Comme sans doute plusieurs d’entre nous, je n’ai pas lu ce livre culte de Fitzgerald (1925).
Et je n’en ai pas très envie, dans le fond.
C’est bien le film, et lui seul, qui m’intéresse.
- Bien entendu, je ne parle pas là du film très artificiel de 2013, avec DiCaprio. Tout y est un peu trop. Non, je reste sur la version plus pure de 1974, avec Redford.
A noter que le scénariste de l’opus de années 70, n’est rien de moins que Francis Ford Coppola.
Au centre de l’intrigue, plusieurs choses me paraissent importantes :
D’abord ce qu’on peut appeler le décor.
C’est l’exposition violente des contrastes sociaux. D’une côté l’insolente richesse des parvenus et de l’autre la pauvreté résignée, de ceux qui n’y parviendront jamais. C’est assumé. C’est criant.
Et nous sommes pourtant pas encore au Krach (1929) et la grande dépression.
Cet opposition des classes nous est jetée à la figure. C’est quasiment un manifeste.
Voilà ce qu’écrit d’ailleurs Fitzgerald au début du livre : « Quand j’étais plus jeune, ce qui veut dire plus vulnérable, mon père me donna un conseil que je ne cesse de retourner dans mon esprit : / — Quand tu auras envie de critiquer quelqu’un, songe que tout le monde n’a pas joui des mêmes avantages que toi. » (wikipédia)
Mais ne nous trompons pas, Fitzgerald n’est pas un bolchevique. C’est plutôt un conservateur nostalgique perdu dans les années folles. Il ne critique pas ceux qui sont arrivés, et qui sont forcément suspects aux yeux des égalitariens, mais il constate avec fatalité l’inégalité des chances. C’est juste un constat. Pas de quoi changer le monde ou délaisser le verre de Whisky.
Une image est frappante pour fixer cela. C’est la Rolls jaune immaculée qui s’arrête dans dans le monde terreux, charbonneux et graisseux, de l’infortuné petit garagiste. Des demi-dieux dans leur étincelant chariot ailé, rendent visite aux plus petits des mortels. Des êtres supérieurs qui n’ont aucun scrupule à prendre l’épouse de ce prolétaire à la dérive. Il n’y a que le cinéma pour pouvoir rendre les problématiques aussi instantanément claires.
Pour continuer dans la même lignée, on peut aussi citer, les coûteux costumes faits de tissus magnifiques et à la coupe impeccable, le mépris de classe affiché dans les grandes fêtes, les jalousies infernales pour ceux qui sont un petit cran au dessus dans l’échelle sociale.
Et au sommet de tout cela, la somptueuse demeure qu’occupe le Tycoon, et qui rappelle Versailles. On ne peut pas faire mieux, comme image du pouvoir absolu.
On est frappé par ailleurs, par cet amour insensé de Gatsby (Robert Redford) pour Daisy (Mia Farrow).
D’un côté une femme fleur inconséquente, qui fuit les choix et n’assume aucune responsabilité. De l’autre un bel homme qui n’avait rien et qui a été délaissé de ce fait, au profit Tom, un homme riche. Daisy avoue sans trop de difficultés qu’étant d’un milieu très modeste, elle n’a pas résisté à cette pluie de dollars.
Gatsby veut reconquérir la belle. Il a donc pensé qu’il fallait, à tout prix, une réussite éclatante pour la séduire. Pour cela, il s’est lancé discrètement, mais avec une grande efficacité, dans des activités illicites, avec un paravent d’honorabilité. Cela lui a pris cinq années. Incroyablement têtu, il n’a pas perdu courage.
C’est franchement peu crédible cet amour fou qui traverse intact ces années, et qui demande tant d’efforts. Mais c’est souligné ainsi dans le scénario, c’est à dire comme une obsession.
Comme Gatsby est proche du but, pour parvenir à ses fins, il manipule le voisin, l’omniprésent narrateur. C’est un cousin de Daisy. Le tout est d’arriver à provoquer un rendez-vous. Il est sûr de lui pour la suite. Et en effet il n’est pas loin du but.
Le propos est servi par une bonne psychologie des personnages.
Même s’il y a des tendances lourdes, rien n’est vraiment joué d’avance. Chacun fait avancer les choses à sa manière.
Gatsby cherche à circonscrire Daisy, par petites touches et grands effets, en tirant profit de ses contradictions.
Daisy s’échappe en permanence et donne raison à quasi tout le monde. Ce qui complique encore la situation.
Son mari Tom, n’est pas né de la dernière pluie. Il doute de l’honnêteté de Gatsby. Il enquête. Il provoque les retournements de situation, à son profit.
Et ceux qui semblent les plus insignifiants, le garagiste Wilson et sa femme, qui est une maîtresse de Tom, seront des personnages décisifs. Les damnés de la terre seront les grains de sable destructeurs, dans la belle mécanique des nantis.
Sam Waterston incarne l’incontournable scrutateur de tout ce monde. La belle Lois Chiles, un ancien mannequin très classe, tourne autour de lui. Un jeu de séduction plus intelligent que celui de la frivole Daisy.
Bien qu’il n’approuve pas les compromissions de Gatsby, le narrateur l’estime profondément pour sa flamboyance. Elle n’est pas dénuée de retenue. Il est fasciné par le fait qu’il ait réussi à construire un empire, dans le but principal de tout mettre aux pieds de Daisy. Il y voit de la grandeur.
C’est du grand spectacle, en effet.
En mettant tout ce qui précède dans la balance, on arrive à un film de qualité. La version plus récente, en préférant le clinquant à la psychologie, rate singulièrement la cible.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gatsby_le_Magnifique_(film,_1974)
