La dolce vita. Philosophie. Fellini. Mastroianni, Anouk Aimée, Cuny, Anita Ekberg. 8,5/10

Temps de lecture : 6 minutes

On voudrait bien démarrer sur les chapeaux de roue, en utilisant tous les superlatifs possibles, pour ce travail majeur de Federico Fellini. Mais les excès sont contre-indiqués pour qualifier cette œuvre qui est tout en finesse.

Marcello Mastroianni est au centre du film. Mais l’intérêt déborde de partout, bien au-delà des caractéristiques de son personnage. C’est autant du vécu, que de l’hyperbole ou de la philosophie.

Cet acteur fétiche s’identifie parfaitement à ce jeune journaliste mondain. Il est tiraillé entre l’attirante modernité cosmopolite et la dévotion que l’on doit à l’héritage italien, du monde ancien.

Il est charmeur à la ville et à l’écran.

Ici, il séduit avant tout les jolies femmes. Il en fait son miel, au détriment de sa légitime, qu’il trouve barbante, avec son amour monolithique, qui bloque tout l’horizon.

Elle se rebelle devant tant d’indifférence. Elle lui sort ces phrases pensées, mais toutes faites, que les femmes ultra-possessives disent toujours en la circonstance : « tu ne comprends pas la chance que tu as d’avoir une femme qui t’aime autant » « tu termineras seul »Yvonne Furneaux va jusqu’à faire pression avec une tentative de suicide.

Lui est dégagé. Il plaît à l’aristocratie, qu’elle soit nobiliaire, du show-business ou des arts et des lettres. Mais les humbles qui le côtoient l’apprécient également. Un modeste photographe colle aux basques de Marcello, pour profiter de sa notoriété et passer plus facilement les barrages. Son nom de famille est Paparazzo. Il fera des petits symboliques et réels, que tous désormais désigneront comme des paparazzi.

Le scénario est facilement décomposé en scènes apparemment bien distinctes. Les sujets traités sont en effet différents, mais ils apportent chacun un nouvel éclairage révélateur de la personnalité de Marcello.

Cela débute avec une saturation d’images contradictoires, comme cette statue de Jésus transportée par un hélicoptère. On reconnaît le génie de Fellini quand il s’agit de nous faire entrer dans son passionnant univers.

Anouk Aimée aime notre Marcello. Cette fière jeune femme est blasée et elle recherche toujours davantage de sensations, quitte à briser quelques barrières. Elle convainc le journaliste d’embarquer avec eux une prostituée défraîchie, sous le prétexte de la ramener chez elle. On ne sait pas trop ce qu’elle veut faire avec elle. Elle semble improviser. Elle demande à la catin de lui montrer son logis, là où elle amène ses nombreux « clients ». Grisée Anouk/Magdalena fera l’amour à son homme, sur le triste lit des amours répétitifs. Profanation du lit d’une putain. Il fallait y penser.

Inutile de dire que l’on ne voit rien venir lors du premier visionnage et que pour les suivants, on reste toujours surpris. Peu de films on cette capacité à surprendre « utilement ».

L’arrivé princière de la célèbre actrice Anita Ekberg, vient juste après. La blonde en fait des tonnes. A priori elle n’intéresse pas trop Mastroianni. Il peut la tolérer sur l’angle professionnel. L’interview tous azimuts de l’icône vaut le détour. Est-elle sotte ? Est-elle dans les nuages ? On ne le sait pas vraiment. Par contre, il est vite clair que cette supra-féminité, saillante de toute part, fait saliver l’immense majorité des mâles.

Pour ma part, je suis comme Marcello, plutôt effrayé par cette beauté-camion, que Fellini a su rendre si felliniesque. Ce mastodonte monte 700 marches en première de cordée, elle fatigue tout le monde avec ces débordements d’énergie. Elle se trouve être à l’exact opposé de la femme du Maestro, Giulietta Masina. Ce qui troublerait n’importe quel psychanalyste (à la niche ! Je disais cela pour rire).

Dommage pour la Suédoise, dans une certaine mesure, car cette femme exposée différemment peut devenir vraiment attirante (Confer sa prestation dans le peplum sous le signe de Rome).

Ce côté repoussant/attirant, voulu par le réalisateur, fait que Mastroianni, dans un deuxième temps, est pris d’un violent désir pour la pulpeuse créature. Surtout qu’elle passe d’un homme à l’autre en n’en choisissant aucun. Ce qui a le dont d’exciter les mâles en compétition.

On ne va pas reparler ici de la fontaine de Trevi. Sauf pour dire qu’en vrai, avec tous les touristes, elle paraît bien plus petite.

Steiner joué par Alain Cuny est une sorte de guide spirituel. Marcello ne l’a pas vu souvent, mais chaque fois, il est bouleversé par cet intellectuel. Le « vieux » le conseille pour sa vocation littéraire et pour ces articles dans la presse.

Cela commence fort avec ces retrouvailles dans une église, où ce Capitaine Nemo de l’esprit, entame à l’orgue ancien, la célébrissime Toccata et fugue en ré mineur de Bach. Cuny joue admirablement cet homme mi-sage, mi-tourmenté. Il n’y a rien de prétentieux là dedans. La chute est inattendue et brutale. Cet épisode en deux parties est remarquable d’intelligence.

Un journaliste se doit de couvrir les évènements marquants. On le retrouve donc dans ce curieux passage sur l’apparition de la Vierge Marie à deux gamins. Pas de quoi émouvoir le clergé officiel qui pense lui aussi que c’est du pipeau commercial. En tout cas c’est très bien amené, avec ce qu’il faut de borderline. Ainsi la collante officielle de Mastroianni est prête elle aussi à croire à tout et n’importe quoi. Surtout si une prière dans une telle enceinte, emplie des superstitions les plus diverses, peut lui rendre la possession entière et exclusive de son mec.

La crédulité autant mystique que mystificatrice est habillement montrée et démontrée. C’est ciselé à merveille, avec ce qu’il faut de ferveur ou de recul. Le tout nous est livré devant un parterre de déchirants grabataires et autres malades, qui n’attendent plus que cette dernière chance de survie. Là encore, ses images hautement significatives, valent toutes les démonstrations livresques.

Puis survient la belle innocence, en la personne de la très jeune Paola (Valeria Ciangottini), avec ces 15 ans en vrai. Un chérubin lumineux annonciateur des plus belles promesses de la vie. C’est une proposition dangereuse mais peut être salvatrice, que repousse Marcello par deux fois.

  • Il n’a peut-être pas tort. La belle resemble à cette Judith pas si innocente que cela, qui porte la tête coupée de Holopherne, telle qu’elle est peinte par Lucas Cranach l’ancien.

L’épisode du retour du père est déchirant. Quand Marcello n’était qu’un enfant, ce père représentant en champagne et aussi coureur était rarement là. Cette visite veut dire beaucoup pour le fils. Il rêve de mieux comprendre. Il est aux petits soins avec son géniteur quasi inconnu. Mais ce dernier ne pense qu’à retrouver les tripots qu’il a connu jadis. Chemin faisant, ils rencontrent une entraîneuse jouée par Magali Noël. Celle-ci, qui en pince pour le fils, assiège le père pour arriver à ses fins. La tournée des grands-ducs se termine par un accident de santé. Et le père s’enfuit en quelque sorte, laissant son grand rejeton dans le désarroi.

La via Veneto est alors un lieu de ralliement des jeunes branchés de toutes sortes. Les descendants d’aristocrates authentiques fréquentent la plèbe et s’encanaillent. Puis ils ratissent large pour faire venir la plus étrange faune dans leurs châteaux. On a là un choc de cultures, voire de civilisations.

La nuit est agitée mais fort intéressante. Les mises à nue sont multiples. Et au petit matin les nobles rejoignent servilement l’office religieux dans leur chapelle intra-muros. Cette image montre bien l’appartenance fondamentale. Les « autres » sont naturellement exclus.

Anouk Aimée est là et se livre à un double jeu.

Un autre jour, une autre nuit. Une bande de fêtards oisifs pénètre de force la villa de Riccardo Garrone. Ils cherchent à se distraire par tous les moyens. Mais le cœur n’y est plus. Et même les strip-tease ne font plus recette. Mastroianni a lui aussi un coup de mou. Alors qu’on lui demande d’être maître des cérémonies dans cette assemblée de clowns, il dérive vers le dérisoire et la méchanceté. Une femme de la campagne se fait traiter de manière imbécile et dégradante. Rien ne va plus. Il faudrait que tout cela finisse et vite.

Au petit matin ils sortent enfin s’aérer. Une carcasse de gigantesque raie morte est remontée sur la plage. C’est glauque et sinistre à souhait. Comment sortir de là ?

De l’autre côté d’un bras de cours d’eau, on voit revenir la très jeune et très lumineuse Valeria Ciangottini, qui travaille pas loin d’ici. Elle fait des signes que Mastroianni ne comprend pas ou ne veut pas comprendre.

Dans ce final, celui-ci se détourne, car il préfère rejoindre son monde d’illusion. Cette incursion mi-terrestre mi-céleste de la version féminine du Commandeur, devrait alerter notre Don Juan. Elle veut dire beaucoup.

Voilà qui clôt 167 minutes de bonheur de cinéphile.

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_dolce_vita

https://fr.wikipedia.org/wiki/Anita_Ekberg

https://fr.wikipedia.org/wiki/Toccata_et_fugue_en_r%C3%A9_mineur

https://fr.wikipedia.org/wiki/Valeria_Ciangottini

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