Conte d’automne (1998) 7.5/10 Rohmer

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Il y a un mystère Rohmer. Et un mystère de ma notation : une fois 7.5/10 et une fois 8.

Comment cerner ce qui fait le charme de ce talentueux réalisateur ?

D’abord, c’est un excellent artisan. Ses films sont cohérents, bien construits et fonctionnent donc très bien. Et c’est toujours le cas comme ici, alors qu’il a déjà 78 ans.

Sous une apparente simplicité, il s’adresse à quelque chose de très profond en nous. Mais quoi ?

Derrière ce théâtre d’ombres qu’il met en place, et qui ne fait que suggérer les choses et les êtres, il cherche à en révéler l’essence – la partie cachée. Ce n’est pas une démarche intellectuelle, mais une aspiration viscérale traitée avec intelligence. Et quand il met tout ce petit monde en mouvement, il est curieux et intéressé. Je pense que ce faisant, il cherche à apprendre comme nous, sur cette touchante humanité et ses rites. Et il y a donc forcément une certaine distance. Mais contrairement à ce que l’on dit parfois, ce n’est pas théâtral.

Pour cela, il fait preuve d’un immense respect pour les gens qu’il scrute avec sa caméra. Et parfois sans doute même de l’amour. Il n’y a pas pour ainsi dire de petits rôles. Tous sont observés avec soin. Chaque mot, chaque geste, chaque expression, sont rendus avec un étonnant réalisme. Tout a un sens dans cette grande peinture de l’ordinaire.

Et donc il sait nous transmettre, la profonde indétermination des personnages. A tout moment, chacune de ces figures peut obliquer dans une direction ou une autre.

Les êtres sociaux que nous sommes, font en permanence des négociations et des compromis avec eux-mêmes et les autres. Et ça c’est très bien montré.

C’est un exercice difficile pour un art si démonstratif. Le public n’apprécie pas trop les personnages qui sont en quête d’auteurs. Il préfère les choix clairs, les certitudes et la linéarité du déterminisme moral.

Comme à peu près tout est signifiant, cette histoire n’a pas forcément un centre. C’est en tout cas comme cela au début.

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Une tablée provençale nous montre des futurs mariés et des parents. On apprend à les connaître. Il y a ceux qui sont là et ceux dont on parle. C’est une société quasi endogame . Tout le monde se connaît et ils sont souvent en parenté.

Les deux jeunes échangent chaleureusement et se bécotent un peu. Les parents sont prudemment attendris. Dans leurs regards on perçoit leurs propres souvenirs pour cet âge d’or des couples, mais aussi cette tendre réserve, car eux ils savent ce que signifie le temps. Le non verbal domine.

Et déjà, on ressent cette profonde empathie de la caméra qui les caresse tous. Il n’y a pas besoin de souligner qui que ce soit, puisque comme dans la vraie vie des familles, chacun à une belle place.

On pourrait continuer à les observer ainsi, mais l’histoire doit se continuer quand même.

La maman (Marie Rivière) visite une amie vigneronne isolée (Béatrice Romand), qui est célibataire et qui semble se replier exclusivement sur son travail. Il faudrait que cette femme de 45 ans trouve un compagnon.

Mais elle se situe dans cette zone dangereuse où les femmes hésitent entre la résignation et de nouvelles recherches. Elle a déjà tenté la chose et cela n’a pas été brillant. Désormais, elle part perdante, car elle s’imagine à l’avance que tout cela sera épuisant et stérile. Elle craint les « obsédés » (*) et autres épouvantails. Comme tant d’autres, elle se laisserait séduire à la rigueur par le beau chevalier. Sous réserve qu’il vienne à leur rencontre et qu’il soit exactement comme dans leurs rêves.

Et cette rencontre de ces deux femmes dans le vignoble, avec une multitude de détails, est à nouveau l’occasion de très intéressants portraits.

L’amie, sentant que la viticultrice baisse les bras, va prendre les devants. Elle mettra une annonce en cachette, pour lui trouver un homme.

Elle ira même plus loin, puisqu’elle se présentera comme si elle était elle-même celle qui cherche, afin de tester le candidat (Alain Libolt).

Ce qui n’est pas sans ambiguïté. Car d’une part, elle établira un lien affectif inopportun avec celui qui pourrait devenir le futur compagnon de la solitaire et d’autre part, le côté fabriqué de la relation et la révélation de la tricherie pourraient casser l’ambiance définitivement.

Une autre personne entre dans le jeu. Il s’agit d’une jolie jeune fille (Alexia Portal) qui a fréquenté son prof de philosophie (Didier Sandre) et qui lui garde une grande admiration. Elle fréquente un jeune à présent dont elle n’est pas amoureux.

L’homme entre deux âges est toujours très attirée par la beauté de sa jeunesse, plein de désirs (*), il voudrait pouvoir la reprendre. Peine perdue, la fille cherche à s’en dégager définitivement en le mettant dans la « friend zone ». Et pour cela elle entreprend elle aussi de le présenter à la viticultrice. Mais là les choses sont claires pour tout le monde.

Les jeunes montrent une absence de malice et une fraîcheur naïve. A l’opposé les moins jeunes déroulent un jeu savant et intéressé. L’un et l’autre peuvent se compléter, comme souvent chez Rohmer.

Les jeunes entre eux sont en apprentissage. Il s’agit de savoir à quel moment on va trop loin et ce qu’on est capable d’accepter.

Les personnes mûres se mesurent elles avec les mêmes armes et des bagages équivalents, d’où bien plus de contrôle et donc bien moins de spontanéité.

Ce jeu amoureux complexe à plusieurs personnages est digne des intrigues du théâtre classique. Mais ce qui compte avant tout ce sont les fines interactions, avec la fragilité des sentiments qu’ils soient naissants ou en voie d’extinction.

Le buffet de mariage dans la propriété des parents, sera la scène qui permettra de préciser la situation de chacun. Les approches des deux prétendants et l’accueil sans concession que leur fait la « paysanne » sont campés avec justesse.

Il y a une très intéressant place laissée à celui ou celle qui veut s’isoler. C’est tacite dans l’arrangement du parc autour de la maison, lors de la fête. Une zone de repli, non signalée, a été de fait attribuée aux solitaires. Mais plus que cela, l’auteur introduit ainsi dans les rapports, une contrée familière qui est celle des hésitations, des revirements, du vide. Dans le même esprit, les trajets vers quelque part ou vers nul part sont bien mis en scène, que ce soit en marchant dans le jardin, ou par des allers retours sans raison apparente en voiture.

Le final sera un vibrant chant occitan (?) lors du bal. Bien qu’il soit incompréhensible pour nombre d’entre nous, il en dit sans doute plus long que tous les discours sur ce que c’est que l’amour. Si cette conclusion musicale ne vous emporte pas, dommage, c’est sans doute que vous êtes passé à côté du film. Revenez-y dans quelques années…

https://fr.wikipedia.org/wiki/Conte_d%27automne

Marie Rivière
Béatrice Romand
Alain Libolt
Didier Sandre

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