Mais qu’est-ce qui se passe donc ? Le post-apocalyptique se répand partout. Tout le monde y va de sa petite idée et de sa thèse, non pas sur la fin du monde, ce qui en soi ne permettrait pas de film, mais sur les conséquences d’un arrêt plus ou moins momentané (stop n’ go).
On peut s’en réjouir car cela peut être l’occasion de développer des schémas de pensée passionnants. Les films sont légions, mais pas toujours si inventifs que cela. On est donc loin d’avoir épuisé cette veine.
Autant il est facile d’explorer le passé, car il suffit de copier sur ce qui a été là un jour, autant tenter de visualiser l’avenir, nécessite une sérieuse réflexion et de l’intelligence créative. Pas donné à tout le monde.
A moins qu’on parte comme ici d’un point existant et qu’on bifurque juste un peu sur un avenir probable et proche. L’effort est moindre.
En ce qui concerne le visuel, l’exposé de cette franche rupture n’est pas très compliquée et cela ne coûte pas des fortunes.
- On enlève pas mal de gens, ce qui est en fait une bonne chose pour ceux qui considèrent que l’enfer c’est les autres. Et la production réalise de sérieuses économies.
- On dispose quelques carcasses de bagnoles, ce qui peut être plaisant pour ceux qui adorent brûler les symboles. Les films d’action ne font pas autrement.
- On répand quelques bennes à ordures, ça c’est moins drôle. Ceux qui se sentent enquiquinés par le tri sélectif doivent quand même jubiler. Un brin de rébellion.
- On permet le pillage libre de vieux supermarchés, ce qui ne manque pas de mettre l’eau à la bouche de pas mal de monde.
- Les héros sont en mode Robinson Crusoé. Quel enfant n’a pas rêvé d’être le maître de « Despair Island » ?
La débrouille avec tant de moyens, c’est assez plaisant. Et l’idéologie de base, emprunte au concept d’un monde simple et sans histoire où l’on recommence à zéro. Il y a des partisans du reset et de cette décroissance en mode accéléré.
En résumé, cette nouvelle configuration n’est pas si mal… sous réserve d’être parmi les rescapés.
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Armin est un jeune quadragénaire pas très convaincant. Il a un job à la télé, mais ce n’est pas brillant. Il pratique des micro-trottoirs et n’est pas si doué que cela. Son père voudrait se persuader qu’il est important, car avec sa caméra il côtoie les grands de ce monde. Mais en réalité il n’est presque rien. De plus il est quasi sur le point d’être lourdé pour son inefficacité.
Sa vie affective n’est pas plus reluisante. Il cherche à amener des nanas rencontrées dans des boites, dans son petit appartement mal entretenu. Des fois cela marche, des fois non. Il se biture. Il n’a pas vraiment d’amis. Il fuit tout engagement. C’est la vie très ordinaire, quasi au jour le jour, de pas mal de gens de sa génération.
Son paternel s’est mis avec une maîtresse de son âge et cela ne plaît pas trop à son fils. Les rapports sont assez superficiels et désagréables dans cette famille. Mais cela n’a rien de pathétique.
La grand-mère vient d’être rapatriée à la maison familiale, pour y mourir avec un brin de dignité. Elle est franchement comateuse et n’en a plus pour longtemps. On ne peut pas dire qu’on nage dans une franche gaîté.
Cette ambiance désabusée correspond à ce que l’on trouve dans les téléfilms allemands habituels. Ceux qui sont dans la routine d’une certaine dénonciation de l’affaiblissement de la société, de l’effondrement des valeurs, de la disparition du lien social.
Et le scénario pourrait continuer ainsi jusqu’au bout. Mais en réalité, cette longue exposition n’est que l’occasion de nous dessiner le monde d’avant.
On passe maintenant à la vitesse supérieure. Armin se déplace. Il achète quelques petits trucs dans une station service curieusement désertée. Il laisse l’argent sur le comptoir. Le tenancier doit être occupé. Bizarre cette autre voiture qui a fait le plein et qui semble abandonnée. Et pourquoi ces motos sont parterre ?
Rapidement il se rend compte que le village est totalement déshabité. Comme si les occupants avaient foutu le camp subitement. Ils se sont littéralement évaporés. On en saura pas plus.
Il sillonne les environs avec sa petite voiture. Il explore le terrain plus loin encore. Il se fait une raison. Il n’y a plus personne.
Comme un gamin, comme vous et moi, il emprunte une Lamborghini abandonnée et fait un tour de piste. Pied de nez au surmoi. Pas mal de routes sont bloquées par les carcasses de bagnole. Il passe au cheval.
Comprenant qu’il doit être seul au monde, il s’habitue tout doucement à cette nouvelle situation. Il entreprend un survival à lui tout seul. Et finalement il ne déteste pas cela du tout. Pour une fois il conduit son destin, fini la passivité et la vie subalterne.
Il investit un bâtiment près d’une rivière. Le barrage lui permet d’installer une petite centrale énergétique. Il cultive un peu et il élève quelque animaux utiles. Il prend dans les magasins abandonnés ce qu’il lui faut en plus. A priori c’est la vie dont il avait besoin, bien qu’il en s’en soit pas rendu compte jusque là.
Il ne manque qu’une femme pour parfaire ce rêve autarcique.
Et comme de bien entendu, cette deuxième survivante de l’humanité passe par là. C’est une jolie étrangère à l’esprit plus citadin que le sien. Ce qui doit arriver finit par se produire. Ils se mettent ensemble malgré leurs différences, tout en gardant une certaine réserve. Lui en particulier ne doit pas effaroucher la fille. Dans cette configuration, il ne dirait pas non à avoir un enfant d’elle.
Elle n’est pas du tout prête à cela. Elle passe de bons moments avec lui. L’affection est réelle. Mais il occupe en partie le vide laissé par son chien mort. Elle n’a pas tant besoin de lui que cela. Elle semble vouloir continuer un rêve nomade. Elle voudrait se déplacer en mobile home. Visiter la planète. Pourquoi pas ce Berlin désert pour commencer ?
Ils ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Elle est de passage alors que lui voudrait poursuivre son enracinement. Elle aime visionner des films. Sans doute cherche-t-elle encore à se raccrocher à d’anciens repères. Elle est dans une logique « consumériste », comme si elle devait goûter à tout avant la disparition inéluctable. Le tout avec une certaine désinvolture post-apocalyptique.
Il a lui, le regard plus lointain. Il a l’intuition qu’elle est le jalon qui lui permettrait de reconstruire un monde, le sien, le notre. Mais il n’insiste pas.
Leur avenir est incertain. Et souvent femme varie.
Cette opposition pacifique entre deux conceptions radicalement opposées, est assez intéressante. Comme l’est ce monde d’après très soft.
La première partie est un peu longue à mon goût et la deuxième pourrait être davantage développée. On aurait pu introduire quelques caractères qui étoffent les points de vue. Cela aurait permis déjà d’éviter l’invraisemblance de la rencontre fortuite, au milieu de nul part, des deux seuls survivants. Le jeu aurait été plus subtil. On aurait pu faire sentir plus de complexité dans cette tentative d’élaboration sociale.
Mais ce n’est pas si mal, quand même, d’avoir réduit la problématique à deux axes. Cela aide au dégrossissage dans nos esprits. Cela facilite notre implication.
Les acteurs sur lesquels presque tout repose, Hans Löw et Elena Radonicich, sont bons.
Le réalisateur Ulrich Köhler donne distille un réalisme réduit à l’essentiel, qui est loin d’être déplaisant. Il participe en effet à un prometteur renouveau du cinéma européen.
Il est simple et sincère quand il dit dans son interview au journal Le Monde que ce qui l’intéressait en faisant ce film, était ce « qui suis-je quand il n’y a plus les autres ? » – Cette interrogation sur l’animal social que nous sommes est bien plus fine que le classique « que dois-je faire quand il n’y a plus les autres ? » – Mine de rien, c’est un film philosophique.
https://fr.wikipedia.org/wiki/In_My_Room_(film)
Hans Löw
Elena Radonicich
Michael Wittenborn