Ceci fait suite à un regard sur un documentaire qui peut se révéler fortement dérangeant pour un public non averti :
Ce « film » a bien des qualités, dont celle de nous proposer aussi, en filigrane, une réflexion sur la « valeur » de l’artiste et de l’œuvre.
- Une amie de galères, a fini par jeter à la poubelle les clichés originaux que lui avait donnés Robert. Juste des souvenirs. Elle pouvait passer à autre chose.
- Longtemps après, de son petit appartement, avec le sourire, elle dit regretter de l’avoir fait, car dit elle, cela aurait pu lui permettre de s’offrir une belle retraite en Toscane.
- D’autres travaux de Robert ont juste servi de décoration et disparu ainsi pour toujours. Lui même a en a détruit beaucoup.
- Lors des procès et des mises en cause, les opposants n’ont eu de cesse que de tenter de rabaisser l’œuvre au rang d’une basse pornographie, « sans aucune valeur ».
- Et là devant nous, de grands galeristes de maintenant, manient des portfolios de Mapplethorpe (dont X Y Z) comme si c’étaient les plus précieux incunables.
- On entend ici ou là des chiffres astronomiques.
- Et puis il y a nous qui regardons ce documentaire « gratuit », avec chacun son estimation secrète. Qu’importe pour le spectateur ce concept bien abstrait de « droit d’auteur ».
- Contrairement à la peinture, où l’on peut revendiquer que la reproduction photo n’est rien par rapport à la matière de l’original, la photo d’un cliché artistique dans un livre ou à l’écran est presque son égal. C’est encore plus frappant depuis qu’on a abandonné l’argentique au profit du numérique. Comment fixer encore une valeur marchande à ces objets quasi virtuels, mais de grande importance ?
- Il y a cependant en France une définition légale de la photo d’art :
Sont considérées comme œuvres d’art…. les photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus.
- A cette définition « fiscale », échappe la photo sur écran, les œuvres vidéo, alors qu’on pourrait en acquérir les « droits d’auteur »
Une autre curiosité consiste à encore évaluer le prix de l’œuvre en fonction de la taille. En peinture, on peut encore y trouver une sorte de cohérence, liée à la complexité d’un grand tableau. Mais en photo, la différence pécuniaire entre une photo de petite et grande taille, ne repose que sur la différence de prix de base du tirage, donc quelques dizaines d’euros. Il n’y a pas de raison objective à ce que la part créative varie de manière exponentielle. Et pourtant.
- J’ai eu naguère une discussion avec Charles Fréger sur le prix de ses magnifiques créations photographiques « Yokainoshima, esprits du Japon ». Ces tirages numérotés et signés valent une somme importante et justifiée. On parle là « seulement » de plusieurs milliers d’euros. C’est d’abord une base, représentant les coûts de ses investissements, le prix de la sueur, mais au-delà, c’est aussi la reconnaissance du supplément d’âme de son travail, le prix de l’exceptionnel. Et là tout peut s’envoler. Encore qu’il aurait pu avoir une réflexion commerciale du genre, je fais moins cher donc j’en vends plus et au total est-ce que je m’en sors mieux ? C’est à dire que lui même aurait inscrit sa démarche « valeur » dans la banale économie.
- En réalité une simple affiche m’aurait suffi. Mais on serait passé du statut d’œuvre à celui de déco.
Étrange que la « valeur » des créations de l’artiste, soit en fait tout cela à la fois. De dérisoires morceaux de Polaroid qui vont dans les poubelles, de simples pages feuilletées, aux objets « d’adoration », les mêmes, pour ainsi dire inestimables, dans les cimaises du prestigieux Guggenheim.
Et cela ne vaut pas que pour Mapplethorpe. Et en plus cela varie dans le temps. On connaît l’exemple classique d’un Van Gogh incapable de vendre ses œuvres et les sommets qu’elles atteignent actuellement. La plupart des maudits ont connu cela. Et l’on sait que leur mort engendre souvent une poussée spéculative. Comme c’est bizarre.
A noter que pour certains, la valeur peut baisser aussi avec les époques.
Ce concept de valeur est tellement difficile à « gérer », qu’à présent, les artistes font partie d’écuries. On mise sur certains, on contractualise leur carrière et on partage les fruits selon les accords passés. En propulsant plusieurs « mules », il y a plus de chances que l’une d’entre elles passe la rampe. Des équipes sont là pour les assister. On les profile selon les souhaits du public. On veut un artiste maudit, et bien soit.
Les investisseurs ont moins de risque de perdre leur mise, en ne mettant pas tous leurs œufs dans le même panier. Il paraît même que certains créateurs, salariés de fait, sont contents de leur sort.
On a fait cela jadis pour les vedettes de cinéma. Le public n’y a vu que du feu.
https://en.wikipedia.org/wiki/Mapplethorpe:_Look_at_the_Pictures
