Mon nom est Christ, Jésus Christ !
- Nom donné à Jésus de Nazareth, du fait de son onction en tant que rédempteur messianique. Du Grec χριστὸς, qui signifie oint, consacré. En clair c’est l’élu par excellence (*)
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Ils ne sont pas nombreux sur terre, croyants ou non, ceux qui peuvent se mesurer à un personnage supra-mythologique pareil.
Pier Paolo Pasolini a tenté cet immense pari filmé et il l’a réussi, lui le pratiquant d’une religiosité sans foi.
- Moi, l’incrédule, le rationaliste, et peut-être tout autant « l’athée stupide » que le « libertin irréligieux », je suis tombé dessus par hasard, ce vendredi saint. Et j’ai laissé venir à moi « La scandaleuse force révolutionnaire du sacré », la sous-couche marxiste en moins.
- Ces deux heures et quart ont été une belle anticipation d’une belle Pâques de mécréant!
- Cela aurait été un « péché mortel », de ne pas le voir. Plus encore que celui qu’on nous agitait enfant sous le nez, pour nous faire aller à la Messe de la Résurrection.
- Ce n’est pas bien de pratiquer la contrainte pour ce type d’engagement ! Mieux vaut le libre arbitre bien entendu. Mais cela, j’ai compris tôt que ce n’était pas si bien toléré que cela, par les cerbères enragés de la religion.
L’Évangile selon saint Matthieu est le premier évangile reconnu par l’église et sans doute le plus factuel, le moins embarrassé de pathos ou de mysticisme. Il n’est pas forcément de saint Matthieu lui-même, mais il semble quand même le fruit d’un écrivain unique. Il y en a quatre en tout d’évangiles officiels et d’autres que le clergé a préféré remisé ou proscrire. A la trappe Marie Madeleine et L’Evangile interdit ! D’ailleurs la donzelle préféré du Christ est curieusement absente ici.
Ce livre est très favorable aux doctrines de l’ancien testament, à la judaïté et à la masculinité, tout en introduisant avec force la nouvelle doctrine messianique. On ne connaît ce premier exemplaire qu’en grec et on peut s’interroger sur son antériorité réelle.
Il n’en demeure pas moins vrai que l’Évangile est puissant et que les phrases qu’en a extrait Pasolini sont particulièrement bien senties. Le réalisateur les délivre à propos. L’écriture scénaristique est vigoureuse. Et alors qu’on se prend de belles claques, on est prêt à tendre l’autre joue. Ainsi il a réussi son coup.
Sur la forme, Pasolini s’est conformé à une habitude millénaire. Le récit doit être adapté à son temps. Le moyen-âge a des représentations remises au goût du jour. Les personnages sont devenus leurs contemporains. Il n’est pas rare qu’ils soient dans des accoutrements du temps des artistes qui les ont croqué, bien des siècles plus tard.
Et ces sauts de siècle dans l’habillement et les architectures, a fini par devenir une nouvelle norme.
Le metteur en scène a donc mélangé les époques, tout en restant à distance respectable de la notre. Les soldats ne sont pas en treillis, les villageois n’ont pas de velours côtelés et les citadins ne sont pas en complet veston.
Il en est de même pour la musique d’accompagnement. Bach est là précisément avec sa Passion selon saint Matthieu. D’autres le secondent dont Mozart, Webern, Prokofiev (Alexander Nevsky).
Pour donner une couleur début de premier millénaire, on ne peut pas compter sur des enregistrements, même sur d’antiques K7. Et donc Pasolini nous jette à la figure une primitive Missa Luba, aux rythmes facilitateurs de transe du Congo. A noter aussi les chants negro spirituals, comme pour cet intemporel Sometimes I Feel Like a Motherless Child, qui moi me remue les tripes.
Ce gros malin a déjoué l’obligation d’une version musicale du Stabat Mater pour l’épisode de la croix. Pergolèse, Josquin des Prés, Haydn, Palestrina, Lassus, Dvořák, Vivaldi, Rossini, Scarlatti, Verdi, Gounod, Schubert, Poulenc, Penderecki … et tant d’autres, toquaient pourtant à la porte.
Sur le fond. Chez ce Christ, tout ou presque pourrait passer pour des provocations. Mais en « réalité », les paraboles ne sont que des coups de semonce, façon Zen, pour provoquer l’Éveil du patient. Ce consumériste repu qui sommeille en nous. Et pour cela le paradoxe est une sorte de seau d’eau de l’esprit, qui aurait pour vertu de réveiller instantanément.
Pasolini nous donne une lecture fidèle d’un récit bien écrit, mais sans tomber dans le travers de la transcription littérale. Il associe images, regards, postures, situations, dans une forme pure et intense, avec un fond immaculé.
Il est incroyable que dans le texte supposé prononcé par le fils de l’homme, on ne trouve rien de contradictoire, même si on peut ne pas en approuver les idées ou les postulats. C’est quand même du bon boulot.
- Pour ma part, j’ai du mal avec les miracles et les guérisons miraculeuses. Même si on tente maintenant d’y voir quasi exclusivement un côté symbolique, pour tenter d’en dévier le flux critique. Mais l’Église n’est toujours pas claire à ce sujet.
Mêmes les autorités catholiques n’ont rien trouvé à redire à cet opus filmé. Ce qui est un comble quand on connaît toute l’œuvre et la vie hors les normes de l’artiste italien.
Le Christ reste sauvage et à la limite du saisissable, tout en étant habilement canalisé en direction de son but ultime sur le mont Golgotha, par le metteur en scène.
La jonglerie des concepts avec les prêtres institutionnels est d’une audace ébouriffante. Et que c’est bien rendu ! Les petits gestionnaires de la foi, ceux qui acceptent les marchands du Temple, sont clairement désignés comme des ennemis.
Le Christ veut pratiquer et faire pratiquer une doctrine ascétique, totalement débarrassée de tout compromis. A la limite, il ne peut y avoir d’intermédiaire avec Dieu, que dans la mesure où ce sont des prophètes ou nabis, directement branchés sur le flux divin. Mais le fidèle de base est aussi dans le collimateur.
Avec une telle exigence de dépouillement, quasi impossible à réaliser, on éloigne tous les importuns, mais on met en porte-à-faux 99.99 % des fidèles. Et les 0.01 % restant vont passer pour des fous ou des imposteurs.
C’est donc une pratique spirituelle on ne peut plus élitiste. En écoutant le discours, même aussi bien retransmis par Pasolini, on peut se demander à qui peut bien s’adresser cette demande d’engagement corps et âme. Est-ce que ceux qui restent au camp de base, vont pouvoir quand même aller au ciel ? Ce n’est pas clair cette histoire.
Cette exigence totalitaire, mais qui aurait existé avant l’an 0 chez les Esséniens, a de quoi en effrayer plus d’un. Et c’est sans doute en mettant la barre à un niveau infranchissable que la foi peut rester humaine et qu’elle attire tant de monde. Ce qui ne manque pas de sel. Nombreux appelés pour une poignée d’élus. Le bouddhisme est aussi chiche en Siddhartha Gautama (Éveillé), preuve que la « recette » ne date pas d’hier.
Le Christ est une incarnation. Et Enrique Irazoqui qui sort pratiquement de nulle part est l’incarnation bien trouvée du Christ. Ce rôle d’extrémiste peut convenir à bon nombre d’acteurs inspirés, mais le fait qu’on soit en présence d’un véritable inconnu rend le récit encore plus convaincant. Il est plus facile à renier trois fois un tel nobody, plutôt qu’une célébrité.
La scène primale où Marie enceinte est sur le point d’être répudiée par Joseph pour cause d’adultère, mais qu’il accepte enfin de rentrer dans l’Histoire sans passer pour un cocu, est d’une finesse remarquable. C’est un éclairage tout neuf, en tout cas pour moi, mais parfaitement compréhensible. Tout est dans les « divines » expressions du visage. Un Gabriel aux yeux clairs et d’apparence inoffensive, est là quand même pour arrondir les angles.
Les rois mages sont désarmants ici, tant Pasolini a visé la simplicité là aussi. On est loin des chromos habituels où ces gaillards s’imposent d’eux-mêmes, par leur magnificence. On pourrait les prendre pour des touristes égarés. Tiens le roi noir s’est transformé en blanc. Pourquoi pas. Le massacre des gamins vaut le détour également. La fuite en Égypte et le retour sont vite expédiés. Il y a-t-il une concordance historique avec ce qu’on nous présente comme de faits ?
Le passage sur Jean le Baptiste contient de part son décalage vertigineux, une nouvelle vision extraordinaire de son histoire. Je passe la première partie, le baptême de Jésus, la révérence que le Messie lui porte, pour arriver à la sanction finale. La fille d’Hérodiade danse avec une apparence de totale innocence. Cette frêle et belle jeune fille, à qui on donnerait le bon dieu sans confession (hum), est désirable comme peuvent l’être les nymphes de David Hamilton. Et pourtant voilà que cette Salomé demande sa récompense, la tête de Jean Baptiste posée sur un plateau et agrémentée de sel pour qu’elle ne soit pas défigurée. Patatras, ce revirement bestial, que n’aurait pas mieux traité un Fellini, nous tombe dessus sans prévenir. Méfiez-vous des gamines !
La tentation du Christ dans le désert, par un Satan bien ordinaire, a de quoi surprendre, par sa faible intensité réelle. Mais dans le cerveau de ce Jésus à l’écran, on sent que cela bouillonne. Le doute maximum est sans doute à situer là, face à un vrai concurrent, et non pas dans ce dernier cri “humain” du « pourquoi m’as-tu abandonné ?».
Il est d’ailleurs assez sanguin ce prophète là.
La fin graduel du Christ est parfaitement illustrée. Toutes les phases ascensionnelles sont présentes, aussi fidèlement représentées que dans la montée du Col du Galibier, par nos divinités modernes, que sont les cyclistes émérites.
Et la vibration atteint son maximum. On est vraiment bousculé à ce moment, tout autant qu’avec ce séisme opportun à Jérusalem. Tout est là, avec une densité quasi insoutenable tout en préservant une savante économie de moyens.
Cela se passe dans des villes, rues et habitats, à taille humaine, avec une pauvreté généralisée mais conforme à la norme de l’époque, et c’est bien comme cela.
Pour parvenir à une telle épure, tout en surveillant toutes les incidences, en respectant « religieusement » le propos, en gardant sa lucidité, il faut que le scénariste / réalisateur Pasolini y ait réfléchi toute sa vie. Prenons le temps à notre tour, si nous ne nous sentons pas encore prêt.
Stabat Mater dolorosa
iuxta Crucem lacrimosa
dum pendebat Filius.Elle se tenait, dans la douleur,
près de la croix, en larmes,
tandis que son Fils était suspendu.
La bande son réserve des surprises comme cette musique de francs-maçons. j’ai un faible tout particulier pour ce
La bande son réserve des surprises comme cette musique de francs-maçons. j’ai un faible tout particulier pour ce
La bande son réserve des surprises comme cette musique de francs-maçons. j’ai un faible tout particulier pour cette Fugue (Ricercata) a 6, Nr. 2 – Johann Sebastian Bach – qui ravira les amateurs de Gödel, Escher, Bach : Les Brins d’une Guirlande Éternelle
- Matthäus Passion (BWV 244) – Johann Sebastian Bach
- Concerto for violin and oboe in d minor (BWV 1060) nr 2: Adagio – Johann Sebastian Bach
- Fuga (Ricercata) a 6, Nr. 2 – Johann Sebastian Bach
- Hohe Messe (BWV 232) – Johann Sebastian Bach
- Concerto for violin in E major (BWV 1042) – Johann Sebastian Bach
- Maurerische Trauermusik in c minor (KV 477) – Wolfgang Amadeus Mozart
- Dissonant-quartet (KV 465) – Wolfgang Amadeus Mozart
- Cantate ‘Alexander Newski’ nr 1 – Sergei Prokofiev
- Gloria – Missa Luba
- Sometimes I feel like a motherless child – Negro Spiritual
- Dark Was the Night, Cold Was the Ground – Blind Willie Johnson
(*) Christ, onction et chipotages :
- Peu de chance que cela vous arrive d’être choisi, si vous n’avez pas été copieusement huilé par une averse de ce baume coiffant magique. Cela vient d’en haut. Une douche que l’on attend pas forcément.
- Amis de la scolastique, réfléchissez bien à ce qui suit : se pourrait-il que le paradis ne soit pas une question de mérite ? Il faudrait juste avoir un lien fort avec le locataire du dessus… par exemple être son fils, ou le Saint-Esprit, pour qu’il accepte de vous verser la sainte Brillantine ? Non, mais allô quoi ! N’a-t-on pas aboli les privilèges ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pier_Paolo_Pasolini
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89vangile_selon_Matthieu
https://fr.wikipedia.org/wiki/Racines_juives_du_christianisme
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_christianisme
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bouddhisme
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sometimes_I_Feel_Like_a_Motherless_Child
https://journals.openedition.org/doublejeu/337
https://www.cinezik.org/critiques/affcritique.php?titre=evangile-selon-saint-matthieu2020090116
http://hans-meierhofer.ch/wp-content/uploads/2020/11/Maz_a-d.pdf