La fille Rosemarie (1953) 8/10 Nitribitt

Temps de lecture : 4 minutes

Une expérience réussie du cinéma allemand d’après-guerre.

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L’histoire est celle de Rosemarie Nitribitt, une célèbre prostituée de luxe de Francfort, qui a sans doute été supprimée. Le film a fait scandale. On a tenté de l’interdire.

  • Le long métrage a pour décor, la renaissance industrielle effrontée de l’industrie, quelques années à peine après l’effroyable conflit.
  • Ce rebond inimaginable est symbolisé par des processions de Mercedes noires, que l’on verra réapparaître plusieurs fois, avec des significations diverses. De vraies chorégraphies.
  • Le magnifique cabriolet Mercedes 190SL est encore plus emblématique de ce renouveau. Pas un ne sera insensible à son charme mythique, de l’homme de rue à l’aristocrate de la finance. Il joue un rôle lui aussi. Il sera le prix d’une rupture, par exemple. Elle coûte environ 100.000 euros en occasion aujourd’hui.
  • Sous prétexte de musique de rue, le déroulé du film est cadencé par des chœurs, comme dans la tragédie grecque, ou de nombreux opéras.
  • Ces artistes sans prétention, sont à la fois parties prenantes et commentateurs de l’action.

Mais au centre, il y a Rosemarie. Une belle fille racée, qui fait d’abord ses classes, en faisant la manche avec deux compères.

Les deux musiciens qui l’accompagnent, deviennent rapidement de petits proxénètes. Mais plus en amis insistants, qu’en brutes épaisses.

  • Ils se considèrent comme des prolétaires dans le besoin, qui doivent se servir eux-mêmes. Ils prennent au passage leur dîme, sur les sommes que cette femme soustrait aux nantis.
  • Rassurez-vous, ce film n’a rien d’un manifeste. Et même, cela tire parfois vers la comédie italienne.
  • Riches et pauvres semblent tomber d’accord pour exploiter les jolis physiques. Dans ce film, les femmes sont quasiment toutes qualifiées de prostituées, qu’elles soient de la rue ou de la haute.

Lorsque les membres d’un conseil d’administration d’une grande firme ont trop chaud et s’ennuient, ils ouvrent la fenêtre.

  • Devant eux, dans la cours, ils ne peuvent pas louper cette belle plante qui chante accompagnée. L’actrice est plus belle et moins vulgaire que la vraie.
  • Le gros Fröbe sera le premier à l’initiative. Il lance un sous et un billet, dans lequel il demande à la fille de le rejoindre devant le garage, quand il sortira dans sa Mercedes noire. Mais des voitures comme cela sont légion dans ce groupe d’hommes d’affaire.
  • Elle s’embarque avec le premier venu, un autre. Elle finira par beaucoup apprécier cet autre homme, marié et puissant. Lui, se laissera progressivement faire et commencera à l’entretenir. Appartement, vêtement etc.
  • Elle s’incrustera dans sa vie et voudra sincèrement qu’il divorce pour l’épouser. Elle n’est pas bête.
  • Mais les choses ne vont pas se passer comme cela.
  • Ce qui l’incitera à conspirer.

Celle qui est devenue une femme entretenue, sera approchée par un homme d’affaire français, qui veut se servir d’elle, pour déstabiliser ce groupe d’industriels allemands.

  • Beau parleur, brillant manipulateur, il lui proposera un marché. Il se chargera de faire progresser son style, afin qu’elle devienne plus compatible avec le milieu où elle souhaite réussir. En échange, elle deviendra une redoutable espionne, qui couche, entôle et compromet
  • Elle pourra aussi se servir de son pouvoir, pour tenter de faire divorcer son industriel préféré.
  • On voit alors défiler dans son lit, tous les membres du conseil d’administration. Comique de répétition. Ils lui font des confidences sur l’oreiller. Les secrets sont enregistrés.
  • Dès lors, un premier scandale éclate et les entreprises sont gravement secouées.

Mais il reste du plus gros à venir. Les bandes magnétiques deviennent un enjeu majeur. Les industriels déboussolés, doivent se ressaisir.

Elle ne reste pas les bras croisés non plus.

  • Elle s’invite dans une soirée mondaine où tous ces petits pères, sont présents. Eux qui se « soulagent » habituellement dans un triste sexe tarifé, sont ici avec leur rombière.
  • Elle n’est pas encore de leur monde, mais forte de ce qu’elle sait, elle montre une suprême insolence. Ils ont peur. Elle tente une dernière fois d’infléchir le seul qu’elle veut réellement. Peine perdue.
  • Elle boit démesurément et perd pied.
  • Un jeune homme prédicateur parcourt le scénario. Il arpente les trottoirs avec des exemplaires de la « vigie », une feuille de choux chrétienne. Il prévient tous et toutes, et surtout elle, qu’il faut rapidement rejoindre le droit chemin, que le jugement final sera dans nos vie, et ainsi de suite.
  • Elle se servira de lui, pour planquer les bandes magnétiques. A son insu.
  • On sent la tension monter.

Et il y a bien entendu un thème faustien là derrière. Avec peut-être aussi, la déclinaison féminine de Don Juan, bravant le ciel. En tout cas cela fonctionne très bien comme opéra tragique, que ce soit inspiré du chef-d’œuvre de Berlioz et/ou de celui de Mozart.

  • La femme a fait un pacte avec ce Français, le diable en quelque sorte. L’amour, le vrai, était à portée de main. Elle a été trop exigeante, cette passion sincère, ne l’a pas sauvé.
  • Et Rosemarie n’écoutera pas les avertissements qui viennent du ciel.
  • Ce sera donc la course à l’abîme. Une armée de Mercedes noires la poursuivra… L’issue fatale est certaine.

Le film se refermera avec une parfaite symétrie, calquée sur le début.

De très bons acteurs servent un scénario crédible et prenant. Des pointures comme Nadja Tiller, Peter van Eyck, Carl Raddatz, Gert Fröbe, Mario Adorf… Même si vous ne connaissez pas les noms, je suis sûr que leur tête vous diront quelque chose.

Le film évite les pesantes leçons, en transposant la morale sur un plan esthétique. Ce qui est original.

Prix du meilleur film étranger aux Golden Globes.

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Fille_Rosemarie

Nadja Tiller
Peter van Eyck
Carl Raddatz

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