El Presidente – La Cordillera (2017) 8/10

Temps de lecture : 4 minutes

Encore un de ces nouveaux films passionnants et qui ne nous prend pas pour des imbéciles.

La manière dont est traité cet sujet « politique » casse-gueule est réellement intelligente.

Un président « normal » argentin doit siéger dans une très importante réunion de chefs d’état sud américains, dans une station de ski au Chili. A priori, c’est un homme faible tant au national qu’à l’international. C’est l’excellent comédien Ricardo Darin qui endosse ces habits prestigieux. Un beau jeu avec une belle dose de non-dit.

Son gendre fait des siennes. Il menace de faire des révélations sur des corruptions régionales qui peuvent toucher l’illustre personnage, plus ou moins directement. Le président semble contrôler la situation et privilégie le sommet chilien. On verra plus tard.

Sa fille (Dolores Fonzi) est plus ou moins en rupture avec ce gendre, son conjoint. Mais c’est compliqué. Malgré l’opposition de son père, elle continue à avoir quelques rapports discrets avec lui.

C’est une femme perturbée et difficile à contrôler. Elle ne veut pas s’impliquer, d’une manière ou d’une autre, dans le litige qui oppose les deux hommes.

Sentant le terrain mouvant, le président oblige sa fille à le rejoindre au Chili. Dans la station, elle aura un comportement bizarre. Après une sorte d’automutilation, elle s’enfermera dans un mutisme absolu.

Son géniteur fera appel à un psychiatre sur place (Alfredo Castro). Lequel entamera une psychothérapie d’urgence à base d’hypnose. Cette séance unique fera rejaillir des images troublantes. Il est question d’un cheval offert mais qui a disparu, puis de l’hacienda des voisins qui a brûlé. Elle reparlera mais elle n’est pas « guérie » pour autant.

S’agit-il de vrais souvenirs qui refont surface. Le père s’inscrira en faux. Des scènes analogues, mais qui peuvent parfaitement s’expliquer ont pu exister, mais ce serait avant la naissance de sa fille.

Il interdit au praticien de faire la deuxième hypnose qui aurait du avoir lieu le lendemain. Il semble redouter d’autres souvenirs qui pourraient être compromettants. Un léger doute commence à s’insinuer chez le spectateur, sur le président supposé « normal ».

Entre temps, le gendre gêneur meurt opportunément d’un AVC. Le père et le staff ont beau expliquer que cet évènement ne peut être qu’accidentel, sa fille n’arrive pas à y croire. Mais il n’en demeure pas moins vrai que cela arrange trop bien les affaires de l’homme politique.

Et là encore, on peut être perplexe. N’y a-t-il pas des drogues modernes qui pourraient produire cela sans qu’on puisse les repérer ?

De plus, de part ses interventions, dont une interview avec une journaliste expérimentée, on voit que le bonhomme est plus rusé qu’il n’y paraît.

Ça commence à faire beaucoup.

Le sommet vise à bétonner une alliance des pays du sud, pour réaliser leur indépendance énergétique. Avec ou sans la tutelle des USA, voilà le vrai sujet.

Le président brésilien, une sorte de Lula (le vrai n’est plus président alors), est présenté comme le leader du groupe. Celui qu’on pourrait qualifier de bolivariste est obstinément contre l’entrée des États-Unis dans le jeu. On sent qu’il veut diriger les autres états à sa guise. Le Mexicain lui prône au contraire pour une union panaméricaine qui inclurait ce grand pays. On se doute bien d’intérêts cachés de part et d’autre.

Une réunion secrète a lieu entre le président argentin « normal » et un représentant plénipotentiaire des USA. C’est l’acteur expérimenté Christian Slater qui fait le job.

Bien que cela soit amené avec discrétion, on constate rapidement que l’Argentin se laissera facilement corrompre. Il est même venu pour cela.

Contre 5 milliards de dollars pour lui et quelques avantages pour son pays, il devra faire semblant de contrer les USA, pour obtenir l’entrée d’états centraux-américains qui sont en réalité des fantoches de l’oncle Sam. Et par la suite ce cheval de Troie pourra faire basculer la situation dans la direction espérée par les corrupteurs.

C’est un stratagème éminemment dangereux mais qui en effet sera mis en œuvre. Le groupe décidera en ce sens malgré l’opposition farouche du Brésil.

Et bien entendu avec cette révélation de cette capacité d’une immense manipulation, on tend à croire les propos de sa fille qui traite son père d’assassin.

Le film est à la fois courageux et adroit. Car il rebat les cartes. Les politiques du Brésil, du Venezuela, du Mexique, du Chili, de l’Argentine et de tous le autres, hormis les USA, ne sont pas celles qu’on attend. Elle sont volontairement interverties et mélangées.

L’excellent jeu des acteurs, permet de croire à ces subtiles manœuvres. Le parallèle entre deux mondes si différents que la sphère familiale et la vie publique permet de bien cerner les personnalités. Les collaborateurs sont certes mus par les intérêts du président et du pays, mais peuvent également avoir des arrières pensées et/ou des états d’âmes.

Le film est totalement dépourvu de pathos ou de surdramatisation. Pourtant le sujet est costaud.

Bien qu’il oriente vers un but précis et que rien ne le fera dévier de sa trajectoire, il reste élégant, paraissant non directif et indéterminé.

Et c’est bien cela le grand talent des créateurs.

A force de nous rendre ce monde des grands de ce monde accessible on réussit à se glisser dans la peau de ce personnage éponyme.

On est dans le concret et le déchiffrement méthodique, mais sans verser dans l’habituel manichéisme. La seule concession à la poétique tient dans le rêve récurrent du président. Avec ce grand renard à corne, qui va le déchirer, il a vu le diable. Il a cauchemardé là dessus dès l’âge de 4 ans. Et c’est son grand-père qui lui en a fait comprendre la signification de cette sorte de prémonition.

Du très bon boulot ! Mention spéciale pour le tout jeune réalisateur Santiago Mitre.

On sent bien que le traitement de ce sujet « politique » peut déranger ceux qui ont des opinions tranchées à ce sujet. Ceux qui voudront reconnaître tel ou tel dans ce jeu de rôle. Les présidents sont interchangeables, ne vous arrêtez pas à cela.

Je pense sincèrement que le sujet est plus humain et psychologique que cela. Le centre de cette affaire, c’est l’extension du domaine de la dissimulation, du domaine professionnel à la sphère privée, avec les graves répercussions potentielles que cela peut engendrer. Bien sûr, il ne faut survaloriser l’illusion de la vérité absolue entre proches. Il n’y a des dégâts que selon le terreau, de l’intensité affective et de la solidité des intervenants. Et la ruse des ascendants peut être aussi une école de vie.

https://fr.wikipedia.org/wiki/El_Presidente_(film,_2017)

Ricardo Darín
Dolores Fonzi
Érica Rivas

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