Un film comme cela est un contresens. Ça ne peut pas marcher.
L’art de Chaplin tire sa force de la finesse d’analyse de situations. De scènes qu’on aurait pu croire banale à première vue, il fait des mythes.
Il voit ce que nous ne voyons pas. C’est ce qui l’oblige à un jeu d’une précision millimétrique et au parfait positionnement des ruptures. Il est là, juste où il doit être, mais où on ne l’attend pas.
Il est comme un rocher témoin dans un univers où tout bouge futilement, ou une girouette bien vivante dans un monde figé. Tout l’Univers est centré sur sa personne. Avec sa démarche il emporte le monde avec lui. Quelle responsabilité !
Alors que le film qu’on nous donne à voir ici, n’est fait que d’imitations approximatives et enchaînements prévisibles, dans le registre facile de la farce et des singeries grossières. Le storytelling est fortement canalisé, on pourrait dire corseté. On a juste rajouté un bien inutile sentimentalisme pleurnichard ici ou là.
Aucune excellence là dedans ! Quelle trahison !
On n’en a rien à faire que Robert Downey Jr. ou sa doublure parvienne à nous jouer une copie ressemblante d’une scène clownesque d’un Charlot poivrot. Cela ne nous donne qu’une idée de la copie et non pas de l’original. Cela ne renseigne que sur le jeu de l’acteur d’aujourd’hui et non pas sur l’intérêt réel de Charlot. Mais l’acteur est cabot et n’a pas résisté à apporter au jury ce qu’il attendait de lui. Malgré cette imposture, ou grâce à elle, il a quand même empoché l’Oscar et a fait ainsi de Charlot, un vrai Américain. Chaplin doit se retourner dans sa tombe.
L’idée d’un bon biopic n’est pas de faire le plus ressemblant possible, car ce ne marche jamais. En tout cas en dehors du cénacle autosatisfait en vase clos et tapis rouge.
Même avec une copie servile de chaque mouvement dans le cadre le plus ressemblant possible, il restera toujours une impression de faux tableau maladroit avec sa mauvaise odeur de peinture fraîche.
Non, ce qu’il faut c’est atteindre par l’évocation et les idées, un registre d’intelligence au moins équivalente au sujet. Il est nécessaire de se mettre sur les épaules de celui qu’on sert en tentant d’aller le plus haut possible. On veut sentir du souffle. Ce qui nous intéresse c’est l’universel et pas l’anecdotique. Seules de grandes pointures peuvent s’essayer à cet exercice.
Et il faut de l’audace.
- L’analyse de quelques chorégraphies de Chaplin avec les outils modernes aurait pu se révéler divertissante et instructive. Je pense à ces ralentis tridimensionnels qu’on exploite maintenant dans les films d’action et qu’on arrive à appliquer même à de vieux clichés 2D du début du siècle précédent. Cela fait plus de cent ans qu’on connaît maintenant Chaplin et on ne semble pas avoir beaucoup avancé dans la compréhension du phénomène. Il a bossé comme un dingue, même le film le dit. Pourquoi n’en ferions-nous pas autant ?
Non ici c’est la surface, toujours la surface et encore la surface. Et des causalités trop fortement soulignées qui mènent à des explications simplettes. Le sexe, la politique, l’incurie familiale…
- Le même terrible milieu a vu se développer un Charlot génial et un frère juste bon à gérer ses affaires. Le contexte explique quoi ? Cela se saurait si une enfance douloureuse suffisait à fabriquer des êtres exceptionnels.
- La politique est bien innocente chez Charlot, ce n’est pas lui qui infère à ce sujet, mais l’intolérante et stupide Amérique d’alors qui chasse le rouge jusqu’au rose le plus pâle. Qu’il sache si bien se moquer d’Hitler n’en fait pas un ennemi du monde libre, au contraire.
- Et le sexe ? La belle affaire, tous les hommes à succès sont tentées d’utiliser leur prestige. Et lui en plus a la courtoisie de se marier presque à chaque fois. Cela n’en fait pas un monstre lubrique. Et surtout cela ne donne aucune clef à l’œuvre plutôt chaste de Chaplin. Oui sa caméra caresse ces femmes qui le méritent bien. Mais elle sait aussi s’attendrir sur le regard d’un enfant. C’est plutôt bien ça.
La réalisation de Richard Attenborough n’est pas terrible dans son ensemble. On sent qu’on nous prend pour des billes, en disposant si ostensiblement des indices fortement liés aux grands films du Maître. Le gros ballon à la plage qui devient le ballon du Dictateur. Les pauvres de 33, qui se prolongent en esclaves des Temps modernes. La danse des petits pains devant Hoover, qui servira dans La Ruée vers l’or. On n’est pas là pour compter des souvenirs de cinéma. On veut du qualitatif pas du quantitatif.
L’interprétation de Downey, qui doit couvrir un grand nombre de décennies, tombe dans les travers habituels. Je ne reviens pas sur le côté copie plus ou moins réussie. Là il s’agit de ces vieillissements qui ne tiennent pas la route. Il n’est pas très bon Charlot jeune, mais il nous fait un exécrable Chaplin âgé. Et puis ce Charlot pâtit de cette américanisation générale du personnage.
Hopkins jouant un journaliste qui l’interview à Vevey, fait du Hopkins, avec comme toujours une certaine profondeur. Mais ici à quoi bon.
Ceux qui nous font Fairbanks, Pickford et toute la clique ne valent pas mieux. C’est joué sans talent, juste pour la ressemblance. Et donc cela frise la parodie.
Les caractères des actrices qui se succèdent comme femme de Charlot, ne sont pas assez fouillés.
Géraldine Chaplin qui joue péniblement la mère folle, est juste là pour servir de caution.
Dan Aykroyd en Mack Sennett, ça va. Cela ne dure pas longtemps. Aykroyd est burlesque lui-même. Mais cela ne sauve pas le film.
Le film n’a pas la moindre parcelle de génie, à laquelle peut prétendre la moindre scène d’un Charlot. C’est juste un défilé d’icônes en cire et de cases à cocher.
Je préfère cent fois un bon documentaire sur un artiste, qu’un de ces biopics de mauvaise qualité. Je mesure mes mots. Je suis conscient du travail que représente une telle réalisation. Mais un bon ami du cinéma se doit de dire certaines vérités… surtout s’il a patienté pendant ces trop longues deux heure vingt.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chaplin_(film,_1992)
Robert Downey Jr.
Anthony Hopkins
Geraldine Chaplin
Dan Aykroyd
Kevin Kline
