Avis. Mauvaise éducation. Cory Finley – Hugh Jackman – Résumé. (2019) 7/10

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(Bad education)

Attention, ce n’est pas le film d’Almodovar de 2003 !

Et Hugh Jackman, n’est pas Gene Hackman, loin de là !

Au risque de décevoir ceux qui ont aimé ce film, je dirais que celui-ci est un « produit » très formaté et main stream. Il est positionné dans ce nouveau créneau porteur, qu’est celui des criminels non violents. J’y reviendrai.

C’est un biopic de plus sur des malfaiteurs en col blanc. C’est à dire qu’il y a à la base, un scénario facile à pomper, c’est dans le domaine public. On a juste à s’inspirer de la réalité, pour faire le script.

Dès lors les bizarreries du vrai déroulé, sont aussi acceptables.

Et il faut voir comment les majors se bagarrent, pour être les premières à faire un film, sur des sujets réels qui ont touché l’opinion. Rien a priori n’empêche à la pluie de dollars de tomber. C’est un coup assez sûr.

A mon avis, cette pseudo-martingale du « c’est une histoire vraie !» est surévaluée. D’abord parce que le biopic a toujours un côté imitation-singerie. De plus, ce récit est bien sûr romancé. Le scénario est aménagé, pour respecter les fameux codes du suspense.

Et pour le « story telling » large spectre, on met en avant les exploits d’une gosse. Cette vaillante lanceuse d’alerte est bien jouée par Geraldine Viswanathan.

A partir de ses travaux, pour un article qui sera publié dans la feuille de chou du collège, elle finit par découvrir les documents qui prouvent la magouille. Les médias nationaux feront le reste.

  • Cela fait toujours bien de mettre en scène une petite David(ette) contre Goliath. Ce n’est qu’une de ces innombrables variantes des récits ciné, du combat de l’individu contre le (un) système. L’oncle Sam peut dormir tranquille. Rien de bien nouveau dans cette mise en perspective classique.

A l’origine de l’affaire, il y a des responsables d’une école publique américaine, qui de fil en aiguille, ont fini par détourner des millions de dollars.

Au début, ils n’utilisaient les cartes bancaires de l’établissement, que pour des petits achats personnels. Puis comme rien ne semblait les arrêter, ils ont fini par amasser de très grosses sommes. Ils ont été jusqu’aux fausses factures et aux entreprises bidons. Pourtant tout cela a été passablement brouillon, voire expérimental.

Qui pourrait croire une fable pareille ? Il y a tant de sécurités dans nos pays civilisés ! Tout un petit monde n’a que cela à faire (ou presque) : mais qu’ont fait les comptables, les contrôleurs de gestion, les commissaires aux comptes. Le tout est sécurisé sur plusieurs degrés, l’étage immédiat, le contrôle de district etc.

Et je ne parle même pas des évidences criantes, comme le train de vie stratosphérique, les propriétés de grand standing…

Dis comme cela, la réalité dépasse largement la fiction.

C’étaient pourtant à la base des gens respectés et parfaitement insérés. Mais de petits larcins en grosses magouilles, ils ont atteint les sommets délictuels. Ce serait la plus grande escroquerie du genre.

Ils ont ébranlé tout le système scolaire américain.

Une femme, très bien jouée par Allison Janney, en a vraiment profité. Elles s’est fait construire des maisons luxueuses et a arrosé largement ses proches. D’après le film, ce serait d’ailleurs les maladresses de gens de sa famille, qui ont fini par mettre la puce à l’oreille. Les jeunes auraient fait chauffer jusqu’à l’incandescence les cartes bancaires de l’école. Ils se seraient même fait livrer leur rapine à domicile !

Le directeur, assez bien interprété par Hugh Jackman (**), a largement abusé également. Il a quand même, dès les premiers plans, ce petit regard en coin et ce côté pas tout à fait net.

  • De quoi mettre le spectateur dans la connivence. Impossible de montrer un escroc indétectable à l’écran. Pourtant en vrai, ce qui réussissent sont forcément transparents.

Le film le montre comme le malin de l’histoire, mais aussi comme un personnage dévoué et bienveillant. Il serait arrivé à hisser cette école, quasi inconnue, parmi les meilleures.

Il y a juste à un moment, devant une parente d’élève enquiquinante, qu’il perd son sang froid. Il est supposé alors montrer son vrai fond.

  • C’est un rituel convenu. Pas question qu’on fasse passer le message qu’une vraie crapule puisse être tout à fait ordinaire. Le mal doit être en lui, ontologiquement. Tôt ou tard le vrai fond apparaîtra. En tout cas, c’est convenu comme cela dans la doxa d’Hollywood et de celle des cinquante États.

Le succès a toujours été le meilleur moyen de faire taire les critiques. Et qui pouvait croire qu’il était impliqué avec son beau palmarès.

  • Il y a un fond de candeur quasi religieuse aux USA, envers ceux qui sont censés faire le bien autour d’eux. D’où le prestige des innombrables prédicateurs qui « profitent » du statut fiscal avantageux des églises. On pense ici aussi à l’admirable film La nuit du chasseur.

C’est ce Frank Tassonne qui au début des révélations, parvient à endiguer les révélations, en maniant carotte et bâton.

Il y a dans le scénario une certaine complaisance pour cet anti-héros. Mais on peut l’expliquer.

Jadis les films hollywoodiens n’avaient pas peur de mettre en avant des criminels effrayants. Même si le code de moralité faisait qu’ils étaient punis à la fin.

Or de nos jours les assassins ne font plus tant recette (à part les orgies meurtrières des tueurs en série). Les escrocs et les voleurs non violents, ont pris le relais. On en auréole même certains. Surtout ceux qui s’attaquent au puissants ou aux institutions. Comme s’ils portaient en eux une revanche symbolique des humbles, contre les nantis. On peut noter également que les nantis en question, passent eux-mêmes pour des escrocs aux yeux du public. Toute fortune leur est suspecte.

  • Quelques exemples de pirates valorisés :
  • À l’origine (2009) où Cluzet joue un escroc très crédible. Il parvient à faire construire un morceau d’autoroute. Il n’est pas traité comme un vilain dans le film. La plupart des spectateurs se sentent pas touchés personnellement par le dol. Ils jubilent même comme s’il s’agissait de l’arnaque plaisante d’un Robin des bois. Voilà pour cet escroc de cinéma !
  • 11.6 (2013). Toujours avec notre Cluzet. Il incarne Toni Musulin, ce convoyeur qui a subtilisé 11 millions, juste en appuyant sur l’accélérateur de la fourgonnette. Et croyez moi, il y a des gens pour l’applaudir. Ce ne sont pas leurs sous… pensent-ils.
  • Arrête-moi si tu peux (2002) Un excellent film de Spielberg, qui n’a pas été le dernier à flaire le filon. Le fringant Leonardo DiCaprio figure à merveille cet escroc légendaire qui a les faveurs du public.
  • On n’est pas loin de la vraie vie d’escroc de Christophe Rocancourt. Un malfaisant retord qui a brisé des vies, mais qui conserve pourtant une certaine estime du public.
  • Il y a eu de vrais voleurs de riches au profit des pauvres. Comme ce voleur de grand chemin, Louis Mandrin, au XVIIIe siècle, qui a même été défendu par Voltaire ! Et que dire de ceux qui pleurent pour des Bonnie & Clyde ?
  • On ne peut pas dire que le faux médecin de l’OMS qui a tué toute sa famille, pour dissimuler la vérité, soit « valorisé » par les foules. Mais Jean-Claude Romand suscite quand même un très grand intérêt. Il en est de même de Dupont de Ligonnès. Même ces escrocs qui sont eux des criminels, ne laissent pas indifférents. La fascination demeure.

Mais dans les cas simplement délictueux, comme dans Mauvaise éducation, pour plaire, il faut au minimum, de l’intelligence, du panache et si possible un beau sourire. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. Et ces profiteurs là, n’ont pas du tout envie qu’on les arrête.

Ces « pointures » se présentent eux-mêmes, comme au dessus du lot. Ils font tout pour échapper à l’analyse. Ils doivent garder leurs secrets. Un psychologue aurait du mal de reconnaître ses petits, dans le nuage d’encre, que ces garnements projettent en permanence. Les défenses sont au point, pas question qu’on atteigne la forteresse.

  • La structure prévalente chez ces falsificateurs est le caractère paranoïaque. Chez ceux qui réussissent, il n’est pas question de psychose paranoïaque, qui serait elle facilement détectable. Il s’agit d’ériger un système où tout est ordonné et calculé. Il ne devrait plus y avoir de place pour le hasard. Même si cela amène à des échafaudages quasi délirants.
  • On peut aussi noter de la mythomanie et de la mégalomanie. Mais je les crois plutôt instrumentalisées, au service du personnage qu’ils se créent. D’ailleurs ces porte-à-faux permanents peuvent être aussi de bons outils pour tester la crédulité de la proie.
  • Ils ont compris aussi qu’il est aisé de se construire un vernis éducatif passe partout. Surtout dans une société qui prend comme référence culturel les quizz télévisés et qui pense qu’on achète son entrée dans le monde des happy few, avec un tee shirt de marque à 50 euros.
  • Il y a en outre un indéniable côté psychopathe, dans la mesure où ils n’ont aucun scrupule et aucun remord pour les victimes. Cela peut se combiner à une certaine perversité narcissique.
  • Puisqu’on en est à la psychopathologie, on peut se demander si de tels personnages n’ont pas une endurance particulièrement élevée au stress. En effet, ils doivent vivre en permanence avec l’idée qu’ils puissent être attrapés.
  • Enfin certains de ces caractères semblent éprouver plus de plaisir à chasser et à prendre, qu’à garder. Ils dépensent souvent sans compter, et se retrouvent souvent dans le « besoin ». Comme s’ils voulaient être à nouveau, dans l’obligation plaisante de recommencer.

Par contre, les occasionnels minables, les besogneux de l’arnaque, les Picsou qui gardent tout pour eux, n’ont eux pas droit aux mêmes vivats. Et ces tristes sires semblent vouloir tout faire pour se jeter dans la gueule du loup. Des maladroits suicidaires, en quelque sorte.

Pourtant chemin faisant, le furtif peut finir par acquérir certaines des qualités du professionnel. Et c’est peut-être cela qu’il cherche, au fond, plus que les avantages en nature. Il vise l’aisance relationnelle, le bagout, l’entregent de l’escroc. Ces narcissiques, dont certains ont été longtemps méprisés, veulent avant tout être admirés. Plus la forme que le fond. Et cette « récompense » de l’égo, vient sûrement au fur et à mesure que les méfaits les font grimper dans l’échelle sociale. Ils se pensent alors validés, comme étant au dessus des autres. La reconnaissance qu’ils cherchent désespérément.

Leur but est donc avant tout de devenir une belle figure de la réussite sociale. Et en cas d’échec, il s’agit de se présenter comme un escroc de légende. Toujours l’image !

Alors que l’escroc véritable vise d’abord la réussite de ses entreprises et les bénéfices concrets. Ce dernier n’en a rien à faire d’être un personnage célèbre. Au contraire, ce n’est pas bon pour le business.

Le film traite aussi beaucoup de l’opposition entre un paraître solaire et le côté obscur. Cette alternance de Jekyll et Hyde, que le bon peuple nomme improprement une « schizophrénie ». Le double jeu est aussi un truc facile de cinéma. Il faut dire qu’à partir du moment où on a des acteurs, il y a forcément de multiples facettes à disposition. Autant s’en servir.

Dans la vraie vie, et surtout chez les escrocs, il y a bien entendu des dissimulations, mais la tâche des « petits » est moins facile que chez les pros. Les rôles sont donc moins achevés. N’est pas comédien qui veut.

On nous parle également en long et en large de l’homosexualité du personnage principal. Dissimulée dans son milieu professionnel, mais largement assumée dans sa vie privée (on est en 2004 pourtant)

  • Du temps de sa prohibition, il y a eu des rapports connus entre l’homosexualité et l’entôlage, une branche de l’escroquerie. Il suffit d’évoquer le cas d’Oscar Wilde. Mais ce n’est pas la question ici.

C’est plutôt un background entre l’orientation sexuelle du superintendant malfaisant et sa psychologie. J’ai du mal à en tirer une conclusion. A part que chez lui, il y a aussi ce penchant pour la dissimulation. Personne ne savait, et il aurait même inventé une épouse défunte, pour ne pas être ennuyé. Une feinte qui serait un point de départ vers d’autres manipulations ?

Et les personnes lésées ? L’école va subir une lourde dépréciation. Dans le système américain cela met en péril l’accès aux bonnes universités. Les parents des collégiens dans le film sont vraiment en colère. Ils sont dépités car le directeur en chef « il avait l’air tellement sincère » et ils lui reprochent d’avoir « joué les seigneurs ». On voit bien que leur système de valeurs repose sur des codes et l’appréciation des signes extérieurs transmis par une personne. Et qu’à présent tout est chamboulé. Mais on observe aussi, que tout « naturellement », les gens respectent une hiérarchie féodale tacite. Il y a pour eux des seigneurs qui ont le droit de paraître comme tels. Et des humbles qui ne doivent pas la ramener.

Si j’étais de la police, je me renseignerais sur les nouveaux riches qui se procurent le film. Il y a quand même quelque chose de bizarre, à se jeter sur ce genre de produits. Il doit y avoir pas mal de fraudeurs narcissiques là dedans.

  • (*) En ce qui concerne l’industrie cinématographique américaine et son formatage très précis, on peut reprendre exactement ce qu’écrivent Bardèche et Brasillach dans leur Histoire du cinéma (sur la période juste avant la deuxième guerre mondiale) :
  • Pour les Américains…. un film doit rapporter de l’argent… il soumis aux règles qui ont fait leurs preuves pour d’autres branches commerciales. La statistique des succès a le dernier mot. On estime qu’en dépensant 100 dollars pour le film, on doit retrouver 100 dollars de recettes. Quand le film est projeté devant le public, on mesure son succès à la supériorité ou à l’infériorité des résultats obtenus par rapport à cette estimation idéale. Un film affecté du coefficient 250 a rapporté 250 dollars de recettes pour 100 dollars de capitaux. Et, chaque semaine, un journal spécialisé fait paraître une cote des films de l’année, dans laquelle on peut lire le coefficient de chacune des œuvres réalisées établi d’après cette règle. Jusqu’ici, ce n’est que du commerce.
  • Mais voici où nous touchons à l’art. Ces constatations ne sont pas perdues. Le classement ainsi obtenu est un thermomètre du goût du public. Il sert immédiatement à déterminer dans quel sens on doit travailler. On y lit, sans aucun effort, qu’un placement en western est meilleur qu’en comédies, que les gangsters rapportent deux ou trois fois plus que les films de music-hall. On y lit surtout la grandeur et la décadence des modes. Sur cette espèce de bourse du cinéma, on suit la hausse du film de gangster, sa transformation en film policier puis le déclin de l’un ou de l’autre; il se déclenche une baisse sur les westerns et un boom sur les films montrant des journalistes. Et tout aussitôt ces mouvements provoquent l’abandon d’une série de films et au contraire la prolifération d’une autre série. C’est cette cote des films qui explique que les œuvres individuelles aient d’abord été assez rares, dans toute cette période d’adaptation du parlant qui se poursuit en Amérique jusqu’à la guerre et qu’on constate surtout l’apparition de « séries ». On vit successivement le succès puis le déclin du film désuet, du film « rayonnant », du film de gangsters, du film de police, du western, du film social, du film de music-hall, du film de danseurs. Chaque série nouvelle est parfaitement repérée à Hollywood; elle est cataloguée dès son apparition; et l’on sait d’avance qu’elle pourra fournir quatre-vingts films en moyenne.
  • L’histoire du cinéma en Amérique, finalement, ce n’est pas autre chose que la naissance et la disparition de chacun de ces groupes de films; ces séries ne nous apparaissent pas dans toute leur netteté en Europe parce que nous ne voyons qu’une partie de la production américaine, mais leur sillage est cependant assez sensible pour fournir un classement commode.

(**) Hugh Jackman : cet acteur Australien qui s’est fourvoyé dans des navets du genre Wolverine et X-Men, n’est pas trop ma tasse de thé.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bad_Education

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