Histoire – commentaires – L’Auberge espagnole (2002) 8/10 Le Lauréat de Klapisch

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Voilà un très bon film qui remplit toutes les cases ; deux heures de pur bonheur.

Voir l’avis global sur : Avis. Auberge espagnole (2002) Klapisch, Duris, Tautou, Godrèche, Cécile de France, Kelly Reilly 8/10

Cédric Klapisch nous a fait un scénario en or, qu’il a su habilement mettre en scène. La réalisation est vive et inventive. Le découpage est brillant.

Et pour tout dire, ce premier opus de la série est un coup de maître. Cela n’a vraiment pas vieilli. Je le revois toujours avec autant plaisir. Je suis encore surpris, après 5 ou 6 visionnages, par la finesse de ton et la clarté du propos.

Cette histoire concerne une tranche de vie commune à de jeunes étudiants Erasmus. Ils viennent de plusieurs pays, comme il se doit, et sont réunis incidemment à Barcelone pour leur cursus. Ils ont tous un parcours amoureux digne d’intérêt. Rien de linéaire et d’univoque cependant.

Le fait qu’ils soient de niveau universitaire donne une consistance toute particulière. On peut le dire, le film est intelligent.

Chacun a sa petite histoire et cela reste toujours très naturel. Les types ne sont pas encore clairement fixés à cet âge. Duris est dans le fameux tourbillon de la vie (*), il se laisse plus entrainer, qu’il n’est à la manoeuvre : “ma vie c’est n’importe quoi”. Pour finir, il accepte d’être une boule à multiples facettes : “je suis tout cela, un vrai bordel”. Il aura quand même du mal à accepter la contrainte dans sa vie d’adulte, il ne veut pas retrouver cet angoissant “mal de ventre” qui a hanté sa vie d’enfant.

  • Tout le monde ou presque est passé par là.

Ce qui ne pourrait être que des romances de type coming of age, cache en fait des trouvailles enthousiasmantes. Il y a plein de bonnes idées dans la façon de traiter cette bonne matière là.

  • Les Espagnols commentent cela avec gourmandise, en disant « muy rico ». Et c’est bien cela, c’est « très riche ».

– L’homosexualité féminine attribuée à Cécile de France est exposée avec grâce ; pour une fois. C’est un thème qui me barbe habituellement. Mais ici, c’est abordé sous le bon angle et avec bonheur.

Comme cette jeune femme est bien placée, à la fois comme émetteur et récepteur, elle se permet un joli cours de sexualité féminine à l’élève Duris. Il comprend très bien la leçon. Il l’appliquera comme il faut, pour décoincer l’épouse rangée qui est jouée par Judith Godrèche. Je suis sûr que tous les spectateurs avisés ont été attentifs.

Cécile lance en contrepoint très masculin et volontairement caricatural “toutes des salopes”. Romain aura la mauvaise idée de prendre cela au presque premier degré. Encore un mignardise psychologique bien construite.

  • J’insiste : cela fait plaisir que ce thème soit traité avec ce qu’il faut de douceur, de précision et de bonhommie.

– Kevin Bishop joue le frère cadet mal dégrossi, de cette étudiante anglaise, si bien incarnée par Kelly Reilly. Il se livre à des blagues potaches en caricaturant ce qu’il pense être les tics révélateurs des divers nationalités représentées.

Dans cette ambiance d’acceptation multiculturelle, cet humour lourdingue tombe à plat. Cette intolérance ordinaire d’un garçon modeste et sans culture, qui ne pense vraiment pas à mal, est traitée aimablement et sans pathos. On est loin du wokisme. Et notre gaillard est juste remis à sa place, autant que faire se peut. C’est bien, c’est juste.

– Le couple Duris / Tautou est séparé provisoirement. Romain a pris la décision de partir en Espagne. Il a décidé de compléter son cursus, tout en évitant de tomber trop rapidement dans le train-train de la vie de bureau à Paris.

Il prend le risque d’affaiblir leur liaison, puisqu’elle reste à Paris.

Les liens se distendent par la force des choses. Pour tenter de ressouder leur passion, ils se feront chacun une visite. Mais ces brèves rencontres seront décevantes. Romain a trop été élogieux sur cette “maison du bonheur”, elle ne s’y reconnait pas, elle n’en fait pas partie. Cette faille naissante est criante de vérité.

  • Ces deux acteurs avaient alors une présence fraîche et parfaitement pertinente. Un très beau jeu qui remplit nos mirettes.

Les incartades sont des deux côtés, ce qui relativise leurs petites crises. Les sentiments sont à taille humaine, avec les imperfections que nous connaissons tous.

Là encore, il n’y a ni fausses notes, ni exagération dans le récit. Et même si le sujet est important, les choses vont et viennent avec simplicité qu’il se doit.

Quand on parle d’adultère, on sort généralement la grosse artillerie. Il ne faut pas, car le plus souvent, il ne s’agit que de mignonnes coucheries. Il faut bien que le corps exulte, dans ces couples au long cours (**), sous réserve bien sûr qu’on ne fasse de mal à personne. C’est donc tout un art.

Xavier de Guillebon incarne très correctement le mari (qui a tué le prince charmant qui était en lui (***)). C’est un jeune neurologue ou neurochirurgien détaché au grand hôpital de la capitale catalane. Il aime parler de sa science. Il arrive à expliquer l’anatomie du cerveau en associant des restes de petit déjeuner, façon Arcimboldo.

Il est heureux de faire la connaissance de ce compatriote cool qu’est Romain. Il n’a pas peur de lui confier sa Judith, qui ne cause pas l’espagnol et s’ennuie ici. L’inévitable arrive. Cela se saura quand même à la fin. Et la cassure sera chirurgicale, sans esclandre inutile. On n’en est plus là, dans notre monde civilisé. Judith aura quand même compris ce qu’est la passion, ce qui à mon avis ne peut que rendre service à leur couple.

Bon, les histoires sont nombreuses et comme vous le voyez, toujours intéressantes. Je ne vais pas tout dire. A vous de découvrir ces petits morceaux d’anthologie, si ce n’est déjà fait.

Petite révolution

On est fort heureusement ici très loin du traitement convenu de cette tranche d’âge “campus”. Comme on peut les voir dans ces nanars répétitifs à majorettes dont rafollent tant les Américains.

Il y a pourtant eu un petit saut quantique, d’à peu près la même intensité, qui est venu nous submerger depuis les rives du Pacifique, c’est le film Le Lauréat de Mike Nichols avec Dustin Hoffman, Katharine Ross et Anne Bancroft. Le cinéma US est quand même capable de s’ébrouer par moment.

Ce soubresaut culturel européen de 2002, dans la forme et dans le fond, est à mon avis bien plus important qu’on ne le croit.

Techniquement, c’est aussi une avancée qui démontre l’intérêt des légères caméras numériques, même dans les grands cinémas.

Une autre intelligente première a consisté à faire choisir les acteurs étrangers par des professionnels du spectacle de leur pays à eux, et non pas depuis la France. C’est une assurance de plus de réalisme mais aussi d’une meilleure accessibilité pour le produit fini.

Voir l’avis global sur : Avis. Auberge espagnole (2002) Klapisch, Duris, Tautou, Godrèche, Cécile de France, Kelly Reilly 8/10

https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Auberge_espagnole

(*) LE TOURBILLON DE LA VIE

paroles de Serge REZVANI, chanson interprétée par Jeanne Moreau

On s’est connu, on s’est reconnu
On s’est perdu de vue, on s’est r’perdu d’vue
On s’est retrouvé, on s’est réchauffé
Puis on s’est séparé
Chacun pour soi est reparti
Dans l’tourbillon de la vie

https://www.paroles.net/jeanne-moreau/paroles-le-tourbillon-de-la-vie

(**) LA CHANSON DES VIEUX AMANTS

paroles Jacques Brel

Je t’ai perdue de temps en temps

Bien sûr tu pris quelques amants

Il fallait bien passer le temps

Il faut bien que le corps exulte

https://vinyles-d-autrefois.pagesperso-orange.fr/jacques-brel/html-brel10/chanson-vieux-amants.html

(***) UNE PETITE FILLE EN PLEURS

paroles Claude Nougaro

Et le moment fatal où le vilain mari

Tue le prince charmant

https://paroles2chansons.lemonde.fr/paroles-claude-nougaro/paroles-une-petite-fille.html

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