Avis. Propriété interdite – Sydney Pollack – Natalie Wood – Résumé. (1966) 7/10

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Cette réalisation de Sydney Pollack, co-scénarisée par Francis Ford Coppola, est une saga puissante, bien qu’un peu rapiécée dans sa forme vers la fin. (This Property Is Condemned)

Dans les temps durs de la grande dépression, Natalie Wood incarne un petit oiseau de paradis qui vit en grande partie dans une bulle poétique. Elle réside avec sa mère et sa jeune sœur, dans ce bâtiment situé juste en face de la gare. Et ce très joli personnage est aussi confronté à la dure réalité tant elle est ballottée par ces hommes rustres du rail. Ces sauvages sont dévorés de désir. Même le compagnon de sa mère, joué par Charles Bronson, la convoite quasi ouvertement.

Sa mère (Kate Reid) est une forte personnalité. Armée de courage et de ténacité, elle vivote grâce à une petite pension de famille décrépie. Elle tient son monde d’une main de fer. Ce n’est pas toujours facile de contenir ces cheminots avinés.

Elle voit dans sa jolie fille, sa planche de salut. Déjà à court terme pour faire venir les clients au bar de son établissement, mais aussi sur le long terme pour lui permettre de faire une fin, avec l’espoir de la caser dans un beau mariage. Et pour cela, bien qu’elle y mette un peu les formes, elle ne cherche qu’à la mettre dans le lit d’un riche vieux et terne. Lequel pourrait procurer à elle et à ses deux filles, une maison de la grande ville et une rente. Elle compte sur l’obéissance inconditionnelle de Natalie. Et elle la contraint moralement, en faisant valoir les sacrifices éducatifs qu’elle a fait pour elle.

Robert Redford passe par là, sans que l’on sache trop ce qu’il vient faire dans ce petit village minable, centré sur une petite gare crasseuse.

En fait c’est un débaucheur. Comme le ferroviaire ne fait plus recette, il a été parachuté là pour dégraisser. Un métier facile techniquement, mais éprouvant moralement. De plus les bannis se rebiffent et n’hésitent pas à maltraiter ce porteur de tristes nouvelles. Ses supérieurs ont tellement la main lourde que cela signe la fin de bon nombre de foyers et donc indirectement la mort de la pension/bar de ces dames.

Alors qu’elle ne sait rien encore de tout cela, Natalie Wood est franchement attirée par ce citadjn de niveau supérieur. Outre les atomes crochus, il incarne l’attrait magique de la grande cité dont elle rêve depuis toujours. Elle lui tourne autour en faisant des cercles de plus en plus proches. Et Redford n’est pas de marbre, mais il reste sur ses gardes. Il est à la fois séduit par la composante éthérée de cette jeune femme doublée d’une beauté étonnante, mais également décontenancé par son côté hors sol. Cette chorégraphie amoureuse est joliment menée. Il y a dans ces atmosphères complexes, avec ces oppositions tranchées, ces êtres désabusés et cette rêveuse souriante mais intérieurement angoissée, un parfum qui rappelle Un tramway nommé Désir (1951), un œuvre majeure également adaptée de Tennessee Williams.

Les évènements se précipitent. Les ouvriers cassent la gueule à Redford. Il doit partir le lendemain. On sent que Natalie a envie de le suivre et de partager sa vie. Du point de vue du spectateur c’est la seule solution. Cependant à ce stade, la jeune n’est pas totalement sûre de l’engagement du bel homme de la ville. Et sa mère ne l’entend pas de cette oreille et fait un foin pas possible. Il suffit d’un mensonge pour que la fille se rallie au parti de sa mère. Pensant à tort que Redford ne veut pas d’elle, elle se retrouve à flatter le vieux riche. Et comme la situation est grotesque et qu’elle est triste à mourir, elle se saoule. Totalement désinhibée par l’alcool, elle décide alors très imprudemment de mettre le bordel. Elle lance à sa mère que son mec Branson la préfère à elle. Et ce gars madré, ni une ni deux, vire radicalement de bord et accepte une saugrenue demande en mariage de Natalie. Les deux s’exécutent le soir même.

Au petit matin, passé la gueule de bois et la « nuit de noces », Natalie s’enfuit et rejoint la mort dans l’âme la Nouvelle Orléans dont elle a tant fantasmé. Par petits signes, elle s’approche à nouveau de Robert. Et là ils vont enfin s’unir et vivre une passion fusionnelle.

Et bien entendu tout le monde dans la salle face à l’écran, sait que la révélation à venir du mariage secret va finir par faire du mal. On retient son souffle. Ce sera quand ? Et qui va faire tout tomber par terre ?

Cela ne loupe pas. Ce n’est pas Branson qui déboule pour récupérer sa femme légitime, mais la mère qui vient chercher des compensations par le chantage. Elle finit par les retrouver et fort de ce qu’elle sait, elle va mettre la pression et semer la zizanie. Natalie s’enfuit à nouveau, avec des idées suicidaires et sans même savoir si son gars pourrait lui pardonner. A noter que la réalité a dépassé la fiction. L’actrice a fait une tentative de suicide durant le tournage !

On apprend par la poursuite du flash back du début, qu’elle aurait fini comme la dame aux camélias. Poitrinaire et avec de nombreux « amis » autour de son lit de mort.

Tout repose en fait sur les frêles épaules de la petite Natalie Wood, qui on l’a vu était passablement tourmentée dans sa propre vie. On peut dire que Pollack nous la livre corps et âme. Ce cadeau sexuel, dont on nous montre chaque fois un peu plus, est presque trop beau. Et l’on se sent un peu une culpabilité de prédateur-voyeur, par moment. Cette petite dont la destinée mène à une prostitution larvée pourrait être notre sœur, notre compagne. Ça fait réfléchir.

Natalia est dans la vraie vie issue de parents russes. Son père est un grand alcoolique, comme dans le film. Sa mère, redoutable, autoritaire et menteuse la met sur le devant de la scène dès son enfance, ce qui colle parfaitement à l’esprit du long métrage. Toute jeune (14 ans), pour favoriser sa carrière, elle va être amenée à fréquenter un vieux (41 ans)… la même logique que celle du scénario. On a parlé de ses pulsions suicidaires. Sa noyade énigmatique à 43 ans, alors qu’elle est mariée une deuxième fois à Robert Wagner, est dans la même veine tragique.

Fort de son passé et de son talent, elle apporte un réalisme saisissant. Il faudrait voir ce que cela donne en V.O. Je n’ai pas eu cette chance.

Et Redford suit ces méandres féminines et ces courbes envoûtantes avec talent. La petite paumée, qui pensait pouvoir maîtriser son destin, ne sera pas sauvée mais il s’en est suffi de peu. C’est comme cela la vie, parfois.

La vieille et Branson ne sont pas de reste. La plus jeune sœur, avec un physique moins facile, est très bien interprétée par une toute gamine Mary Badham. Par le flash back du début, où elle est en hayons du côté de la pension délabrée, elle signale d’emblée que l’histoire qu’elle va raconter se terminera mal. Ce regard tiers est bienvenu.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Propri%C3%A9t%C3%A9_interdite_(film,_1966)

Natalie Wood
Robert Redford
Charles Bronson
Kate Reid

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