Avis. Youth – film – Michael Caine, Harvey Keitel, Weisz, Dano – Résumé (2015) 8.5/10

Temps de lecture : 7 minutes

Voilà un film symphonique particulièrement réussi.

La fiction nous donne à voir une grande représentation de pointures du spectacle, du show bizz et du sport.

Et il est servi en vrai par des acteurs illustres et des personnages connus de la scène. Cela flash donc de partout. Simplement les rôles, en miroir, sont parfois conformes, parfois intervertis.

  • Michael Caine joue un compositeur musicien très en vogue. Il est célébrissime lui même, mais ce n’est pas musicien.
  • Harvey Keitel incarne un réalisateur qui a connu la gloire. Il est auréolé lui aussi à la ville, mais il n’a jamais réalisé.
  • Rachel Weisz n’est ici que la fille et assistante de Michael Caine. Elle est bien plus en vrai. Quelle nature !
    • Dommage que Daniel Craig l’ait préempté.
  • Paul Dano l’acteur est un comédien ici. Ça colle, car il tient bien son rôle. Il a ce côté à la fois conscient et bien ailleurs, avec ce voile de sourire.
    • Il me fait penser à Terence Stamp dans Toby Dammit (Histoires extraordinaires – sketch de Fellini ) ou quand il fait le visiteur de Théorème de Pasolini
  • Cette fantaisie et fugue va jusqu’à des personnages où des acteurs jouent leur propre rôle.
    • Comme Paloma Faith une vraie pop star, que l’on verra ici dans un rêve-clip.
    • Mark Kozelek est un musicos également. Il a une grande importance dans la musique centrale du film.
    • A noter aussi Sumi Jo une soprano connue qui est chargée d’interpréter le final « simple songs ».
  • Maradona n’était sans doute disponible alors, c’est un autre encore plus super obèse, Roly Serrano, qui va interpréter cette figure. Il est Argentin lui aussi.

Il y a en Suisse des centres de remise en forme pour gens riches, qui cherchent à être au calme. Ce sont des établissements courus mais un peu désuets, sur certains plans. Ils sont très suisses de ce fait.

  • C’est une sorte d’extension de ce que furent les établissements des villes d’eau tchèques mythiques, comme Karlovy Vary (Carlsbad) et Marianske Lazne (Marienbad). Mais ici on y trouve un versant à l’ancienne et des pans très modernisés. C’est comme cela que l’on fait maintenant, souvent avec la griffe d’un grand architecte.

Ici le réalisateur a fusionné deux hôtels, comme s’il s’agissait d’un seul : le Schatzalp de Davos et le Waldhaus Spa de Flims (*)

Deux vieilles célébrités amies s’y rendent chaque année. Il s’agit d’un compositeur octogénaire joué par Michael Caine et d’un réalisateur interprété par Harvey Keitel ; lequel est supposé être dans la même tranche d’âge ; ce qui n’est pas tout à fait vrai.

C’est un magnifique morceau de bravoure, pour ces deux personnages et ces deux personnes, totalement dévoués à leur art. Fiction et réalité sont mêlées intimement. Ils explosent littéralement dans cette élégante composition. Un costume qui leur va à merveille. Tout concorde, l’âge, l’esprit, l’amitié qui fait qu’on ne se dit que les bonnes choses et le regard qui va le plus souvent vers le passé (l’autre bout de la lorgnette)

  • Michael peut prétendre le contraire, mais il est réellement le personnage. Simplement il sait garder une distance (**)

Le musicien est à la retraite et ne veut plus qu’on le sollicite professionnellement, même s’il s’agit d’une requête de la reine d’Angleterre. Et c’est vraiment le cas. Michel Caine est un immense artiste qui n’a aucun mal à jouer cette partition là. Il a d’ailleurs été anobli par la monarque britannique. Et même en chef d’orchestre, il en impose.

  • Caine est lucide quand il dit « L’homme qui voulut être roi, Alfie le dragueur et un film plus récent, Youth, de Paolo Sorrentino, sont mes films préférés » (***)

Le cinéaste lui, est là avec de jeunes coscénaristes, afin de terminer la planification du prochain long métrage. Une sorte de Clint Eastwood, en moins décati, qui ne veut pas décrocher, malgré ses trois derniers échecs. Il n’a plus pour horizon, que sa prochaine création. Tout le reste s’est désagrégé aussi chez ce vieux bonhomme.

Il espère que sa vieille complice, jouée par Jane Fonda, soit la grande star de son futur film «  Testament ». Sans elle, les producteurs vont jeter l’éponge.

Mais celle-ci vient lui annoncer qu’elle est prise pour les trois prochaines années, dans une télénovelas mexicaine. Elle a des échéances financières et c’est le seule moyen d’assurer ses arrières.

Elle lui signifie vertement son refus. Elle en profite pour tenter de le dissuader de continuer. Elle a compris qu’il n’est plus à la hauteur. Elle y va franchement, tant pour lui que pour elle-même. On n’en est plus à l’âge des illusions et des prises de gants.

Un grand moment de cinéma et de vérité. Le fait que des comédiens seront eux-mêmes un jour concernés par cette injection d’arrêter, rend la scène extraordinaire. J’ai été bluffé n’ayant pas reconnu la Fonda, à ce stade (****)

Les deux hommes sont ici des amis d’enfance. Michael a même marié sa fille avec le fils de Harvey (dans le scénario).

Premier problème, la fille interprétée par la brillante Rachel Weisz apprend abruptement, sur ces lieux paisibles, que son conjoint veut divorcer. Elle craque. Pour elle et les deux pères, c’est une injustice. Pour eux, elle est cent fois mieux que la nouvelle. Mais l’ancienne était-elle bonne au pieu ? Cette interrogation, en ces termes, traverse le film. Et c’est sans doute ce qu’on a le moins envie de demander à sa fille ou à sa belle fille.

Cette forte jeune femme est chamboulée.

Elle en profite pour casser aussi du sucre sur le dos de son géniteur.

Elle lui dit qu’il n’a jamais vraiment aimé sa famille, qu’elle ne sait pas qui il est. Il s’est montré froid et insensible avec eux. Seule la musique a compté pour lui.

Il s’est permis de tromper ostensiblement sa femme, donc sa mère. Il lui a même infligé une escapade pour une expérience homosexuelle. Il voulait juste voir comment c’était. Avait-il besoin de lui faire savoir ?

Cette sorte de règlement de compte, sous l’emprise des passions tristes, est asséné excellemment, sans ce lourdingue pathos, qui va généralement avec. Weisz n’est pas une petite starlette, qui ne ferait que singer son personnage, sur commande ! Non, cette pointure est vraiment ce qu’on lui demande d’être.

Un film riche et dense.

  • D’ailleurs grâce à l’alchimie qui lie l’ensemble des éléments de la chaîne, tout dans le film est dense, avec ce qu’il faut de nuances et de délicates ellipses.
  • Les acteurs sont à la hauteur de cet ambitieux projet. Ils semblent même dépasser les espérances, tant ils sont massivement présents. Le moindre de leur geste peut nous transmettre quelque chose ; même le crissement provoqué d’un malheureux papier à bonbon. Le metteur en scène pousse ces détails très loin. Je ne sais pas s’il le fait sous son initiative, celle des scénaristes ou suite à des suggestions des acteurs.
  • Les grands sujets, très signifiants, sont posés judicieusement sur la table. Mais c’est à nous de mettre toutes ces singularités bout à bout. Un cinéma qui nous prend pour des gens intelligents. Ce n’est pas si courant.
  • Un gros travail est fait sur la photo et les distances. Le réalisateur disperse les personnages dans un grand panorama (alpin) ou bien il s’en approche d’une certaine manière. Il se positionne en fonction de l’importance qu’il veut bien leur donner, selon ce qu’ils ont à dire. Un travail très réfléchi qui bonifie singulièrement le film.
  • Les lieux peuvent être pris à contre-pied. Là où on attendrait de la majesté, comme dans ces puissants reliefs alpins, on tourne en mode mineur. A l’inverse, il peut y avoir un puissant souffle à la Malick dans des petites choses associées à de puissants thèmes musicaux.

Questionnements de l’homme âgé… et réponses

Michael s’interroge également. Il discute de tout cela avec son pote, qui le connaît si bien. Il lui parle surtout de cette mémoire qui fiche le camp. Et quand il considère tout ce qu’il a pu faire, en particulier tout au long de l’éducation de sa fille, il laisse échapper « tout cela pour rien ». Ce qui signifie ici, qu’il ne reste plus rien en lui-même de tout ce parcours, qui comptait tant pour lui et qui a nécessité tant de labeur et de sueur. La vie s’efface peu à peu et on ne thésaurise jamais rien.

Alors que le compositeur se perd dans ses interrogations, en découvrant le vide, Keitel lui voit le sol se dérober sous ses pieds. Il se lance dans le vide, juste comme cela. Une simple formalité qui prend trois secondes. C’est sans doute la seule scène de suicide au cinéma qui prenne si peu de place, dans un film si psychologique et sensible.

Brillante, cette idée d’une Miss Univers (la roumaine Madalina Diana Ghenea) d’abord présentée comme une jeune femme plutôt quelconque et qui sera à la hauteur d’une Venus de Botticelli, quand elle entrera dans la piscine. Dernière illumination sexuelle dans la tête des vieillards ?

Bien d’autres personnages subalternes révèlent une force peu commune. Comme pour cette masseuse qui semble reliée à l’univers tout entier. Ou ce moine qui nous fait un pied de nez, en se résolvant à léviter, contre toutes attentes.

D’autres sont tous réduits, comme cette petite prostituée occasionnelle de hall d’hôtel, qui ne connaît visiblement pas le métier. Elle sera guidée paternellement par un Keitel infiniment bienveillant.

Quelques messages à méditer. A vous de les découvrir.

Je n’ai pas aimé La Grande Bellezza (2013) de Sorrentino, un bad Trippa alla Romana – je lui ai mis un 5.5/10

Mais là ce grand farceur a visé très très juste. En soulevant l’écorce du paraître, il a lui même vu un peu plus de l’essentiel. Un film étonnamment mûr pour son âge. Il mérite son 8.5/10. J’espère que cela ne restera pas qu’une parenthèse enchantée dans son œuvre.

Attention car ” la légèreté [dans l’art] est une tentation irrésistible mais aussi une perversion “. C’est une réplique du film. Je vous en donne une autre “[l’acteur] ne doit pas perdre son temps avec l’absurdité de l’horreur, il doit interpréter le désir

(*) Grands hôtels spa en Suisse. J’ai eu l’excellente surprise de voir que deux grandes amies, Darya et sa mère Lena Nevzorova, avaient participé au film. Je les savais adeptes de ce genre d’endroits. Et on a fréquenté jadis des spots germano-helvétiques célèbres. Je salue ces complices ukrainiennes, à grande distance.

(**) “Michael may say that he’s very different from the character he’s playing, but I don’t really think so,” Sorrentino explained. “I think that both Michael and Fred are able to keep a distance from themselves and life. The right distance, that is.”

(***) https://variety.com/2021/film/global/michael-caine-karlovy-vary-1235048100/

(****) “With someone like Jane Fonda,” he said, “I really wanted a true diva, and a true icon in real life. Throughout the movie, there’s this expectation that she’s coming to the resort, and when she arrived, it had to be consistent and coherent. So the entire cast was really the one I had in mind.”

https://fr.wikipedia.org/wiki/Youth_(film,_2015)

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