Crossfire Hurricane (2012) 7/10 Rolling Stones, le vrai et le faux

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Une hagiographie des Rolling Stones au sens étymologique du terme. Une hagiographie est une flatteuse vie des saints.

– Des saints ?

Vous allez me dire que les Rolling Stones sont tout sauf des saints. C’est sans doute que vous ne savez pas que des saints méritants ont commencé par la débauche.

C’est même une bonne première marche pour finir dans une glorieuse et miraculeuse rédemption. Si vous vous sentez la vocation, je vous conseille !

Ainsi, on cite souvent Saint Augustin qui a fini par avoir le dessus sur ses énormes frasques sexuelles.

Pour les Rolling Stones vous verrez, c’est la même chose remise au goût du jour.

Cette « légende » des Rolling Stones est produite par les Rolling Stones, mise en musique par les Rolling Stones. Du coup c’est bien, car ils n’ont pas eu de mal à s’autoriser à passer leurs morceaux cultes en entier.

Les Stones ne réalisent pas le film, mais c’est tout comme. En fait, ils commentent des rushes de 50 années de carrière.

D’emblée, on nous annonce que les vieilles pommes fripées de 2012 (Mik jagger 75 ans!), ces chochottes, ne veulent pas être filmées lors de ces commentaires. Ces voix off donnent l’impression d’un recueil d’anecdotes volées. Ça fait plus vrai.

Entrons dans le vif.

Les premiers Rolling Stones, ceux de 1962, sont presque là par hasard. Ils ne font que des reprises de standards américains. Dans le film, nos producteurs ingrats ne donnent aucun nom des sources pillées.

Pour ne citer que le célèbre « I Just Want to Make Love to You ». C’est un standard du blues écrit par Willie Dixon et chanté par Muddy Waters. Rollin’ Stone est d’ailleurs un titre de Muddy Waters. Chuck Berry a beaucoup d’influence également.

Ce n’étaient pas les seuls voleurs. Nos rockeurs français par exemple ont largement prospéré sur le même type d’emprunts.

Pour l’époque ils sont bien plus moches que d’autres proprets rockeurs. Mais rapidement la bouillante et non équivoque énergie sexuelle qu’ils dégagent, les fera même voir comme beaux, du fait même de leur laideur (c’est dit à peu près comme cela par une fan dans le film).

La légende s’installe. « les jeunes filles mouillent leur culotte » comme c’est dit dans le film.

Un intellectuel dira même dans un interview avec Mick que le public féminin qui se déchaine alors et veut toucher et prendre des reliques de Mick sur scène, c’est l’équivalent mythologique de rites anciens d’incorporation. Elles veulent consommer Mick, l’incorporer. Celui acquiesce mais rajoute que c’est une variante strictement UK et que dans les autres pays le public est plutôt masculin et qu’alors l’ambiance violente est toute autre. Soit.

Ils n’arrivent pas à terminer un seul concert à ces débuts. Ils sont littéralement envahis. Ils parient même sur quand ils vont devoir écourter.

L’impresario flaire qu’il ne peut pas y avoir qu’un seul groupe très connu en UK. Il fabrique donc le mythe des méchants Rolling Stones face aux gentils Beatles. Cela colle bien aux personnages et ils en rajoutent. Ils sont instruits mais jouent le côté crado et mauvais garçons. Les chapeaux noirs contre les chapeaux blancs. Et plus tard, Let it bleed contre let it be.

C’est vrai que lorsque nous étions jeunes, les anecdotes étaient nombreuses. Nous n’étions pas insensibles à ceux qui avaient en quelque sorte tous les droits. Comme par exemple celui de tout casser dans leur chambre (d’hôtel). Nous qui étions sommés de … ranger notre chambre.

Pour quelques chaises cassés, ils devenaient des légendes. La belle affaire !

Les mêmes avaient toutes les ouvertures possibles sur la gente féminine. D’un simple regard. Cette toute puissance fait encore rêver, je suppose.

La suite.

Rapidement, les Stones vont devoir créer leurs propres chansons, leur propre style. Les débuts sont laborieux. Mais une alchimie entre Mick Jaeger et Keith Richards va porter ses fruits. Et puis il y a l’apport poétique de Brian Jones. Ce Brian Jones qui bientôt sera plus stone que Rolling Stones. Il ne vivra pas longtemps. Dans le fameux cimetière des « 27 ans ».

Les succès s’enchaînent dont le bien connu (I Can’t Get No) Satisfaction. Mick dit dans le film que cela signifie qu’il n’est pas satisfait de la génération précédente qui les dirige. Mais le titre dépasse largement ce cadre « politique » pour devenir une sorte d’hymne de la génération rebelle.

Les Rolling Stones développent des tonalités particulières et des hiérarchies nouvelles entre les instruments. Des retards savamment construits donnent un son particulier et très reconnaissable.

1969, c’est l’année de la mort de Brian Jones et du concert gratuit de Hyde park quelques jours plus tard.

La musique et les spectacles sont au point. Let it bleed marque l’époque. Le succès est là. Mais survient l’épisode du concert américain gratuit à Altamont. L’exact opposé de Woodstock avec une violence inouïe. Des Hell’s angels archi drogués qui devaient assumer le service d’ordre et qui bastonnent la foule au point de tuer au couteau un spectateur noir de 18 ans. Le soufflet retombe. La presse se déchaîne sur eux. L’establishment qui a été tant malmené, veut avoir leur peau.

Suivent les années drogue. En 72, ils fuient le fisc anglais et se retrouvent à Antibes. Un film reportage existe sur cette période et montre la dérive. En particulier pour Keith Richards qui se shoote à l’héroïne. De 73 à 76 c’est le déclin, même s’il y a des succès au hit parade et sur scène.

Mick Taylor quitte le groupe brusquement, sans doute pour ne pas continuer à sombrer lui aussi dans la drogue. Ron Wood arrive et donne une tonalité plus légère à la musique.

En 77, Keith Richards est arrêté à Toronto avec 90 grammes d’héroïne dans sa valise. C’est quasiment l’acte de mort des Rolling Stones. Mais miraculeusement (je vous avais prévenu, ils sont touchés par la grâce divine !) il obéit à l’injonction thérapeutique et finit par sortir de sa dépendance.

Dans les années 80, il y a de l’eau dans le gaz entre Mick et Keith. Mais cela est totalement occulté dans le film.

Les années 90, les décennies 2000 et 2010 sont des périodes de gestion en bon pères de famille de leurs succès. Des tournées triomphales, du grand spectacle, de nouveaux titres, des albums de rééditions etc.

Explosion sage, exploitation raisonnable, l’innovation a été transformée en belle routine. Ce show-biz que jadis ils conspuaient, les a bel et bien rattrapé. Et ça marche !

Les ni dieux ni maîtres de jadis sont devenus au moins des demi-dieux, respectables et adulés.

A 75 ans, on ne peut pas leur demander d’être les héros étincelants des années 70. Mais des gardiens du temple, c’est déjà quelque chose. Et ils réussissent fort bien.

Les autres groupes célèbres de l’époque ne font pas autrement.

Les tournées tardives des Pink Floyd, de Jethro Tull et de bien d’autres sont des redites savantes, qui suivent un protocole immuable.

Ils font tout de la même manière, récitent la même messe, scrupuleusement sans surprise. Le Mythe de naguère est devenu un Rite. Gare à ceux qui s’en écartent.

Ceux qui sont arrivés au bon moment pour faire voler en éclat les vieux remparts, se retrouvent à présent à protéger le patrimoine qu’ils ont construit. Ce sont en plus les dirigeants d’aujourd’hui.

Révolution 68, devenue conservatisme agressif ?

Nos compères, les Rolling Stones, ont réussi à faire table rase. Ils n’ont été engendrés par personne et n’ont pas de passé. L’ange Gabriel a du passer par là.

Puis ils ont eu leur chemin de croix, c’est habilement susurré dans ce film thuriféraire. Ils sont quasi morts à un moment. Mais ils ont ressuscité et sont devenus quasi immortels. « on les aime plus que Jésus » s’exclame horrifié un intervenant du film.

Et dire que ces personnages les plus emblématiques de ces années, sont à la base de petits voleurs et se prennent pour des saints.

Ils se sont accaparés sans vergogne les grands blues men américains. Si cela se trouve, nos petits anglais ne connaissent même pas les bases de la beat generation qui a mené à la pop culture, les Kerouac, le Ginsberg etc

Ils avaient en effet besoin de s’auto-administrer l’absolution.

Une pas de plus vers l’Éternité.

En mars 2019, Mick Jagger a subi une intervention chirurgicale lourde. Le remplacement d’une valve du coeur. Pas question pourtant qu’on mutile sa cage thoracique. Une intervention divine a fait qu’on a pu réparer cela en passant par la fémorale, quasiment sans laisser de trace.

Les Rolling Stone sont en fait éternels.

L’ensemble de leur organisme d’anciens mortels sera bientôt remplacé par des structures artificielles intemporelles. Cette affaire est une vraie mythologie de Barthes. Le Rolling Stone est un peu comme la DS, une structure divine sans couture apparente.

Je vous avais prévenu au début. Ces mécréants de Rolling Stones sont des Saints. Vous me croyez maintenant ?

Cela dit, on aime la musique de nos petites frappes. Chacun y trouve son compte. Amen. La messe est dite.

https://en.wikipedia.org/wiki/Crossfire_Hurricane


Mick Jagger

Keith Richards
Charlie Watts
Envoi
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