Qu’est-ce qu’il y a au programme cette fois ?
Le talentueux Mike Myers est très gourmand. Cela tombe bien, nous aussi.
Il revisite la société du spectacle, le monde marchand, les relations amoureuses, l’amitié et même les rouages d’un film. Autant de mondes qu’il connaît bien et dans lesquels il se ballade avec aisance. On peut lui faire confiance.
Société du spectacle
Il faut le comprendre au sens premier, et non pas en tant qu’élucubration à la Guy Debord.
Mike Myers et Dana Carvey ont créé un talk show délirant sur une petite chaîne de télé locale. Ce spectacle est tellement débridé, iconoclaste et savoureux qu’il enchante une grande partie de la jeunesse.
Rob Lowe joue un jeune loup de la pub qui passe par là et qui saisit immédiatement le potentiel vendeur d’une telle entreprise.
Munis d’un pass pour le backstage d’un concert d’Alice Cooper, nos deux héros iront jusqu’à se prosterner devant l’immense vedette. C’est un épinglage sincère et parodique de ses vénérations de nouvelles idoles. Bien vu.
Le monde marchand, le paraître et l’avoir.
Nos électrons libres sont des artistes dans l’âme. C’est à dire qu’ils ne sont productifs que quand on les laisse agir à leur guise. C’est une sorte d’improvisation permanente.
Par contre, tout cela ne leur apporte aucun revenu. C’est quasi du bénévolat.
Ils vont donc être tentés par une proposition à 5000 dollars.
Ils seront sponsorisés par une marque de jeu vidéo d’arcade qui monte. C’est dans le même créneau de la jeunesse. Son concepteur est un gros bourrin enrichi et autosatisfait. Il est bien content de la rente de situation que permettent ces jeux truqués.
Il n’a pas saisi ce que les publicistes lui proposent. Ces derniers tentent désespérément de rapprocher deux univers diamétralement opposés, celui de l’argent facile et des compromissions et celui de l’art pour l’art. Difficile a priori de jouer sur les deux tableaux.
Rob est charmeur et habile. En bon communicant, ce « serpent » sait dire à chacun ce qu’il veut bien entendre. Les dialogues sont bien ciselés, ce qui rend sa rouerie encore plus impressionnante. On ne nous fait pas cela à l’économie, c’est de la grande littérature.
Mais Mike ne va pas réussir à rentrer dans le format imposé. C’est comme si l’on demandait aux Marx Brothers ou à Charlot d’obéir aux ordres et de se restreindre. Ce serait un épouvantable contresens.
Il trouvera pourtant une échappatoire osée, en critiquant vertement le sponsor à l’antenne. Lequel passera franchement pour un con. Ce qui mettra Mike en fâcheuse posture. Il est sur le point d’être viré.
Les relations amoureuses
La pauvre Lara Flynn Boyleest l’ex quasi érotomane qui s’accroche. Il lui faudra un moment pour réussir à s’en débarrasser.
On passe à Cassandra. Myers se fait plaisir tout en nous faisant plaisir. Il tombe fou amoureux de la brillante asiatique Tia Carrere (Sydney Fox). Cette magnifique jeune femme, née à Honolulu , se déhanche merveilleusement dans son groupe rock. Elle en est la chanteuse principale et son talent s’impose. Une maîtresse femme en herbe qui ferait plier n’importe quelle âme endurcie.
Sans trop y croire, Mike part en approche. Divine surprise, cela marche ! On se rapproche, de notoriété à notoriété, mais aussi par un partage de valeurs libertaires communes.
Il est tellement amoureux qu’il va apprendre le chinois.
Mais il faut compter avec la mauvaise influence de notre dragueur de haute compétition, Rob Lowe. Lui maîtrise encore mieux le cantonais. Il arrive même à situer à quelques kilomètres près l’origine de la belle. La surenchère est très drôle. Surtout quand on voit la mine défaite de notre Wayne.
Garth, Dana Carvey, avec son intuition hypersensible saisit clairement le danger. Il tente d’en avertir son pote aveuglé.
Pour couronner le tout, le play-boy propose un contrat à Cassandra. Ils vont partir tous les deux tourner un clip. C’est curieux comme les femmes souvent ne voient pas le mal (mâle). Comment font-elles pour se mettre dans la tête qu’un homme avec tous ses atouts et ses désirs, puisse n’être qu’un « ami » d’une femme hautement désirable ? Ce qu’on lui demande là est clairement contre nature.
Dana Carvey a à la recherche de l‘idéal féminin, c’est dit au premier degré. Mais c’est aussi une femme emblématique et inaccessible qui est juste là derrière le bar.
L’amitié
Garth a quelque chose de bizarre. Autant Wayne est extraverti et chaleureux, autant garth est anormalement replié sur lui-même et vaguement schizoïde. Il est « maladivement » hypersensible.
Il communique avec son chien. Et parfois il a du mal à traduire le canin. « les Plutoniens ont fait prisonnier Wayne ? » Ah non, « il sonne à la porte »
Mais il existe entre eux ces deux jeunes gens une magnifique connivence et une complémentarité.
C’est vraiment l’expression hyperbolique d’une humanité profonde et de ce que peut être le pacte d’amitié. On n’y rejette pas les extrêmes, les déviants, les « anormaux ». On accepte les autres tels qu’ils sont.
Ces expéditions en Garth-mobile, tout près de la piste d’atterrissage des gros Boeing sont vraiment originales. L’effet est on ne peut plus prenant.
- Tellement vrai que j’avoue avoir entraînés mes fils, près de notre terrain d’aviation international. L’histoire de voir si c’était réaliste et faisable.
Les rouages d’un film, décodage, ré-encodage.
Comme jadis Tex Avery dans ses dessins animés échevelés, Mike joue avec le support.
Il s’agit dans les deux cas de sortir de l’écran à un moment ou un autre.
Les films dans le film.
Nos acteurs jouent avec les codes mais ils revisitent aussi certains spectacles. Comme avec cette réinterprétation chorale de la Bohemian Rhapsody de Queen , alors qu’ils sont confinés dans la petite auto AMC Pacer (unsafe at any speed).
Myers nous donne trois fins du film. Une fin triste, une fin intermédiaire et une fin où tout est bien qui finit encore mieux. Ce n’est pas au choix, c’est graduel. L’histoire de bien nous démontrer comment on peut jouer avec nos émotions.
On peut noter aussi les produits de marque placés dans le long métrage. Il en rigole mais les expose quand même précisément. C’est l’humour absurde bien compris.
On retrouve également les plus classiques emprunts de scènes célèbres du cinéma et qui sont ici détournées.
Conclusion
Il y a chez Myers infiniment d’empathie, de compréhension et de gentillesse. Il y a même une tentative de rapprochement de façons de vivre totalement opposées. Le multiculturalisme est de mise, mais dans sa version amalgamante pas celle de la divergence.
Toutes ces positions tiennent d’une certaine sagesse, assez rare chez un si jeune. Cela fait du bien. On est aux antipodes du rire qui fait mal.
J’ose dire qu’il y a de la philosophie des anciens dans cet humour apaisé et libérateur.
Ps : il est très difficile de traduire fidèlement, tout en synchronisant correctement, des tirades humoristiques. Il semble que Alain Chabat et Dominique Farrugia aient été d’une aide précieuse pour cela.
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Soci%C3%A9t%C3%A9_du_spectacle_(livre)