La Neuvième Porte (The Ninth Gate) est le gros morceau que l’on doit à Polanski, qui traite frontalement de Lucifer. Cette « entrée » fait donc l’objet d’un traitement à part.
D’autres parties de l’analyse sont accessibles à partir de cette “porte” : Explication. 9ème porte. Résumé. Polanski initié athée. Necronomicon. Livre Révélation
Chacun y va de son interprétation.
I) Comme le dit Frater LCF
- On peut se référer à une interprétation gnostico-platonique quasiment canonique: Corso serait Lucifer, incarné dans sa descente dans ce monde, et donc amnésique quant à son essence véritable. Le rôle du livre-épreuve et de la jeune femme (Sophia?) est de le conduire (initier) à la réalisation de sa véritable nature (son palais de lumière). –> Nunc scio tenebris lux
II) Une analyste bonne élève sur lescarnetsdebord verse timidement dans du Lacan : “les livres ont un rôle primordial dans le film de Roman Polanski (oserai-je faire remarquer la beauté du prénom du réalisateur?).” Et sa « thèse » appuie beaucoup sur les sens multiples des grimoires et des bibliothèques.
Le point “factuel” qu’elle soulève est important “un élément supplémentaire impose son pouvoir : la présence presque « physique » des protagonistes de l’histoire dans ce livre à travers des personnages arborant leurs traits dans les gravures de celui-ci.“
- Pour le reste c’est en effet un devoir interprétatif de la jeune, avec bcp sur le livre et ses éventuelles significations. Mais cela a le mérite de remettre en tête certaines scènes avec ici des copies intéressantes des pages modifiées. Je ne sais pas où elle les a trouvé (ce ne sont pas des copies écran)
“Nous avons ici cette fille qui chevauche une bête à sept têtes qui, selon certains, serait le symbole de l’homme refusant le Christ.” – ça elle l’a piqué pour partie à notre “ami” Rudolf Steiner
- Il faudrait plutôt dire ceci : Dans le christianisme gnostique les sept têtes de la Bête sont l’expression vivante des sept péchés capitaux. La Bête est chevauchée et domptée par sainte Marie Madeleine qui représente ainsi la domination des passions et des vices. La sainte est démoniaque et libère toutes les passions symboliques de sa monture, au lieu de le contrôler.
- On est dans une élégante mise en abîme de ce fait.
- Et cela ne s’arrête pas là. Marie-Madeleine est la femme ambivalente de Jésus ; à la fois pute et sainte. Mais c’est aussi la Mère paradoxale, donnant la lignée du Sang Real (Saint-Graal) au « chaste » fils de dieu. C’est le coup de la vierge Marie, mais à l’envers.
Stimulant quand même, mais il ne faudrait pas que notre “lecture” du film, ne soit qu’une recherche l’interprétation quasi mot à mot. Là, la substance s’échapperait.
D’ailleurs notre jeune conclut :
“J’aime donc La neuvième porte pour diverses raisons. …”
et dernière phrase :
“… Pour plein d’autres choses impossibles à expliquer.”
III) Richard-abibon nous la joue à la psychanalyse :
« Tout au long du film, une magnifique femme blonde (Emmanuelle Seigner) vient au secours de Dean Corso chaque fois qu’il est en péril. Puis, elle disparaît.
Un ange gardien ? L’hypothèse est explicitement évoquée
Visiblement elle a des pouvoirs surnaturels. C’est avec elle que notre détective érudit fait l’amour devant le château en flammes (c’est pas donné tout le monde ! je m‘inscris pour le prochain coup). Au cœur du plaisir sexuel, la jeune femme arbore des expressions diaboliques. Est-elle donc si angélique? C’est la vraie clef du mystère. Satan bouche un coin! Ce mystère est celui du corps en tant que sexué. Les neuf portes sont les neuf ouvertures du corps. La neuvième étant le sexe: ouverte ou non, bouchée ou non, c’est selon le sexe, alors que les huit autres sont semblables chez tous les humains. »
IV) La palme de la bêtise vient à ce prétentieux de Didier Péron de Libération, qui ose en parler ainsi à sa sortie en 1999 : “Polanski prend la porte Son dernier film est un ratage intégral. La Neuvième Porte devrait faire date dans l’histoire du merdouillage forcené et de la gabegie intégrale”
V) Polanski joueur insaisissable
Je me lance à mon tour.
A noter que Polanski joue toujours plusieurs cartes en même temps. Il brouille le Tarot. Ici comme dans d’autres films symboliques.
Il a même été jusqu’à dire que l’échec du film tient au fait que les gens n’auraient pas remarqué l’humour du film (moquerie sur les satanistes). Ce qui est bien entendu une boutade de sa part : « «Peut-on faire un film sérieux sur le diable?»
Polanski se balade sur la ligne pointillée en fait :
– humour/sérieux (on finit par prendre le satanisme au sérieux et patatras, la version « saturn gnosis » avec ses charlots, c’est du flan avec ce Balkan qui n’hésite pas à se montrer sacrilège lors de la grande cérémonie – C’est un ouf de courte durée pour les rationalistes – Car Corso est sur le vrai chemin, il franchit la 9ème – Et en fait, ce n’est quand même qu’un film, et en sortant de la salle de cinéma, on passe la 10ème porte)
– comédie/tragédie « J’étais un enfant gai. J’adorais les farces, j’aimais rigoler. Mais les parents qui manquent [Shoa pour certains], il n’y a rien de plus terrible pour un enfant ».Il est le réalisateur de Pirates, sans doute le meilleur film sur le thème éponyme et là l’humour dans la peine est prodigieux. Un échec commercial pour un chef-d’œuvre, encore une sacrée ambivalence.
– modernité/temps anciens voire immémoriaux (le « passage » possible, il est là, mais Polanski se garde d’en rajouter : on ne traverse ni les époques, ni l’Europe instantanément, en entrant dans une armoire magique – Mais en fait ces livres conçus par Lucifer enjambent le temps mais sont de nulle époque… Franchissant toutes les dimensions, ils ne peuvent être accessibles qu’à Corso, le Pagageno improbable qui prend la place de Tamino. Pour cela l’apprenti se débarrasse du mauvais faux Hiram, mais est dompté par la Reine de la nuit (je reprendrai tout cela à tête reposée)
– croyant/incroyant (eux-nous-eux-lui) – C’est l’éternel problème de la « révélation », elle n’apparaîtrait que si on s’agenouillait et on s’y donnait à fond. Le charlatan vous dira « mais vous n’avez pas été assez loin dans votre « lâcher prise », c’est pour cela que rien ne s’est produit. Et « l’illuminé » ne pourra plus rien révéler. On peut donc juste en approcher les bords.
– intellect/pulsion (ou raison et passion) (d’abord c’est le plus dépassionné Corso qui est là pour le fric – et à la fin c’est le désir puissance infinie de la chevauchée finale)
– réel-irréel (déplacements Seigner avec les moyens modernes de locomotion et des habits contemporains…mais aussi dans les airs mais dans une lévitation presque imperceptible et des « yeux »…)
–homme/femme : «Le diable peut prendre n’importe quelle forme. Alors, autant que ce soit une belle femme.» – Polanski.
– jouissance/souffrance : l’épectase finale de la 9ème renvoie au sado-masoschisme de La Vénus à la fourrure de 2013, une belle inspiration du roman érotique de Sacher-Masoch
– sexe/cinéma : « Quelqu’un de passionné par le cinéma est presque forcément passionné par le sexe. Vous aurez du mal à trouver des cinéastes importants qui ne le soient pas.» – Polanski.
– saint et démon. – Les religions actuelles taisent les rapports très proches de ces versants supposés opposés) et Seigner est à la fois un ange gardien et le vecteur démoniaque ultime.
– ombre/lumière : Nunc scio tenebris lux
– ordre/chaos : Ordo ab chao (cf Carnage )
Je vais prendre le temps de creuser encore…
Explication. 9ème porte. Résumé. Polanski initié athée. Necronomicon. Livre Révélation
Voir aussi : Polanski, l’incroyant au Diable, auto-sodomie par sa propre chasteté (Dali)
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_V%C3%A9nus_%C3%A0_la_fourrure_(film)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Monstre_sur_le_seuil
https://docplayer.fr/41081539-Richard-abibon-la-difference-decisive-a-propos-de-la-neuvieme-porte-film-de-roman-polanski-la-neuvieme-porte.html (un peu trop psychanalytique à mon goût)