Cinéma miséricordieux : grande dépression et big business

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Petite analyse faite après avoir visionné le film de Capra

Il y règne en effet cette atmosphère « politique » typique de la fin des années 30, de la post-grande dépression.

C’est l’époque groggy juste après la grande pauvreté. Le chômage a battu des records. D’où ce regard bon envers les nécessiteux. Le new deal n’a pas encore produit ces effets. Ce n’est pas encore vraiment gagné.

D’ailleurs il faudra la guerre pour faire fonctionner les usines US à fond à nouveau, et sauver l’Amérique.

C’est aussi la montée inexorable des périls.

La guerre sino-japonaise avec ses massacres qui passent dans les actualités, commence à frapper lourdement les esprits. Idem pour la guerre civile en Espagne et Guernica.

La roublardise d’Hitler, Mussolini, Franco devient enfin claire même à Chamberlain et Daladier.
Ils passent toujours pour des clowns, des fous, mais ils ne font plus rire. On pourrait rajouter Staline.

Les extrêmes politiques se battent dans la rue. On est sommé de choisir un camp. Plus personne ne croit aux élites et au système, ce qui n’arrange rien. Soit qu’on estime tout cela inefficace, soit qu’on le juge corrompu.

Le populisme institutionnel s’installe dans de nombreux pays au détriment de la démocratie.

Fini le beau rêve de la Société Des Nations.

On ne s’y rencontre plus que pour décider de ne rien faire. Comme cela la culpabilité collective est moins lourde à porter.

Il faut un coupable. La faute originelle est portée par les riches. Le peuple lui est vaillant, innocent et vertueux. Même dans la fange, il sait garder la tête haute. Le communisme le dit, le fascisme aussi à sa manière. D’ailleurs, les deux systèmes se proclament « Socialisme »

Le peuple donc se ligue tout naturellement lorsqu’il est confronté à l’arrogance des classes supérieures et le sentiment du « tous pourris » – il n’a pas tort si tel est le cas. (Macron, tu écoutes?)

Pas de barrières alors entre la prostituée, le petit voleur, l’artisan, l’employé modeste. Ceux du peuple qui sont tombés n’ont pas eu le choix. A nouveau la faute des riches qui profitent de la misère. Le peuple doit se prostituer dans tous les sens du terme, pour le plaisir du riche. Il le fait danser jusqu’à la mort pour son divertissement : « On achève bien les chevaux. » (**)

En bas, le mythe cinématographique voudrait qu’ils soient tous unis quand il le faut, dans une fraternité naturelle, souriante et chantante.

Là c’est sans doute un vœu pieux. Je n’ai pas l’impression que la misère engendre toujours cette « communion ». D’ailleurs je ne souhaite cette « joyeuse » misère à personne.

Pour se conformer au paradoxe classique, le riche devra passer comme d’habitude par le chas d’une aiguille. Ce qui est assez petit. Alors seulement il pourra oser s’approcher de ce supposé paradis de la fraternité terrestre/céleste (*)

C’est un thème chrétien quasi éternel – On le retrouve dans Dickens et son Un chant de Noël. Le personnage bien connu de Mister Scrooge.

C’est un des avatars de la rédemption qu’on visionne dans la quasi totalité des films US de Noël. Ce genre que je trouve lassant et qui est devenu un marronnier. Mais il y a des adeptes de cette purge annuelle.

Ce sont toutes les variantes de cette charité extrême et impossible qui se cristallisent en un moment cathartique de l’année, de la semaine.

Ramadan, Noël, une messe etc

Bien entendu, il ne faut pas espérer que le commerçant vende son affaire chaque samedi et mette tout l’argent dans la quête tous les dimanches. Ni que les métaux, Rolex compris, soient réellement mis à l’entrée.

C’est éminemment symbolique et on vous demande juste d’y penser le temps d’un film, d’un rite et de verser une petite larme compassionnelle. C’est votre récompense.

C’est donc plutôt un rite d’inversion. A un moment, le riche doit se sentir capable d’être pauvre et de fraterniser. Le pauvre doit se sentir riche… au moins de ses supposées vertus.

Mais pas question que cela soit plus d’un jour ou plus de 1h30 de cinéma (***)

Très logiquement le cinéma s’adresse plutôt alors aux classes laborieuses (ou au chômage). Et celles-ci n’attendent pas qu’on leur fasse une leçon d’économie, mais une émouvante leçon de morale. Leçon dans laquelle il vaudrait mieux qu’ils aient le meilleur rôle.

Ils veulent rappeler qu’ils existent et qu’ils veulent vivre avec dignité (j’ai entendu cela quand j’ai questionné les gilets jaunes – c’est une demande on ne peut plus légitime)

Le sentiment d’injustice et les atteintes à la dignité sont parmi les plus grands ressorts de l’humanité.

De toute façon le rite doit être achevé. Scrooge est aussi indispensable que Judas. Otez les et toute l’histoire s’effondre. On devrait plutôt les féliciter.

On retrouve cette compassion pour le peuple dans le cinéma français des années 30. « La Belle Équipe » qui donne la part belle à des chômeurs. Le héros populaire, le cheminot dans « la bête humaine »…

Et puisqu’il s’agit aussi de cela, au moins dans le titre français du film : « Vous ne l’emporterez pas avec vous »

Et qu’il est en effet si souvent question de cela dans le cinéma comme dans la vraie vie.

Pour n’en citer que deux :

– « La palissade. Qu’est-ce qu’il y avait derrière ? » dit dans un dernier souffle par Vanel dans le salaire de la peur. Et personne bien entendu ne peut lui répondre.

– Ou l’éventail de certaines attitudes face à la mort annoncée, si bien condensé dans Mélancolia. Dont le cercle microcosmique formé par Charlotte Gainsbourg et ce qui reste de ses proches. Aussi puissant que l’astre qui va percuter la Terre et les réduire à néant.

Bien entendu vous n’emporterez pas votre or avec vous dans l’au delà.

Mais vous n’emporterez pas plus vos amours, votre fraternité, votre famille… et qui sait vous n’emporterez peut-être pas non plus vos bonnes et mauvaises actions.

Mais que cela ne vous empêche pas d’aimer, de vivre, de créer, de prospérer.

Que ce soit la beauté, la bonté ou le sentiment de justice, chacun prendra ce qu’il pourra pour adoucir son passage.

Et pour ceux qui restent, on leur souhaite :

– Que la Paix règne sur la Terre.

– Que l’Amour règne parmi les Hommes.

– Que la Joie soit dans les Cœurs.

(*) Jésus dit : « Je vous le dis, il est plus aisé pour un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille, que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » (Évangile selon saint Matthieu, XIX, 24)

(**) « On achève bien les chevaux. » est un livre recommandable, qui donne la mesure de certaines dérives.

(***) A décharge pour ces « pauvres » riches : dans nos sociétés de redistribution, le riche est sollicité régulièrement, sans qu’on lui demande trop son avis. Mais il est rare qu’il éprouve cette émotion fraternelle lorsqu’il rédige son chèque d’impôt.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_D%C3%A9pression

(*) Jésus dit : « Je vous le dis, il est plus aisé pour un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille, que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » (Évangile selon saint Matthieu, XIX, 24)

(**) « On achève bien les chevaux. » est un livre recommandable, qui donne la mesure de certaines dérives.

(***) A décharge pour ces « pauvres » riches : dans nos sociétés de redistribution, le riche est sollicité régulièrement, sans qu’on lui demande trop son avis. Mais il est rare qu’il éprouve cette émotion fraternelle lorsqu’il rédige son chèque d’impôt.

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