Avis. Lost in Translation – Bill Murray – Scarlett Johanssonn – Coppola – Résumé (2003) 8.5/10

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Un coup de tonnerre ! De quoi faire le ménage dans le ciel encombré des films romantiques. Il y a pour ainsi dire, un avant et un après du film de la fille Coppola, Sofia (la sagesse).

Comment cette petite mouche de 32 ans, est-elle arrivée à incorporer, si rapidement et si intelligemment dans ses œuvres, tellement de choses vraies sur la vie et les sentiments ?

Cette fraîcheur du regard me laisse sans voix.

Dire qu’elle a su se hisser sur les épaules de son père est très loin de la vérité. En fait, de part l’élégance de son propos et de part la finesse de l’ouvrage, elle est à une distance stratosphérique des longs métrages racoleurs, tapageurs et même parfois pompiers, de Francis Ford Coppola.

Lost in Translation est un coup de génie tourné en un mois au Japon.

Les deux acteurs principaux sont étonnamment fluides et inspirés.

Il s’agit de Bill Murray 53 ans alors – dont le grand registre va du comique efficace et/ou de qualité, comme dans SOS Fantômes et surtout Un jour sans fin, aux belles notes dramatiques comme ici dans Lost in Translation et plus tard dans l’excellent Broken Flowers.

Et puis il y a Scarlett Johanssonn, qu’on est libre d’aimer ou non. En ce qui me concerne ce n’est pas mon type. Mais ce jugement n’a rien à voir avec son réel talent.

Du haut de ses 19 ans, elle nous fait un numéro de très haut niveau, en prise avec la réalité d’une certaine jeunesse, mais qui va bien au delà. Elle développe des flagrances subtiles qui révèlent, par petites notes, sa forte personnalité. Et qui nous laissent aussi deviner un monde intérieur joliment fleuri.

En 2005, elle sera l’héroïne de Match Point de Woody Allen. Un film important également. Plus tard elle s’orientera vers le cinéma commercial et grand public. C’est son choix.

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Passons maintenant à l’histoire, c’est à dire au scénario que la réalisatrice a rédigé elle-même. Décidément, quel talent !

Cela se passe principalement dans un de ces grands palaces impersonnels à Tokyo.

Deux solitaires occasionnels, chacun marié de son côté, se sentent très isolés dans cette grande capitale. C’est l’heure des bilans.

Le monde nippon du dehors semble froid et factice, voire inhumain. Il y a une infinité d’artères surpeuplées et des lieux où les individus ne semblent vouloir communiquer qu’avec des machines. La nuit, tout est outrageusement éclairé par des néons stroboscopiques, aux couleurs vulgaires. Ce n’est pas du rêve qu’on leur vend mais de l’anesthésiant et de l’oubli. Et cela se voit très clairement.

Le monde du dedans n’est pas mieux. Le personnel se perd en courbettes. Il n’y a de distraction que le bar. Et là, sévit une chanteuse-crooner occidentale visiblement en fin de piste. Ce n’est pas encore tout à fait pathétique, mais ce n’en est pas loin.

  • Cette entertaineuse à peine décorative et factice sera d’ailleurs l’occasion d’une petite aventure. Ce n’est pas gai.

Il y a bien aussi une piscine, mais on en a vite fait le tour. Et la salle de gym est pleine de machines imprévisibles. Il reste la télé dans la chambre. Et ceux qui ont été cloîtrés seuls à l’hôtel connaissent sans doute bien l’insignifiance qui vous gagne, lorsqu’on y zappe tout et n’importe quoi. Même un bon Fellini devient insupportable dans cette prison, alors qu’on est juste réduit à un petit soi-même tout rabougri.

Bill est un acteur cinquantenaire et célèbre. Il est venu tourner une pub très clichée, mais très bien payée, pour un whisky japonais. Ce qui donne des scènes intéressantes sur l’incommunicabilité et sans doute sur la perte de sens en général et lors des traductions (lost in translation). Et rapidement on tombera dans un climat général d’étrangeté.

  • Il y a une autre passage où étant invité à une émission télé de grande écoute, il se retrouvera à faire le pitre avec un présentateur dans le style du sud-coréen Psy (Gangnam Style – 2012) – Sans que ni lui, ni personne ne sachent ce qu’ils font vraiment, ne parlant pas du tout la langue de l’un ou de l’autre.
  • Par la suite, l’équipe « bienveillante » lui enverra une call-girl un peu fanée qui aura la charge de l’émoustiller avec une sorte de comédie sado-maso. Un fiasco total qui procède du toc général ambiant. Bien vu en tout cas !


Les contacts téléphoniques avec sa femme, qui est toujours aux USA, sont assez formels et peu enthousiasmants. Et quand au décours d’une phrase, il lui dira qu’il est perdu, elle ne voudra pas l’entendre. Pour elle, qui est très occupée, c’est une crise passagère, qui ne mérite pas qu’on s’y attarde et qui se résout avec quelques phrases types. Comme avec un enfant. On ne la verra jamais.

Scarlett est la très jeune femme d’un photographe plutôt gamin. Ce joli garçon est très à l’aise dans le petit monde superficiel des vedettes et du paraître. Il est conscient de son rôle et sait la chance qu’il a d’avoir percé dans ce milieu très fermé. Il joue le jeu à fond, veillant à garder son rang, et ne laissant pas trop de place à sa femme de ce fait.

  • Il y aura des morceaux d’anthologie, quand ils rencontreront « son amie » Anna Faris – cette blonde perpétuellement étonnée de Scary Movie – qui campe divinement ici une actrice très connue et écervelée.

Notre héroïne elle, est cultivée. Elle a même un diplôme de philosophie. Mais elle n’arrive pas à échanger autrement que par l’amour avec son homme. Quand elle se lance dans son domaine de prédilection, il l’envoie gentiment dans les cordes, en l’accusant aimablement d’être une prétentieuse. Elle se demande où elle en est et si elle n’a pas fait une bêtise avec ce mariage. Mais elle est juste un peu bousculée. Cela ne remet pas en cause son attachement véritable.

Ces deux êtres d’exception, Scarlett et Bill, bien qu’ayant près de 35 ans d’écart, partagent les mêmes interrogations et le même déracinement profond. Il doit se produire quelque chose, question de survie.

Ils commencent en plaisantant.

Feignant de le voir comme un sugar daddy, la coquine lui recommande même d’acheter une Porsche, comme aspirateur à minettes. Il se prête au jeu de bonne grâce.

Pour tromper leur ennui, ils sortent ensemble dans des cercles plus inspirés. Ils iront dans des soirées mouvementées. Ils participeront à des karaokés de qualité. Ils se découvriront une magnifique connivence, avec ce synchronisme annonciateur de belles choses. Mais l’un et l’autre avanceront très prudemment, pour ne pas rompre le charme. Il paraît que Sofia Coppola les a laissé faire. Et c’est vraiment réussi.

Ces deux aristocrates, qui se sentaient perdus dans la plèbe, finiront par se trouver et vivront même ce qu’on peut appeler un amour platonique. Avec pratiquement toutes les phases transposées de l’amour véritable, dont ces expressions qui envoient un tas de signaux, les allers, les retours, même le passage au lit (chaste), sans oublier la jalousie et la déception.

Grâce à ce noyau affectif, peu à peu le monde reprend ses couleurs véritables et du sens. La belle sort parfois seule, mais avec à présent un autre état d’esprit. Il y a une belle scène où elle observe un mariage traditionnel, qui se rend à un de ces beaux temples en bois. La simple réunion des mains des conjoints prend alors une intensité considérable. Le film est plein de ces attentions délicates.

La force incroyable du propos, c’est que l’amour immense que vont finir par ressentir les deux protagonistes, et qu’il esquiveront tout au long de l’histoire, ne se traduira que par un seul profond baiser final. Puis chacun repartira de son côté, avec un large sourire aux lèvres. C’est comme s’ils leur avaient suffi de valider leur puissant sentiment, pour pouvoir reprendre le cours de leur vie, là où ils l’avaient laissé, muni de cette nouvelle énergie que de se savoir aimé. C’est très très fort !

Chapeau bas ! Certains appelleront cela un monument du cinéma. Mais le terme est trop lourd, pour une soie impériale d’une telle délicatesse.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Lost_in_Translation

Bill Murray
Scarlett Johansson

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