. En psychanalyse, on parlerait de surmoi.

Dans l’univers profondément de gauche du cinéaste, cela s’apparente aux slogans imagés du réalisme soviétique. De beaux chromos avec des héros le regard fixé sur les lendemains qui chantent.


Dans ce film souvent hagiographique, on sert outrageusement la soupe au devin-footballer. Pas question d’humilité : « je ne suis pas [juste] un homme, je suis Cantona ». Cela ressemble furieusement à un remake du fameux « … et je suis Picasso »

Rien de bien méchant puisque l’on s’en moque même un peu.

Mais il faudrait faire attention tout de même que l’on ne porte pas aux nues ce populisme pseudo-philosophique. Pas question non plus que ces artistes apparemment inoffensifs ne se mettent pas à rêver tout haut d’avoir réellement un message à porter.

Le passé et même le présent, ont montré qu’au delà du sourire possible, il arrive parfois des inversions de valeurs qui peuvent devenir dangereuses.

Or le populisme actuellement est au corner. Pourvu qu’il ne marque pas un nouveau but.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Looking_for_Eric

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