Des gens comme les autres (Ordinary People) (1980) 7/10

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Pour son premier film en tant que réalisateur, Redford a pris des risques. En choisissant le thème ardu et glaçant d’une psychothérapie chez un suicidaire, il a opté pour un sujet qui est très loin des canons du cinéma réconfortant traditionnel.

Sans doute a-t-il obéi à un commandement impérieux. Soit que cela le touche profondément, soit qu’il se soit senti obligé de réhabiliter des gens qu’on ne considère habituellement pas comme les autres.

S’il s’agissait de donner une autre vision de la psychiatrie et des rapports humains, on peut dire que son pari fou est réussi. L’ensemble est assez juste. Les deux heures que durent ce long métrage gardent encore tout leur intérêt, 40 ans après.

Il arrive à nous faire ressentir le monde intérieur de ce jeune homme tourmenté qui se croit une responsabilité dans la mort accidentelle de son frère. Un noyade en glissant d’un petit bateau, dans une tempête, avec une main qu’il n’a pas su rattraper. On peut dire d’emblée que la prestation du jeune Timothy Hutton est d’une indéniable qualité. Ce sera le plus jeune acteur a avoir eu un Oscar.

On sait bien que la dépression profonde crée des sentiments de tristesse et de fausse culpabilité. Cela tient de la classique autodépréciation, avec un environnement de fatigue, de dégoût et de perte de l’envie de vivre. Et chez ce jeune le classique ralentissement psychomoteur est compensé par une excitation anxieuse. Les symptômes sont clairs et l’on sait que c’est le terrain propice à de vrais suicides.

En général, on en vient à bout avec des traitements médicamenteux adaptés. Et là, le jeune a eu des électrochocs. Ce qui était plus facilement utilisé dans cette pathologie à l’époque et qui donnait de bons résultats.

Mais là, le choix est celui d’une psychothérapie qu’on pourrait dire de choc. Pari risqué.

Le praticien laisse venir à lui le patient. Le comédien Judd Hirsch maîtrise bien sa prestation. Le psy cherche à susciter chez lui des réactions fortes, en le menant à exposer ses plus importants conflits internes. Ce n’est pas a proprement parlé de la psychanalyse, en ce sens qu’on ne recherche pas forcément les nœuds familiaux les plus anciens, ces situations freudiennes qui sont présumés enracinées dès l’enfance.

Mais quand même, la résultante ici oriente vers l’analyse d’une situation familiale pathogène, plus présente, plus contemporaine. Le but étant l’acceptation curative, autant que possible.

Le faisceau présomptif tourne rapidement vers un questionnement du statut de la mère. La maman n’a pas d’affection pour son enfant restant. C’est évident. Il n’y a que le père qui ne voit pas cette réalité. Pour elle, les postures ce fils meurtri ne sont des caprices et seule l’autorité et le passage à autre chose, sont à même de sortir de l’impasse. Il serait tant d’en finir. De plus, toute sa vie est orientée vers le maintien des apparences. Elle s’est forgée d’une carapace dont elle ne peut plus se passer. Elle est d’un conformisme absolu et sa structure mentale parvient à fabriquer ce qu’il faut pour donner le change, en toutes circonstances. Elle paraît très forte vue du dehors, mais sous la coquille il y a un sérieux vide. Mary Tyler Moore n’a pas le beau rôle comme on dit. Mais elle se sort avec les honneurs de cette descente aux enfers.

Le père est démissionnaire. Un contre-emploi dont se sort bien le puissant Donald Sutherland. Il cherche en permanence la conciliation et acquiesce par principe à ce que dit sa femme. Mais au fond de lui-même il sent que quelque chose cloche dans cette famille. Seulement il ne veut pas se l’avouer, car cela remettrait tout en cause. Il ira lui aussi voir le psychiatre, d’abord pour chercher à mieux comprendre l’intérêt de l’analyse de son fils. Mais là, il s’agit de quelque chose de confidentiel et le secret doit être préservé. Mais il cherche aussi à comprendre ce qui lui arrive personnellement. Il est perdu et a le courage de le dire.

Il tente même d’amener sa femme en consultation avec lui. Mais elle fuit bien entendu tout ce qui pourrait la remettre en cause. On connaît bien ces réflexes protecteurs.

Il s’est passé du temps depuis la disparition de l’aîné. Les deux parents ont décidé de tourner la page. Ils se gardent d’évoquer le fils défunt, qui pourtant était le préféré. Cela ne leur plaît pas que le fils restant soit lui resté figé dans cette histoire.

Retour au fils en souffrance. Il est difficile d’appréhender l’importance réelle de la psychothérapie dans la cure. Et ce n’est pas toujours clair non plus dans les traitements psychiques médicamenteux. Les mécanismes de préservation de l’image de soi, font que le patient cherche en général à en minimiser l’importance. Le plus souvent, il pense qu’il ne doit son salut qu’à lui-même. En tout cas il voudrait que cela soit le cas.

Ici, pour que le jeune accepte d’être aidé, il doit passer par la case amicale. L’implication du soignant, qui déclare in fine être son ami est une curiosité. A priori ce n’est pas trop professionnel, cet imbroglio de transfert et contre-transfert.

Le jeune est perturbé. Il le montre par un excès de violence, pour venir à bout de conflits minimes avec ses camarades, mais aussi par ses explosions de colère, quand il assiste impuissant aux travestissements de sa mère ou à la démission de son père.

Un évènement va encore plus l’enfoncer. Il a connu Karen lors de son hospitalisation de 4 mois, suite à sa tentative d’autolyse. Il la rencontre bien après sa sortie. Apparemment elle va mieux. Dinah Manoff interprète avec justesse ces demi « tout va bien ». Et pourtant il apprend un peu plus tard qu’elle est parvenue à mettre fin à ses jours. Il se projette en elle et là rien ne va plus. Il doit reconsulter d’urgence.

Un petit rayon de soleil à présent. Il rencontrera une jeune fille. Le courant passe avec l’actrice poupine Elizabeth McGovern. Elle connaît son passé et son présent chaotique. Tout se passe plutôt bien.

Mais lors d’une rencontre au McDo, on assistera à une situation critique. Des congénères chahuteurs et superficiels font irruption. Ils foutent le bordel. Pourtant la fille semble se rallier à eux plutôt qu’à lui, alors même qu’il était en train de mettre ses tripes sur la table en lui exposant les plus gros tourments de son âme. Et comme il le prend cette sorte d’affront au premier degré, il se sent trahi, humilié et dépossédé de son trésor dépressif.

Mais quand un autre jour, la fille lui dira qu’elle n’a souri aux autres que pour se protéger de leur intrusion, et que lui même relativisera son capital de pensées négatives, les choses iront mieux. Chaque évènement à son importance et est susceptible de rapprocher de la guérison.

Souvent l’idéalisation du couple romantique, n’est qu’un passage obligé dans un film. Mais là on peut se laisser convaincre qu’il s’agit en fait de l’ultime thérapie.

Ce n’est pas un film facile. Mais on peut lui reconnaître de la rigueur et une approche psychologique de bonne qualité. On est déjà bien au dessus de la mentalisation de comptoir de nombreuses œuvres de fiction. On évite le piège d’une surdétermination par le milieu et c’est bien comme cela.

J’espère qu’après cela Robert Redford se sentait mieux. En tout cas, compte tenu de la très perceptible implication dans cette problématique, on voit bien que pour lui il s’agissait de répondre à un appel impérieux. Cela dit, il a surtout adapté un livre. Il pourrait y avoir plus de recul que l’on pense.

Ce film à petit budget décuplera la mise.

Coup d’essai, coup de maître. Lui et son équipe seront gratifiés de multiples récompenses :

  • Oscar du meilleur film pour Ronald L. Schwary
  • Oscar du meilleur réalisateur pour Robert Redford
  • Oscar du meilleur scénario adapté pour Alvin Sargent
  • Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour Timothy Hutton
  • Golden Globes du meilleur film dramatique pour Ronald L. Schwary et Robert Redford
  • Golden Globes du meilleur réalisateur pour Robert Redford
  • Golden Globes du meilleure actrice dans un film dramatique pour Mary Tyler Moore
  • Golden Globes du meilleur acteur dans un second rôle pour Timothy Hutton
  • Golden Globes du meilleure révélation masculine de l’année pour Timothy Hutton

https://fr.wikipedia.org/wiki/Des_gens_comme_les_autres


Donald Sutherland

Mary Tyler Moore
Judd Hirsch
Timothy Hutton
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