Ida (2013) 7.5/10 Paweł Pawlikowski

Temps de lecture : 3 minutes

(Pologne)

(Oscar du Meilleur film étranger)

A voir aussi la critique sensible de Diane dans : https://www.leblogducinema.com/critiques/critiques-films/ida-33321/

C’est avant tout un magnifique album de photos « animées » en noir et blanc.

Le format 4:3 à l’écran est voisin de celui des photos de la belle époque argentique ou des films classiques du muet.

Ces deux arts de l’âge d’or sont d’ailleurs mis à contribution. Et le tout semble avoir été fait par les grands noms et virtuoses de ces deux instruments.

Dans la plupart de ses plans fixes qui s’enchaînent, les personnages se meuvent juste un peu et souvent silencieusement. Le cadrage des acteurs et leur jeu, prennent soin de ne pas détruire l’harmonie visuelle de l’ensemble. Au contraire ils y contribuent. Une savante alternance des plans et des contrastes ajoute encore de la cohérence entre les images et dans les séquences.

Le réalisateur nous assène de temps en temps une émotion visuelle supplémentaire. Comme lorsque subitement on voit ces futures nonnes couchées en parallèle dans la chapelle, la joue sur le pavé froid.

Mais en réalité chaque plan séquence est quasi indépendant et peut être feuilleté comme une collections de photos, ou exploré comme une cimaise.

On sent un travail considérable dans cela.

– On observe ainsi des inserts de visages à la Dreyer (Jeanne d’Arc). Avec une vérité qui se veut nue réduite à l’essentiel, mais qui en est ainsi transcendée.

La référence à cette œuvre n’est pas anodine. Car ici chez Pawlikowski aussi, on a cette confrontation entre la symbolique minimaliste de la religieuse novice et son ancrage dans le réel et le profane. Là se trouve d’ailleurs un des éléments structurants du film.

– Parfois c’est un jeu d’oppositions contrastées à la Man Ray, Lucien Clergue ou quelques autres.

– Mais on note surtout du temps suspendu, des « instants d’éternité » à la Cartier Bresson. Mais qui ici se prolongent.

Il en résulte une forte esthétisation des situations. Le propos tend tout naturellement vers la stylisation et l’archétype.

Les décors pauvres, les maisons décrépites, les murs lépreux, la vieille tuyauterie bricolée, l’hôpital avec la peinture qui s’écaille, font partie du réel de la fin de la guerre et doivent aussi à l’impéritie du communisme. Quiconque a visité les pays de l’est, même bien longtemps après, et qui a été au-delà des « vitrines », peut en témoigner.

C’est présenté ici sans enjolivements, comme l’aurait fait un Doisneau ou un Tati, ni procès politique, ni pathos. Simplement, cela est.

Les trois histoires :

La jeune Ida doit prendre le voile. Tout dans son comportement montre qu’elle est décidée. Son engagement silencieux est de tous les instants. Elle s’agenouille devant chaque lieu de prière.

Pourtant la mère supérieure lui enjoint d’aller voir sa tante, son seul lien familial connu, avant de prendre son engagement irréversible.

S’en suit un road movie initiatique.

Après de rudes épreuves dont la découverte de son lourd passé familial et le suicide de sa tante, Ida va expérimenter l’amour des humains. Ce qui lui permettra de savoir si elle est prête en toute connaissance de cause à se consacrer exclusivement à l’amour sublimé du clergé chrétien.

Ce n’est pas un plan calculé, ce sont les circonstances et une petite dose de libre arbitre, qui vont permettre à l’impétrante de rompre le voile de l’enfance.

Ida apprend qu’elle est d’origine juive et qu’elle ne doit sa survie que parce que cela ne se voyait pas tant que cela. Les autres ont été exécutés par des civils malhonnêtes qui se sont accaparés leurs biens. Certains y verront le centre du film, d’autre n’y verront qu’un prétexte. Il faut dire que les colossales révélations, les aveux, la tombe sommaire et les ossements, tout cela semble pleinement amorti par celle qui est sujette à tendre l’autre joue et qui doit favoriser le pardon, l’absence de rancune et de haine.

Le fond de l’air est triste et sans espoir.

Ce n’est pas pour rien dans la dépression de sa tante. Cette juge active et matérialiste, n’a plus de racine et plus de but. Elle est réduite à une vie extra-professionnelle faite de quasi rien. Elle penche largement dans le traditionnel recours de pays sans avenir, la boisson.

Elle, comme Jeanne Moreau sortant de prison dans Les valseuses, aura un ultime acte sexuel avant de se suicider. Jeanne se tirera une balle dans le vagin dans une scène mythique.

Ici très simplement et sans effort, la tante saute par la fenêtre. Elle le fait comme elle enjamberait un petit muret, avec juste un peu de musique sur son tourne disque pour s’accompagner. Seule la durée du silence avant le petit bruit sourd nous donne l’échelle de ce qu’elle vient de faire. Cette prise de vue est un monument de sobriété.

J’ai vu ce film après avoir vu Cold war. Et bien que j’apprécie beaucoup Ida, je trouve Cold war encore plus abouti, plus riche en surprises et plus percutant.

Bien entendu, on ne peut pas vraiment comparer ces deux œuvres à la finalité toute différente. Mais quand même…

réalisé par Paweł Pawlikowski

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ida_(film)

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Dawid Ogrodnik

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