La belle équipe (1936) 7/10

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C’est un film qui surfe assez habilement sur la vague du front populaire.

Revu ici :

On a à faire à cinq ouvriers vertueux qui vont tenter de s’en sortir par eux-mêmes. Totalement désargentés, et même aux abois, ces amis rêvent tout haut de liberté et d’autosuffisance. Ils sont cloîtres dans un sinistre hôtel, crasseux et sans le moindre confort. D’ailleurs ils ne payent même plus leur loyer. L’ennemi, dans la grande tradition, c’est le patron. Cet exploiteur gras et détestable est incarné d’abord pas le taulier.

Mais pour réaliser un projet qui leur ferait sortir la tête de l’eau et échapper aux petits tyrans, il y a quand même la nécessité d’une mise de fond initiale. Ils ne peuvent pas décemment faire appel à ces méchants banquiers, qui de toute façon ne leur donneraient rien.

Ils devront leur salut à un billet de loterie gagnant. La providence divine qui aide l’esprit communiste, on aura tout vu ! (*)

Dès lors, dans ce groupe de gars décidés, ils se décernent tous le titre de président. Jean Gabin en est pourtant le leader naturel, il est donc un peu plus président que les autres. Il réussit à maintenir la cohésion du groupe et impose un modèle collectiviste à ses « camarades ». Ils se proclament même « frères ». La thématique est clairement communisante.

Plutôt que de diviser par 5, ils mettront tout en commun au service d’une entreprise sérieuse. Il s’agit de construire un outil de travail agréable et performant. Ils vont monter une guinguette « au bord de l’eauuuuuu ! ». C’est à dire un établissement de l’entre-soi ouvrier. Un quartier réservé pour le défoulement dominical, une zone de non-droit pour les nantis.

Et puis ils recréent une mini-société qui tient relativement bien debout. Chacun travaille à l’œuvre commune. Les vieux, les usages, les coutumes institutionnelles, sont tous respectés. Et même le gendarme interprété par Charpin, trouve grâce à leurs yeux. Lequel nous fait son numéro sympathique habituel.

Comme ces gars sont formés au métier du bâtiment, le projet avance bien. Mais il y a quelques écueils et quelques tiraillements.

D’abord l’un d’entre eux est un réfugié anti-franquiste, qui est sur le point de se faire expulser de France. Il finira par être viré. Un de moins, reste 4.

Un autre à des yeux doux par la future femme de l’Espagnol précédent. Plutôt que de mettre l’équipe en porte à faux, il choisira de s’exiler. Un de moins, reste 3.

Quand on s’promène au bord de l’eaud’un toit pour planter le drapeau bleu blanc rouge, synonyme de leur engagement commun mais aussi du fait que la maison est terminée, on prend un sérieux risque. Il tombe, il meure. Un de moins, reste 2.

Les deux rescapés, Charles Vanel et Jean Gabin, vont s’affronter pour une belle. Viviane Romance est un enjeu de taille, on est bien d’accord. Mais en réalité, c’est elle qui chasse et qui mène la danse. C’est la femme officielle de Charles, mais elle l’a quitté ce petit joueur depuis bien longtemps, ne suivant que son propre intérêt. Elle aime l’argent et n’hésite pas à coucher avec qui assure son train de vie.

Voyant que les travaux du restaurant sont en bonne voie, elle vient réclamer sa part à son mari. Celui-ci, facilement manipulable cède et vole une partie de la réserve pour elle. C’est sans compter sur Jean à qui on n’en raconte pas. Il récupère une grande partie du pognon… et la fille. Elle a utilisé son indéniable charme et Gabin est tombé dans le piège. Un malaise s’installe entre les deux hommes. Charles se doute de quelque chose. Il ne va pas tarder à en avoir la preuve.

Comment cela va-t-il se terminer. Le films a connu deux fins opposées. La version que j’ai visionné se termine mal. Mais il en existe une autre, qui a été davantage projetée à l’origine, avec un happy end.

– – –

Viviane Romance incarne la traîtresse vénale. C’est par elle que le mal arrive, en grande partie. Elle sera traitée de morue. Mais au-delà d’une critique de cette semi-prostitution, c’est le fait qu’on puisse échapper à la logique du groupe, juste pour de l’argent, qui est mis en cause. C’est cette attirance pour le fric qui est censé tout pourrir, et qui gène tant nos moralistes.

L’ancien propriétaire des lieux est un autre pôle qui concentre la haine. Il a usé de ruses pour récupérer discrètement, à vil prix, les parts des démissionnaires. Du coup, si les créances ne sont pas rapidement remboursées, il se retrouvera majoritaire.

Il circule dans les lieux avec l’arrogance d’un patricien. Il s’attribue le mérite de cette réalisation auprès de ces amis. Bref c’est un affreux. Il faut y voir une critique du capitalisme financier, tel que vu par les communistes. C’est l’équivalent de ces boursicoteurs qui ne travaillent pas et s’engraissent sur le dos des autres. En tout cas c’est la vision qu’on en a ici, comme l’ont encore de nos jours pas mal de gens mal informés sur ces nécessaires mécanismes régulateurs.

A noter que la société s’étant développée, il y a déjà à cette époque pas mal de propriétaires en France. Et donc on ne peut plus prendre au pied de la lettre la phrase condensée de Proudhon : « la propriété c’est le vol » – Il y a forcément une tolérance pour les petits propriétaires, même dans ces zones extrêmes de la gauche. On voit bien ici qu’ils sont même encouragés dans cette voie, l’acquisition de cette guinguette autonome étant de fait libératrice. Il n’y a plus guère que les anarchistes qui en soient restés au partage total et sans nuances des biens.

Il y a quand même une entourloupe un peu facile dans ce scénario, comme dans bien d’autres de ce moment d’obnubilation un peu particulier. On cherche à nous attendrir avec le thème fort de l’amitié, et il y en a assurément beaucoup de sincère dans le film. Mais ce faisant, on en profite pour nous refiler le concept de solidarité de classe. Ce qui sous entend un certain embrigadement du côté des « gentils » et de l’ostracisme envers tous les autres.

Cette fraternité sans frontières a donc des limites, si j’ose dire. Elle ne vaut pas mieux que tous ces autres appels à l’amour universel que l’on entend depuis plus de 2000 ans. Paradoxalement, pour exister, ces idéologies ont toujours besoin de se désigner des ennemis (de classe dans le cas présent). Le rouge n’est pas si rose que cela. Nos naïfs ne l’apprendront que 20 ans plus tard, qu’une fois que certaines vérités seront révélées, après la mort de Staline. Et encore, certains ne l’admettront jamais. Ca marche dans les deux sens ce truc là. Les Américains ont beaucoup souffert de ne plus avoir d’ennemi après la chute du mur de Berlin. Depuis ils ont fini par trouver un Satan de rechange.

On ne peut pas dire que l’on puisse percevoir d’autres messages dans ce film. Pour le féminisme c’est raté ! Viviane se prend des claques mémorables pour qu’enfin elle consente à rendre l’argent détourné. Et selon la tradition de l’époque, elle aime cela ! Il lui vient un grand sourire ravageur après cette correction. Son tortionnaire est donc un homme, un vrai ! Elle le dit clairement.

C’était en 1936. Et je pense que le réalisateur Duvivier a fait des concessions à son temps. Mais il me semble plus intelligent que cela. Confer certaines de ses créations phares, qui montrent bien son éclectisme : Pépé le Moko, La Fin du jour, Le Petit Monde de don Camillo, Voici le temps des assassins…

D’ailleurs la droite a trouvé le film trop à gauche et la gauche l’a estimé pas assez de son bord.

Outre la réalisation de qualité, il y a à retenir un jeu d’acteur de qualité. Gabin en particulier tient admirablement sa place. Vanel n’est pas mal non plus. Romance fait ce qu’il faut aussi. Et les seconds rôles sont inégaux. Sort du lot le bouillonnant Raymond Aimos.

Que demande le peuple !

Quand on s’promène au bord de l’eauuuuuuuuuuu !

  • (*) Cette histoire de gros lot, ils l’ont pompé intégralement sur un autre film d’inspiration de gauche, Le Million de René Clair en 1931. Même coup de pouce au destin qui permet le passage du dénuement à l’autosuffisance. Mêmes luttes contre les tentations coupables de l’argent. Il s’agit de ne pas jouer perso et de garder son âme… en tout cas le plus longtemps possible.
  • Je ne sais pas si ce préalable d’une manne qui tombe du ciel est c’est si moral que cela, en tout cas pour ce bord politique. A l’origine les jeux d’argent n’ont pas bonne presse dans la révolution bolchevique. C’est un vieux débat. Ils ont d’abord été interdits, en tant qu’illusion capitaliste. Mais nécessité fait loi, et donc la participation à la Loterie Nationale n’a pas seulement été tolérée, elle est même devenue « obligatoire ». Un impôt déguisé sur le dos des travailleurs.
  • A noter que la loterie n’est devenue nationale en France qu’en 1933.

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Belle_%C3%89quipe

Jean Gabin
Charles Vanel
Raymond Aimos
Viviane Romance
Fernand Charpin


Julien Duvivier
Envoi
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