Avis. The square. Film Östlund – Claes Bang – Résumé (2017) 8.5/10

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The square (2017) 8.5/10 Östlund

Le cinéma suédois se porte bien. Le jeune réalisateur Ruben Östlund nous a déjà gratifié d’excellents films : Happy Sweden (2008), Snow Therapy (2014) et Play (2011)

On ne sort pas totalement indemne de « The square ». Il s’est manifestement passé quelque chose. Mais quoi au juste ? Ça, c’est moins clair. Il faut prendre le temps de digérer…

Plusieurs histoires, toutes connectées à l’art actuel, aux happening ou au social, entrent en collision. Et la clef de tout cela, c’est que fondamentalement tout est lié.

  • La réalité s’apparente à une grande production théâtrale.
  • Les œuvres d’art, de plus en plus envahissantes, n’ont plus qu’une envie, c’est de sortir du cadre et de s’immiscer dans nos vies.
  • Le social entre en scène. Des mendiants décoratifs ont un rôle important dans ce film. Et le héros pratique juste ce qu’il faut, de charité mesurée et d’altruisme contenu. La scène de la dispersion des poubelles, qui est totalement utilitaire, est en fait aussi une création artistique en soi. La boucle est bouclée.
  • A noter que le brillant Terence Malick nous avait déjà procuré lui une certaine image esthétisante de la misère.

Le liant, c’est ce directeur branché d’un grand musée d’art moderne à Stockholm.

Un beau monsieur intelligent, et qui sait ce qu’il faut dire. Il a les mots justes, les signes de reconnaissance, les derniers codes à la mode, pour propulser les valeurs de l’art d’avant-garde. Il connaît toutes les ficelles. Il fait le spectacle, il est bluffant, il est là pour cela. C’est un excellent public relation.

Il souhaite « comme tout le monde », la diffusion de l’art dans toutes les couches de la société. C’est une rengaine connue, un acte de foi qui ne mange pas de pain. Mais en réalité, et sans doute à son corps défendant, il fait le jeu des élites, des mécènes et des spéculateurs. Qui sont les véritables arbitres de l’art aujourd’hui

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Une exposition se profile. Elle est centrée sur une œuvre. Un carré de 4×4 mètres fait de pavés, délimitée par un trait blanc, et qui est accompagné d’un message de paix et de tolérance. En principe, quiconque se met dans le carré devrait avoir sa requête exaucée par ses prochains. L’art n’est plus souvent qu’un discours.

Ce travail naïf a besoin d’un coup de projecteur. Une équipe de jeunes publicistes dynamiques et très au goût du jour, propose un marketing extrêmement agressif.

Pendant ce temps, le directeur se fait braquer son téléphone, son portefeuille et ses boutons de manchettes (égarés). En pleine rue. Il ne se rend compte de rien. C’est tellement curieux qu’il en fait même une sorte d’évènement à raconter à ses proches. Le vol à l’arraché en tant que spectacle vivant ? On connaissait « De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts », quid des petits délits ?

Comme on arrive à borner son téléphone volé, son assistant et lui entreprennent de retrouver les objets dans l’immeuble localisé. Ils mettent des lettres de menace dans toutes les boites aux lettres. Ce qui se révélera efficace, mais à un certain prix.

Les effets sont récupérés, mais un jeune ado qui n’a rien à voir sera engueulé par ses parents, pensant qu’il est le voleur.

Le gamin ne veut pas en rester là et parvient à remonter jusqu’au directeur. Là encore, l’obstination du jeune et le dialogue répétitif finit par ressembler à une douloureuse œuvre d’art. Prenez un tic artisanal, propagez le nec varietur jusqu’à saturation, des décennies durant. Et vous aurez un artiste. Pas forcément un bon, mais un tenace.

Tout cela est tellement prenant, que le directeur laisse filer sans contrôler le clip destructeur des publicistes. La vidéo virale dépasse largement le travail de l’artiste qu’elle est censée « vendre ». Une bombe artistique en soi, au service d’un paisible carré. On est dans une problématique du contenu et du contenant en art. L’emballage fait ici mieux que le sujet.

Tout va exploser à la gueule du directeur. Les mécènes mécontents ne peuvent pas suivre. Il est obligé de démissionner.

Pour les amours, cela ne va pas fort non plus. Divorcé et père de deux charmantes fillettes, il est contraint et forcé à des relations d’un soir. Une journaliste de passage le mettra en face de sa vacuité relationnelle. Sur fond d’une bruyante composition cinétique. La réalité se détache du fond. Là on ne joue plus. La mise en cause est violente.

Un passage extrêmement prenant, brouille encore plus les pistes entre art et réalité.

Lors de la réunion des mécènes et décideurs, on assiste à un spectacle de type Living Theater . Un homme/animal musclé et primitif se rue dans la salle de banquet. Les convives mi-amusés, mi respectueux regardent se déplacer l’artiste gorille. Il se permet tout. Pas comme un provocateur, mais avec la bonhommie du grand primate qui ne voit le mal en rien. Il monte sur les tables, empoigne les participants sans ménagement.

Il dépasse les bornes. Plus rien ne l’arrête. Il tire une belle par les cheveux pour profiter d’elle. Tout le monde lui tombe dessus comme s’il était un vrai primate. Alors œuvre d’art ? L’art c’est le cadre, qu’on le respecte ou non. Ce sont les limites, que l’on peut figurer par le « comme il faut ». Ce concept variant d’une époque à l’autre, jusqu’à la mise en cause surréaliste et les lassantes « répliques » d’aujourd’hui. Le « comme il faut » devenant le « comme il ne faut pas », ce qui est la même chose, quand c’est systématique.

Il serait bien hasardeux d’en tirer une leçon. D’ailleurs l’auteur s’en garde bien. A part nous rappeler qu’on n’est bien peu de chose et qu’un battement d’ailes de papillon peut tout foutre parterre. On le savait bien.

L’histoire se termine sur un plan sur les fillettes perdues à l’arrière de la voiture. Va-t-on pour autant disserter sur les « vraies valeurs », que serait par exemple la famille ?

Il est clair que le véritable art, s’il existe vraiment, coûte, compte et dure.

De nos jours des « écuries » élèvent des talents. Des managers expérimentés lâchent les chevaux au moment opportun. Comme des mules, certains seront sacrifiés. Que le public crie au génie ou au scandale, n’a aucune importance. Sous couvert de ne pas passer à côté du Kandinsky d’aujourd’hui, on développe une bien curieuse tolérance, parfois.

Mais les intérêts économiques priment, sous couvert d’élitisme, avec un ésotérisme soigneusement entretenu. Ce sont eux désormais qui font l’artiste. Le fait du Prince, au service d’une nouvelle aristocratie. Bien entendu, il faut quand même un petit quelque chose à la base. Tout n’est pas à jeter. Et on ne crache pas sur le « modernisme », c’est à dire sur cette « nouveauté » qui pourrait encore nous surprendre.

Le film est très actuel et plein de bonnes idées. Le réalisateur en bon « artisan », montre un certain recul. Et c’est bien comme cela. Ce n’est pas a proprement parlé une satire sociale ou une mise en cause de l’art conceptuel. C’est plus fin que cela. Il y a dans ce film quelque chose d’indicible et d’indéterminé, de type « temps suspendu ». Avec une froide brise du nord en plus.

Si on veut vraiment en faire un manifeste, il faut noter que le film lui-même est une « œuvre » fouillée et complexe, à l’exact opposé d’un certain art brut, répétitif et univoque, présent dans ce musée. La démonstration est faite ? En fait le réalisateur en tant que critique, est comme beaucoup d’entre nous, il préfère rester dans l’entre deux.

Si on arrive facilement à se mettre dans la peau des personnages, c’est parce qu’ils sont un peu comme nous, avec leurs fragments d’interrogations houellebecquiennes. Celles qui sont éclatées, mais collent bien au moment. Certes en moins désespérées.

Eux comme nous, n’avons pas tant l’énergie ou l’envie, de totalement renverser la table. Et nous nous accommodons de ces petites piques exutoires.

L’auteur nous donne toutes les bonnes raisons de nous révolter. Mais encore plus de ne rien faire. Puisque finalement tout est spectacle !

Notre petit confort douillet, en regardant ce film, a du bon.

  • Palme d’or audacieuse et méritée à Cannes (Tenu à bout de bras par le président du jury Pedro Almodóvar)
  • Mais accueilli froidement par tout un parterre de critiques. Ces trissotins boursoufflés de navrantes certitudes.

https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Square_(film,_2017)

Claes Bang
Elisabeth Moss
Dominic West
Terry Notary

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