Happy together. Avis film Wong Kar-wai – Homosexualité malheureuse mais fière 8/10

C’est d’abord un film avec une très belle prise de vue et un bon découpage. C’est vivant, sauvage, intelligent et cela respire. Et comme il y a du Zappa souvent en musique d’accompagnement, je ne boude pas mon plaisir.

Pour le fond, on pourrait se dire qu’il s’agit juste d’une tumultueuse histoire d’amour homosexuelle, peu différente de ce qui se voir chez les hétéros. Et donc le propos viserait une certaine « normalisation » de notre regard. Heureusement Wong Kar-wai est tout sauf un donneur de leçon. D’ailleurs le final démontre qu’il n’y a pas une seule destinée possible, un seul être aimé. On est donc loin d’un calque d’une bluette classique.

En réalité, il y a une spécificité possible dans ces revirements permanents en dents de scie. La relation amour/haine n’est pas une nouveauté, mais la fréquence des changements est toute particulière.

Les émotions semblent plus fortes mais plus labiles. L’attachement à long terme reste plus précaire. En tout cas d’après ce que que j’ai pu voir chez des amies lesbiennes dans des situations analogues, avec le sentiment qu’ici cette singularité est bien rendue.

Ces deux garçons se donnent à fond. Et même si leurs parcours sont complexes et protéiformes, ils gardent une attirance profonde l’un pour l’autre. C’est bien entendu sexuel mais pas seulement. Les scènes d’étreintes sont précises et peuvent déranger un public un peu prude. Mais elles ne sont pas choquantes, provocatrices ni même libidineuses. Et il y a aussi des refus.

Ce sont deux gars en bas de l’échelle sociale. Mais ils ne montrent aucune envie de s’adapter au système. Les prises de vue sinistres des capitales tendent à prouver qu’ils n’ont pas foncièrement tort. En Argentine on est aux antipodes du séjour touristique. C’est la froide ambiance portuaire et des bas quartiers.

Il s’agit plutôt de « fuite » de leur Asie natale. Même si les Foz do Iguaçu sont en ligne de mire, cela tient d’une abstraction dans ce « voyage » au bout de la nuit. Le seul des deux qui finit par y arriver, ne les voit qu’à travers des filtres impressionnistes mélancoliques.

Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes, Toute lune est atroce et tout soleil amer.

Ils ne sont pas à proprement parler des paumés, même si le cadre misérable dans lequel ils végètent dit le contraire.

Ils vivent de petits boulots peu reluisants et parfois l’un deux se livre à une prostitution de pissotière. Vu de loin on se croirait dans le triste univers de Macadam Cowboy.

Ils acceptent leurs défauts. Ils vivent dans une certaine harmonie malgré tous les aléas et les querelles.

L’un sans l’autre, ils sont totalement nus dans une jungle urbaine. La crasse et la misère deviennent alors criantes. Ils pleurent de chaudes larmes.

Mais si l’un fait défaut, il existe des expédients comme ces salles de cinéma porno gay, où l’on peut se faire faire des petits plaisirs. Et puis il ne reste plus qu’à chercher un autre « autre ». C’est banal, c’est la vie. On n’en fait pas une montagne.

Et puis il reste un tout petit espoir de se rabibocher avec la famille qu’on a volé et trahi pour partir au loin. Pas gagné d’avance.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser ce film n’est pas mélodramatique. Il n’y a guère de pathos affiché malgré l’univers morbide qui les entoure.

Ce qu’on voit, se sont de belles et fières solitudes, avec ici ou là quelques rares oasis. Il n’y a pas de conclusion à l’exposé d’une tranche de vie, à part ce « Et si on repartait à zéro ? » répété si souvent dans le film. Et c’est bien comme cela.

Mais il y a quand même un point final. L’un des deux acteurs protagonistes, le délicat Leslie Cheung, s’est suicidé en 2003. C’était le plus fragile dans le scénario.

Tony Leung Chiu-wai, dont la tête nous est familière, a lui continué son impressionnante carrière.  Prix d’interprétation masculine du Festival de Cannes pour In the Mood for Love (2000) aussi de Wong Kar-wai. Sans doute le meilleur acteur hongkongais de sa génération.

Ce film peut être dur à intégrer dans nos canevas classiques.

Mais qu’on ne nous fasse pas le coup de stupides clichés, comme Serge Kaganski avec « la mélancolie de l’exil » ou la problématique de la « rétrocession de Hong-Kong ». Une fois de plus les Inrocks et leurs rédacteurs indigents auraient mieux fait de la fermer.

Il faut voir du côté d’un vrai réalisateur comme Jacques Audiard pour avoir une approche plus satisfaisante – Lui voit et comprend cet immense travail de derrière la caméra :

« Dans « Happy Together », le nombre de motifs et de couleurs qu’il y a au mètre carré est très impressionnant. Il filme au grand angle et le plus souvent en caméra portée ce qui apporte du mouvement. C’est l’ensemble de ces éléments qui donne autant d’intensité à ses décors. »

« La scène du tango amoureux… C’est à pleurer, c’est fou, c’est extravagant ! Et la lumière est traitée de manière différente, elle est presque surexposée, un seul plan, c’est une merveille »

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-culture-change-le-monde/happy-together-de-wong-kar-wai-6886589

https://fr.wikipedia.org/wiki/Happy_Together_(film,_1997)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Leslie_Cheung?tableofcontents=1

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