Captain fantastic (2016) 7/10

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Certains considèrent que le capitalisme, le consumérisme et la culture de la violence de nos sociétés, sont des menaces insupportables dont il faut absolument se prémunir.

Afin d’y échapper, quelques uns vont jusqu’à vivre en vase clos, selon leurs propres règles. La nature est leur refuge. Ils souhaitent être définis par leurs actes – qu’ils estiment purs – et non pas par leurs paroles.

  • C’est un peu vers quoi tendait le mouvement hippy des années 60. Mais il y avait déjà des précurseurs bien connus au début du vingtième siècle.
  • Rapidement les limites de cet idéalisme à répétition sont apparues. La communauté Monte Verità, qui a été visité par Nietzsche et Bakounine, a fini par s’essouffler, voire s’étouffer elle-même.
  • Et ce qui plus récemment a commencé par des fleurs et des bisous, s’est terminé par des massacres à la Manson.

Dans ce long métrage, qui se passe de nos jours, un père et une mère très cultivés sont en rupture avec la société. Ils ont décidé de vivre quasi en autarcie dans la forêt. Cela se passe dans un vaste tippy, en se conformant aux comportements des chasseurs-cueilleurs. Leurs enfants sont entraînés à trouver leur nourriture eux-mêmes. Et même les très très jeunes y participent. Le primitivisme voulu s’accompagne de rituels comme pour cette entrée dans la vie adulte pour l’aîné, après la capture au couteau d’un gros gibier. Il se sentira honoré d’en manger le foie cru.

Les jeunes sont formés pour se débrouiller seuls en toutes circonstances, mais cela doit se faire en rase campagne, contre les animaux. En ville cela ne marche pas si bien.

Ce qui n’empêche pas une éducation très rigoureuse en interne. Les parents privilégient la réflexion personnelle mais sont intransigeants sur les connaissances. Même au niveau CP les rejetons sont à l’aise avec des concepts relativistes et j’en passe. Reste à savoir si à cet âge on peut vraiment comprendre intimement toutes ces notions. En tout cas ils maîtrisent tout cela indiscutablement plus profondément que les amateurs habituels de Playstation.

La violence dans la vie de ces jeunes naturistes est réelle, c’est celle des éléments et de la faune principalement. Mais l’est-elle plus que celle, qu’on pourrait qualifier de virtuelle, des jeux vidéo ? C’est une vraie question.

A l’occasion d’une visite dans une branche de la famille, on voit ces esprits innocents terrorisés par ce qu’ils voient sur ces écrans ludiques, comme jadis les premiers spectateurs de L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat (1896). S’agit-il donc d’une violence pure et addictive ou simplement d’un jeu nécessitant un apprentissage, d’une maîtrise et d’un recul ?

Nos gamins sont totalement déphasés en ville et face à leurs congénères. Leurs immenses connaissances livresques sont bien inutiles pour simplement communiquer avec le monde extérieur. Au contraire cela leur donne un côté artificiel qui prête à rire.

Lors d’un premier contact amoureux, l’aîné est bouleversé… mais se sent impuissant . D’où les reproches à son père : « Tu nous a transformé en bête de foire » « Si cela ne sort pas d’un bouquin, je suis complètement largué »

La partie politique est très développée et ils ont une sorte de guide référent en la personne du savant de gauche Noam Chomsky. Un linguiste célèbre mais qui a donné aussi dans le militantisme et la critique des mass-média. C’est un contestataire influent qui se sent cerné par la pensée main stream et prône l’auto-défense intellectuelle. D’aucun y verront un certain conspirationnisme.

Retour au film. La première partie semble promouvoir le retour à la nature et une certaine pureté des sentiments et des idées. Les passions sont sans cesse écartées pour favoriser la « raison pure ». Ce qui donne le sentiment de sérénité.

Le dialogue est favorisé en toute chose. Mais à bien y regarder, cette république de Platon est assez engainante. Vu par les civilisés, cela ressemble furieusement à un embrigadement sectaire, avec à sa tête un père gourou. On connaît les limites du survivalisme.

  • Au centre de tout cela, on pourrait parler d’un idéal ascétique dans la version que critique Nietzsche. C’est à dire une pensée mortifère et culpabilisante orchestrée par un prêtre autoproclamé qui en tire profit (*)

Sa femme est internée en psychiatrie. Le mari barbu décrit froidement les symptômes de la bipolarité.

Elle va se suicider. Elle même formulait secrètement quelques doutes sur cette aventure sylvestre. En cachette, elle a aidé l’aîné à préparer son admission dans de grandes écoles.

Un plus jeune fils se révolte contre cette autarcie mentale qui les rend inadaptés au grand monde. Il en sent l’hypocrisie fondamentale. Mais n’arrivant pas à formuler cela en termes choisis, il reste pris au piège de ce « régime démocratique ».

Et là où le père parle de l’importance du déficit en sérotonine dans la folie létale de la mère, le jeune accuse tout simplement son père : « c’est toi qui l’a tué ». La vérité entre les deux ? Difficile de trouver le « juste milieu ».

L’intrigue principale consiste en un long périple en bus de cette horde pour rejoindre le lieu d’enterrement de la mère. Le père est persona non grata auprès des beaux-parents. Il le considère comme un hippy dangereux. Ils font un barrage strict. Ils ont organisés des funérailles classiques à l’église devant les notables et les amis normés de cette branche de la famille. Ils n’ont aucunement l’intention de respecter les dernières volontés bouddhistes (**) de leur fille. Surtout qu’elle demande qu’une fois sa crémation effectuée ses cendres soient mis dans la première cuvette de WC.

On peut reconnaître un certain intérêt dans ces confrontations entre l’absolutisme d’un misanthrope savant qui dit benoîtement toutes les vérité sans filtre aux uns et aux autres et l’approche intelligente mais codifiée et des bourgeois totalement intégrés au système. Mais doit-il y avoir nécessairement une lutte à mort entre le conformisme rigoureux et l’anticonformisme intransigeant ? La balle au centre, à nouveau.

Mais le père gourou, animé pourtant par ce qu’on pourrait appeler des bons sentiments, fait prendre trop de risques à ses enfants. Il leur donne de vrais armes. L’un se blesse en montant une paroi abrupte, le même à force de se mesurer à la nature est couvert de bleus et d’ecchymoses. La grande fille finit par se rompre le cou. Une « épreuve initiatique » visant à encourager la ruse collective, les font voler tous dans un supermarché…

Vu du dehors, cela peut passer facilement pour de la maltraitance sectaire.

La belle famille prend un avocat pour avoir la garde de leurs petits-enfants. Et même leur père se rend compte qu’ils sont désormais dans une impasse. Il cède.

Dans un ultime soubresaut la tribu ira bel et bien brûler en douce le cadavre de la mère. Et les plans suivants montreront que les enfants seront désormais encadrés comme leurs semblables. Le « gourou » ira vers le compromis également avec un habitat plus conventionnel mais tout en préservant l’essentiel de ses valeurs. Les enfants apprécieront de cumuler les deux côtés.

Viggo Mortensen, qui a des airs d’homme des bois, s’en sort bien avec ce rôle de ce tyran familial « à visage humain ». Difficile de concilier une idéologie totalitaire de « bons sauvages » à l’échelle familiale, avec la nécessaire tolérance et les élans d’amour naturels vers ses enfants. Mais l’équilibre est quand même possible avec des concessions de part et d’autre, sans verser dans une nouvelle société … d’asociaux !

Les six enfants et les beaux-parents jouent très bien.

Ce film de deux heures est à la fois intéressant et dérangeant. Il porte en lui un malaise, celui de ne pas vouloir trancher entre ces deux extrêmes. Il est difficile de ne pas avoir d’opinion sur la question. Le film nous balade d’une rive à l’autre, nous forçant à nous remettre en cause à chaque fois.

Bien qu’il force le trait parfois, il se garde de nous asséner une vérité. Cette dialectique est habile et inconfortable. Cette exigence mérite le respect mais réserve à la pleine jouissance à des profs de philo.

Il reste un peu long car il a fallu caser l’apaisant rebondissement « fumeux » final. Et en cela il redevient aussi un film classique. Surtout avec cette trop démonstrative musique triomphale. A la fin je me suis ennuyé.

Mais il ne faut pas faire la fine bouche quand un film enfin nous force à réfléchir. C’est assez rare comme cela.

Salué par les circuits non conventionnels comme Sundance.

  • (*) « Le prêtre ascétique est le désir incarné de vivre autrement, de vivre ailleurs, il est le suprême degré de ce désir, sa ferveur et sa passion véritables : mais c’est la puissance même de son désir qui l’enchaîne ici-bas, qui en fait un instrument travaillant à créer des conditions les plus favorables pour vivre ici-bas, pour vivre en homme – et c’est précisément par cette puissance qu’il attache à la vie tout le troupeau des malvenus, des mécontents, des disgraciés, des malheureux, de ceux qui souffrent d’eux-mêmes sous toutes formes, troupeau dont il est instinctivement le berger et le guide. » Nietzsche – Généalogie de la morale.
  • (**) Le bouddhisme philosophique des femmes aisées cultivées est loin d’être original. Il pourrait même passer pour un des nouveaux conformismes (pas si nouveau que cela d’ailleurs).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Captain_Fantastic

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