Cría cuervos (1976) 8.5/10

Temps de lecture : 4 minutes

Rarement un récit d’amour maternel fracassé et d’enfants ballottés a semblé aussi vrai et prenant. Ce grand thème majeur est profondément féminin. Et Monsieur Carlos Saura, réalisateur et scénariste, nous a totalement délivré du pathos habituel. Au contraire il minimise les faits astucieusement, et dans un flux tendu.

Il arrive des fois qu’un film soit touché par la grâce. Il révolutionne alors tout ce qui précède dans son genre et entame une nouvelle ère. Cría cuervos de 1976 se hisse au plus haut et accède ainsi à l’intemporel. Ce constat est indéniable près de 50 ans après.


C’est une œuvre perspicace et d’une incroyable subtilité.

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On peut cependant la trouver complexe en première lecture. En particulier parce que Géraldine Chaplin joue la mère, mais aussi la fille devenue adulte. Mais aussi parce qu’elle reste là, dans un couloir en face de nous, telle qu’elle apparaît dans les projections enfantines, bien qu’à un moment elle ait définitivement disparu.

Mais l’écheveau se dénoue assez rapidement. Et puis la complexité apparente est adoucie par une excellente réalisation. Le film respire. On le doit aussi à la relative insouciance dégagée par la fameuse chanson Porque te vas, qui sera tube de l’été. Une ritournelle qui est définitivement entrée dans nos têtes.

Il est cependant recommandé de visionner ce chef d’œuvre plusieurs fois. D’ailleurs notre expérience aidant, notre regard change et s’enrichit. Et notre meilleure compréhension s’entend sur plusieurs plans, autant logiques qu’affectifs.

Les acteurs sont prodigieux.

Géraldine Chaplin qui incarne une bourgeoise madrilène, tient de la mère consolatrice universelle. Elle irradie telle une sainte.

Et quand cette mater dolorosa est bafouée par son mari inconsistant et volage, elle conserve ce qu’il faut de dignité. Ce qui ne l’empêche pas de chercher à connaître la vérité. « les hommes cherchent tous la même chose » dit la servante dévouée.

Sans l’amour de son mari, Géraldine s’étiole dangereusement. Le tribunal populaire voudrait que les longues maladies trouvent leur source dans les tourments occasionnés par les hommes.

Ses liens avec ses enfants sont justes et bons. Avec ce qu’il faut de bienveillante autorité et de souplesse, mais surtout avec un amour sans limite. Sans doute un des rares ponts tangibles entre le monde des adultes et l’enfance. Tout le reste n’est qu’incompréhension.

Et elle distribue généreusement ses baisers sublimes et douces morsures à ses enfants, qui contiennent à peu près tout et donc qui se passent d’explication. Heureux les amants qui ont été si bien récompensés.

Et quand elle est malade à en crever, sa souffrance terminale ne la réduit pas à une totale animalité. Malgré ses râle effrayants, il reste une petite lueur d’humanité que peut encore capter sa fille.

La cadette est au centre de l’histoire. Jeune femme, elle dira que son enfance n’a pas été innocente et heureuse. Et c’est le cas à partir du moment où le couple se déchire et bien entendu après le décès de sa mère.

Le mari va mourir aussi. Ce sera dans d’étranges circonstances.

La jeune tante aura la charge des ces trois orphelins. Elle agit avec finesse. Elle se montre indulgente et compréhensive, tout en maintenant fermement les rennes. En soi, ce n’est pas bien différent de la façon de faire de feu sa sœur. Mais rien ne remplace la vraie mère. Elle sera très injustement prise en grippe. Il n’est pas rare que les enfants souhaitent la mort.

La plupart des scènes sont vues avec un regard d’enfant. Celui de la cadette si admirablement interprété par Ana Torrent (*). Avec ses grands yeux intelligents qui lui mangent toute la tête, on perçoit admirablement que ce petit bout de choux voit bien plus loin que ses sœurs. Et elle formule clairement le diagnostic définitif à sa grande sœur résignée : « moi je ne suis pas bête, c’est toi qui est bête ».

Elle a compris à sa manière la détresse de sa mère et les pas de côté assassins de son père. Surtout avec cette maîtresse, amie de la famille, qui sort en catimini de la chambre nuptiale, laissant le militaire gradé en une funeste épectase.

Du haut de ses 8-10 ans, elle prend parti de manière radicale. Elle offre aussi ses services à sa grand-mère en chaise roulante et qui ne s’exprime plus. – Tu veux mourir grand-mère ? – Oui – Tu veux que je t’aide à mourir ? – Oui…

En ce sens, ce n’est pas en effet l’enfance innocente, mais plutôt celle d’un enfant-soldat. Quel poids sur de si petites épaules ! Mais l’histoire nous réserve des surprises.

La mort et son éventuelle signification hante le long métrage. La benjamine, à la mort du hamster, demandera avec insistance : c’est quoi « mourir ». Personne ne pourra lui expliquer. Les deux parents meurent d’une telle manière que cela donne davantage des questions que de réponses. Et ce qui n’arrange rien c’est que sa mère morte et enterrée est toujours là, en pleine forme, prête à se montrer en surgissant du couloir.

Et puis la mort ce peut être très simple à administrer, si l’on croit dans le pouvoir du bicarbonate.

On est aux antipodes de la mièvrerie traditionnelle des histoires d’enfants. Le bond est tellement prodigieux que certains, peut être, auront du mal à le faire.

Et bien qu’il y ait de nombreux militaires, nécessairement franquistes, Saura ne tombe pas dans le panneau d’une supposée satire socio-politiques. Certains critiques si.

Cría cuervos (littéralement « Élève des corbeaux ! », d’après le dicton espagnol « cría cuervos y te sacarán los ojos » : « élève des corbeaux et ils te crèveront les yeux »)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cr%C3%ADa_cuervos

Prix spécial du jury au Festival de Cannes.

https://librecritique.fr/meilleurs-films-de-criminels-en-serie-serial-killer-8-10/

(*) Ana Torrent est si lumineuse ici que je m’attendais pour elle à un destin hors norme d’actrice, avec une carrière prodigieuse. Il n’en fut rien. Et dire que j’étais prêt à l’adopter. Tout le monde n’est pas Brigitte Fossey ou Jodie Foster.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cr%C3%ADa_cuervos

Géraldine Chaplin
Mónica Randall
Ana Torrent

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