Avis. True grit – Matt Damon, Frères Coen – Résumé. (2010) 8/10

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Le Vrai Courage

Du bon cinéma, à voir sans hésiter.

  • (Mais pour une fois, je ne conseillerais pas trop la VO, car les acteurs éructent ou murmurent dans leur barbe, une langue de cowboy. Ce n’est pas toujours bien compréhensible)

Le western, dans sa composante mythologique, c’est la réappropriation des archétypes de la tragédie antique, pour un peuple qui veut recommencer son histoire à zéro. Le genre volontairement manichéen, se pare de quelques dilemmes ici ou là, l’histoire d’avoir l’air de penser.

Pour mémoire, le point de départ du western, lorsqu’on a mis de côté la chasse aux indiens, c’est d’abord l’exposé d’une profonde injustice. Concrètement, il s’agit le plus souvent un meurtre abject, qui touche des gentils sans défense.

Mais dans ce far west sauvage (wild), et très mal équipé, le clan lésé ne peut que constater la désorganisation de la justice et des forces de l’ordre. Il faut donc s’occuper soi-même de la chasse à l’homme.

Ces grands principes sont respectés ici aussi.

A partir de là, il y a deux écoles.

– Dans le cowboy à l’ancienne, il s’agissait d’assouvir sa vengeance de la manière la plus crue possible… et de satisfaire ainsi l’impatience des aficionados passionnés. L’exécution violente et sommaire des méchants étant le point d’orgue de l’affaire (*)

– Dans le monde plus civilisé des nouveaux scénarios, on accepte l’hypothèse d’une justice tampon, qui dépassionne le plus possible la question. Accessoirement cela permet d’éviter aussi les fâcheuses vendettas (**)

Dans le cas du choix de la civilisation, on tente de ramener les criminels au bureau du shérif, autant que faire se peut.

Reste l’éternelle légitime défense, qui permet de simplifier le débat en cours de route, et d’assouvir quand même la soif de justice expéditive (et la soif de sang) du spectateur.

Le héros-chasseur (de primes) chargé de retrouve la bête, est quasiment toujours un meneur d’hommes madré. Il n’a pas peur du coup de poing. Il est sans concession et d’apparence sévère. Et bien entendu, le bonhomme cache un vrai cœur d’homme.

Souvent, il a une motivante blessure secrète.

Les deux prototypes, déposés au bureau des poids et des mesures, étant John Wayne (genre bourru) et Gary Cooper (genre moins bourru).

Ici, les frères Coen font un remake qui ne change pas le paradigme. Ils sont « dans le thème » comme dirait la redoutable Christina C. Mais les situations sont considérablement affinées.

Tout en respectant les codes modernes, ils se permettent quelques facéties ici ou là.

  • Les violents coups de pied, que donne sans raison le héros à des gamins indiens, font partie de ces libertés. Un clin d’oeil totalement politiquement incorrect, du genre, « j’em*** la tradition, quand je veux »

Mais surtout, ils introduisent une certaine indétermination, et un très net approfondissement de la psychologie des personnages. On en arriverait même à pouvoir s’identifier.

La prise de vue est magnifique. La mise en scène regorge d’excellentes trouvailles.

  • Un zoom élégant, dans la pénombre et la bruine, amène progressivement à découvrir qu’il y a un gisant sur le sol. Et d’un seul coup un cavalier traverse l’écran. On ne s’est rendu à peu près compte de rien, et pourtant l’histoire vient d’être mise en place. En quelques secondes, on voit le père assassiné et le méchant qui détale.

Toutes les scènes qui suivent sont également précises, tendues et rapides. Une idée intéressante par minute, on en a pour son argent.

L’histoire proprement dite peut commencer.

A priori cette petite gamine un peu trop sûre d’elle-même et étrangement déterminée, ne fera pas le poids. C’est la fille du défunt. Elle prend les choses en main, car ceux qui restent, dont sa mère, ne sont pas à la hauteur. Elle voit déjà loin, nous nous en rendrons compte que progressivement.

C’est la très jeune Hailee Steinfeld, 13-14 ans dans le film et dans la réalité, qui porte cela de manière incroyablement efficace, et avec un vrai courage (True grit) (***)

Elle négocie ici et là, pour récupérer de quoi payer un chasseur de prime. Du beau travail.

Elle se renseigne sur les hommes capables de remplir la mission de justice. Elle évalue méthodiquement. Puis elle se décide pour un vieux cheval de retour, pas très présentable. Un palmarès de 23 morts légaux et de nombreuses blessures, attestent du pedigree peu commode du bonhomme. Il est dissimulé par des habits à la Sergio Leone, une barbe et un bandeau sur l’œil. Difficile de reconnaître ici, à toute première vue, le « pirate » Jeff Bridges. Acteur de premier plan, et pourtant en général bien identifiable.

Lui ne veut pas de la fillette, mais elle persiste et négocie sans relâche. Elle obtient partiellement gain de cause.

Elle est tellement convaincante, qu’elle nous embarque nous aussi dans son petit bateau improbable. Il y a peu de réalisateurs, et peu de gamines de cet âge, qui peuvent ensemble accomplir cette prouesse.

D’autant plus que l’histoire n’est jamais basée sur le pathos, le larmoiement ou l’attendrissement facile. Des plaies qui accompagnent trop souvent les enfants du cinéma.

Ici, c’est au contraire étrangement direct, factuel et vivant.

Un Texas ranger est également à la poursuite du méchant. C’est Matt Damon, qui est bien entendu largement à la hauteur.


Le trio peine à travailler ensemble, et les alliances se nouent et se dénouent. Chacun se méfie de l’autre. Toute la savante psychologie consiste en ces évaluations mutuelles, et le degré de confiance qu’ils peuvent s’accorder l’un à l’autre. Pas facile, dans ce domaine de promesses non écrites et de circonstances changeantes.

Ils s’embarquent dans une galère, sont confrontés à de nombreuses situations périlleuses et finissent par se perdre au milieu de nul part.

Là, le scénario est un peu plus complaisant, avec des dénouements somme toute assez improbables. Comme le méchant dont on a perdu la trace et qui réapparaît miraculeusement sur la berge d’en face.

La fin est en demi happy end. C’est à dire que dans l’ensemble la tâche sera accompli mais que les protagonistes y laisseront de sacrées plumes.

Ce film est enthousiasmant et rafraîchissant. Démonstration que le cinéma, dont le genre western, n’est absolument pas mort.

  • Gâcheurs de pellicule en tous genres, tant à l’ouest qu’à l’est du Pécos, prenez-en de la graine, si vous ne voulez pas me voir sortir mon six coups.

Les frères Coen remettront cela, entre autres, dans l’immense film à sketches, qu’est La ballade de Buster Scruggs (2018) – Un film incontournable.

(*) Tout cela n’est jamais innocent. Par exemple, un spectateur pouvait identifier clairement le méchant qui lui avait collé un PV un peu limite, et se voyait lui en redresseur de tort à Stetson prêt à lyncher sauvagement ce dernier.

(**)C’est évidemment moins drôle, et peut-être plus risqué, de contester le PV au tribunal.

(***) Hailee Steinfeld sera justement récompensée par un Young Artist Award de la meilleure performance d’une jeune actrice. Et obtiendra une Révélation de l’année au Young Hollywood Awards

– Malgré 10 nominations aux Oscars, True Grit n’en a reçu aucun. Pas grave, ils n’ont fait que remplir le job. Nos « lonesome cowboys far away from la doxa » n’ont pas besoin de médailles pour poursuivre leur passionnante carrière.

https://fr.wikipedia.org/wiki/True_Grit_(film,_2010)

Hailee Steinfeld
Jeff Bridges
Matt Damon
Josh Brolin

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