La Ballade de Narayama (1983) 8.5/10 Imamura – arithmétique de la misère

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Film japonais plein d’une noblesse primitive, mais à l’ambiance moyenâgeuse et glaciale. On le doit au très factuel Shohei Imamura.

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Un petit village de flanc de montagne vivote sous la neige.

L’harassant travail suffit à peine à nourrir les paysans.
S’en suit la pénible arithmétique de la misère.

– Si un aîné prend une épouse, cela fait vite deux bouches à nourrir de plus. De quoi déséquilibrer le fragile familial.

Mais si le couple donne naissance à une fille, on a quand même l’espoir de vendre le bébé au marchand de sel. Sinon, on peut toujours jeter le nouveau né dans la rizière. Ce serait un bon engrais.


– Le fils cadet en âge de travailler, n’a pas le droit au chapitre. Surtout s’il sent atrocement mauvais de la bouche, comme ici (maladie incurable ?!). Il n’aura la possibilité d’avoir que de très rares relations sexuelles. Et cela, si et seulement si, cela aide à le rendre moins agressif et plus efficace au travail. Pas question de procréer.

– Une grand-mère âgée, c’est a priori un poids mort. D’où l’utile légende du dernier voyage dans la montagne sacrée. Les vieux de 70 ans sont envoyés finir vite leur vie, nolens volens, dans un cimetière désolé à ciel ouvert. Ils seront laissés parmi les squelettes et les corps décomposés, là haut sur la montagne de Narayama. C’est le centre du film.

La grand-mère en question est interprétée par Sumiko Sakamoto, une actrice qui n’a alors que 47 ans. Et à mon humble avis, malgré les tentatives du maquilleur et les talents de l’artiste, on voit qu’elle n’a pas les 70 ans requis. C’est une des rares faiblesses du film.

– C’est le très bon acteur Ken Ogata , qui incarne le fils. C’est lui, qui est chargé de transporter sur son dos, sur une dizaine de km de mauvais sentiers, la vieille qui doit disparaître. Et ce n’est pas une « ballade », que ce voyage tortueux et épuisant sur tous les plans !

Le fils a du mal à se résigner. Il est attaché à cette mère. De plus, elle est indispensable. Tant elle est active, en bonne santé. Elle est au centre moral, décisionnel et affectif de cette famille.

Mais la vieille veut absolument se sacrifier. Son temps est venu. L’appel de la montagne.

Elle va jusqu’à se mutiler pour paraître sur le déclin et convaincre son entourage. C’est la scène dont on parle le plus.

La bouche en sang, le sourire aux lèvres, elle se lancera dans une étrange et belle danse de la sorcière, au centre d’une fête villageoise. Les participants seront à la fois inquiets, surpris, amusés par cette prestation improvisée, sauvage et de l’ordre du « magique ». Nous aussi !

Un conseil des anciens acte la date du départ. Chacun des sages transmettra aux voyageurs, un élément important du périple à venir. Cette transmission rituelle des secrets, vise à entretenir le caractère sacré de ce chemin de Narayama. Le temps des dieux peut faire irruption dans celui des hommes, et inversement. On réintègre l’absurde de l’existence dans une histoire qui aurait un sens. L’humanité ancienne a découvert tôt l’importance de ces fonctions sacerdotales. Elles seules, peuvent assurer la continuité au-delà des avatars quotidiens ou des petites vies de chacun, grâce à une tradition compréhensible et acceptable. Même à l’heure actuelle, il est difficile de s’en débarrasser. Les plus sceptiques enterrent encore leurs morts en passant par les rituels de l’église.

Le fils dévoué ne croit qu’à moitié à ces histoires. Et au comble de ce malentendu, une fois la mère déposée dans l’empire des morts, il y aura un signe. L’arrivée de la neige, comme dans la chanson/ballade de Narayama. Ce récit explicite qui se transmet de génération en génération. Ce sera l’indice suffisant pour endormir ses doutes, voire l’exalter. Jusqu’aux prochains questionnements.

Au plus fort de la tension nerveuse, on tend vers l’irrationnel. Qui n’a pas versé dans la superstition dans ces circonstances ?

– Chez ces pauvres, pour continuer à exister, la gestion à la fois de la pénurie et des forces vives (ou non), pourrait suffire. A condition qu’aucune autre catastrophe ne survienne.

Comme par exemple, ces voleurs qui subtilisent des aliments vitaux. La communauté en danger, se défend comme elle peut. Jusqu’à enterrer vivants toute la famille des coupables. C’est plus rapide et plus pratique.

Ils ne sont pas tous coupables. Mais comme en chirurgie, on voit large. On retranche les tissus malades et une bordure de sécurité en tissu sain.

La terre recouvre tout, l’ordre est rétabli. Le silence règne.

C’est fait sans haine, dans un esprit d’autodéfense et de simple survie. Un retour aux sources de la justice primitive. Celle qui a dominé pendant des dizaines de milliers d’années.

Et comme tout cela dépasse ce que peut endurer seul l’être humain, il y a cette présence du sacré, comme suprême arbitre de nos comportements. C’est le dieu de la montagne qui réclame les vieux, pas la simple nécessité sociale. Et on leur promet le bonheur éternel et les joyeuses retrouvailles dans l’au delà.

Certains de nos ancêtres pas si lointains que ça, ont du être comme cela. On sent presque leur présence. Et il reste en nous quelque chose de ces rapports sociaux de l’ordre du mythologique.

D’ailleurs, à bien y réfléchir, le raisonnement «économique » transfiguré par le baume sacré, cela existe encore de nos jours (*)

Pour revenir au film. Il y a des trouvailles dans la prise de vue et le scénario. Ainsi, le défilé accéléré des paysans qui pillent la maison des voleurs. Ou des mini-scènes intercalaires avec des animaux qui s’accouplent ou se mangent. Un peu trop récurrent, certes.

Le voyage vers le terminus, prend une bonne partie de cette œuvre de 2 heures. Une redoutable épreuve même si la mère est volontaire. Un voisin qui transporte son père non consentant et ligoté aura encore plus de difficultés.


Le côté simple et cru des scènes, nous change de nos chichis et nouveaux tabous.

La jeune fille pisse devant ses soupirants pour les aguicher. Les couples copulent sans chercher à cacher leur satisfaction. C’est bien visible et parfaitement sain.

Le film a été récompensé par une Palme d’Or à Cannes.

(*) Le raisonnement de gestion différenciée des ressources, tient toujours.

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Ballade_de_Narayama_(film,_1983)

Ken Ogata
Sumiko Sakamoto
Takejo Aki
Tonpei Hidari
Seiji Kurasaki

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