La région sauvage (La región salvaje) (2016) 6.5/10

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On peut se plaindre du fait que la plupart des films qui contiennent du surnaturel manquent singulièrement d’intelligence et de créativité. On ressort souvent les mêmes ficelles, sans prendre trop de risques. Et du coup on tombe sur les mêmes travers, les mêmes impossibilités.

Ici l’irruption du fantastique est circonscrit et franchement bizarre. Il y a comme toujours ce problème de crédibilité qui n’est pas résolu. On ne peut pas nous faire encore une fois le coup du conte et de la licence poétique car c’est franchement absurde.

Voir le texte résumé sur : Avis – Film : La région sauvage (2016) 6.5/10 – Métaphysique de l’amour – Schopenhauer

Le film est une immense mise en scène de coucheries diverses. Des couples hétéro, des couples homo, des animaux qui copulent… tout y passe et partout. Et ce n’est guère joyeux. Il semble même que les auteurs s’acharnent à nous montrer les tiraillements du besoin plutôt que les envolées du désir. L’exposé complaisant d’une sorte de triste fatalité de la baise universelle est lourdement souligné.

Et au dessus (ou en dessous) de cela apparaît progressivement une entité copulatoire étrange, mi-pieuvre terrestre, mi créature à la Giger (type Alien) et qui serait la solution ultime. C’est elle qui permettrait le vrai bonheur par le sexe. Mais seulement pour une poignée d’individus.

Je ne marche pas trop. Cela tient de l’accessoire, de la poupée gonflable. Et les gadgets sexuels ne m’ont jamais attirés. Quand on arrive là, c’est souvent qu’on n’a plus rien à se dire et qu’il n’y a plus rien à faire.

Je suis assez schopenhauerien sur la question du sexe et de l’amour.

Vous ne trouverez ci dessous que quelques petits passages du philosophe :

« Toute passion, en effet, quelque apparence éthérée qu’elle se donne, a sa racine dans l’instinct sexuel… »

« L’instinct sexuel en général … n’est … que la volonté de vivre [de toute l’espèce] ».

Deux grands principes là derrière :

« 1 – L’indestructibilité de l’essence propre de l’homme qui continue à exister dans cette génération future ».

« 2 – La seconde vérité est que l’essence propre de l’homme réside plus dans l’espèce que dans l’individu. Car cet intérêt attaché à la constitution spéciale de l’espèce, qui est la base de toute intrigue amoureuse, depuis la plus fugitive jusqu’à la passion la plus grave »

Et il n’y a pas l’ombre d’un brin de moralisme dans sa démonstration (*).

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Il en découle que la sexualité « bestiale » avec une sorte d’animal extra-terrestre, fut-il très doué pour la « gymnastique » et doté d’un tas d’appendices, n’a pas plus d’attrait en soi que de baiser avec un godemichet sophistiqué, un simulacre de vagin en caoutchouc, un sac de patates ou une chèvre (je suppose). Et donc tout l’édifice du film tombe par terre. A moins de s’en faire une simple fantaisie fantasmatique, tout en continuant à servir dans le même corps, bien réel.

Parti sur de telles bases, ce film ne peut être que fondamentalement triste. D’ailleurs ces prétendues extases finissent par la mort à un moment ou à un autre.

La Région sauvage est une thèse un peu maladroite et qui n’est pas si bien traitée que cela. Le réalisateur nous balade dès le début pour ménager la surprise. Comme dans n’importe quel thriller. Et puis il y a un peu trop de pathos et d’inconfort à la Lars Von Trier là dedans. Quitte à affronter les dures réalités du sexe maladif, je préfère le très difficile Nymphomaniac de 2013.

Mostra de Venise 2016 : Lion d’argent du meilleur réalisateur au Mexicain Amat Escalante.

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Le plaisir de l’amour résulte d’un artisanat répandu mais dont l’intensité et le savoir faire ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Certains atteindront le niveau de l’Art. Il ne se limite pas aux sensations épidermiques, péniennes, vaginales ou clitoridiennes. Il découle de toute une chaîne qui entraîne tout l’individu et l’espèce dont il est le garant avec. Et donc il ne suffit pas de « contenter » les terminaisons nerveuses. Il faut assurer pour tout le reste, conformément au diktat de la perpétuation de l’homo sapiens, ou bien savoir détourner ces pulsions impérieuses à son profit égoïste et à celui de sa partenaire.

Dans la vraie vie on peut tricher avec le déterminisme procréatif. De la même manière que la gastronomie permet de s’élever un peu au dessus de la fatalité bête et méchante du besoin alimentaire.

Mais ce jeu a ses limites. On n’échappe jamais complètement à ce déterminisme de circuits pré-câblés.

La nature gratifie les hommes qui éjaculent dans leur partenaire, au bon endroit. Mais elle leur tape sur les doigt (renforcement négatif) s’ils s’obstinent à gaspiller la précieuse assurance vie de l’espèce en la déversant ailleurs. De la même manière, la relative tristesse de la masturbation solitaire, tient au fait que l’on ne joue pas le jeu. L’instinct profond de survie de la grande tribu humaine nous surveille et nous aide par le système de récompense dans nos choix.

Même en ne restant qu’au niveau du plaisir et en mettant provisoirement de côté les autres affects de la relation, on peut apprendre à vivre avec cela, et sans éprouver de frustration. Mais il faudra biaiser bien souvent. Quelques accommodements restent acceptables à qui sait maîtriser ces chaînes ataviques.

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(*) Il serait intéressant de pousser plus à fond pour savoir comment l’illustre penseur place la prostitution et la relation furtive (ou le mariage et autres unions durables), les partenaires multiples (ou la monogamie), mais aussi les rapports entre la passion, la simple affection et la tendresse.

Soyez sûr que notre gros malin y a pensé !

Par exemple : «  Chacun le sait, les unions heureuses sont rares, justement parce qu’il est dans l’essence du mariage de placer sa fin principale dans la génération future, et non pas dans la présente. Ajoutons cependant, pour consoler les âmes tendres et aimantes, qu’à l’amour passionné s’associe parfois un sentiment sorti d’une tout autre source, c’est-à-dire une amitié réelle, fondée sur l’accord des esprits, et qui ne commence pourtant presque jamais à paraître que lorsque l’amour sexuel proprement dit s’est éteint dans la jouissance. »

« Le principe le plus ordinaire de cette amitié se trouvera dans cette aptitude à se compléter l’une l’autre, dans cette correspondance mutuelle des qualités physiques, morales et intellectuelles des deux individus, d’où est sorti, en vue de l’être à créer, l’amour sexuel… »

Vous trouverez ci-dessous d’autres citations de la Métaphysique de l’amour et le texte intégral gratuit est disponible en ligne sans difficulté.

Le monde comme volonté et comme représentation.

Métaphysique de l’amour – Arthur Schopenhauer (1788 – 1860)

« Toute passion, en effet, quelque apparence éthérée qu’elle se donne, a sa racine dans l’instinct sexuel… » « Ce qui enfin attire si fortement et si exclusivement l’un vers l’autre deux individus de sexe différent, c’est le vouloir-vivre de toute l’espèce… »

« Pris dans son ensemble, tout le commerce amoureux de la génération actuelle est, de la part de toute la race humaine, une grave meditatio compositionis generationis futuræ, e qua iterum pendent innumeræ generationes [méditation sur la composition de la génération future, de laquelle dépendent à leur tour d’innombrables générations]. Dans cette opération il ne s’agit pas, comme partout ailleurs, du bonheur et du malheur individuels, mais de l’existence et de la nature spéciale de la race humaine dans les siècles à venir »

« La haute importance du but à atteindre est ce qui fait le pathétique et le sublime des intrigues d’amour, le caractère transcendant des transports et des douleurs qu’elles provoquent »

« L’instinct sexuel en général, tel qu’il se présente dans la conscience de chacun, sans se porter sur un individu déterminé de l’autre sexe, n’est, en soi et en dehors de toute manifestation extérieure, que la volonté de vivre. Mais quand il apparaît à la conscience avec un individu déterminé pour objet, cet instinct sexuel est en soi la volonté de vivre en tant qu’individu nettement déterminé. En ce cas l’instinct sexuel, bien qu’au fond pur besoin subjectif, sait très habilement prendre le masque d’une admiration objective et donner ainsi le change à la conscience ; car la nature a besoin de ce stratagème pour arriver à ses fins. Mais si objective et si bien revêtue de sublimes couleurs que cette admiration puisse nous paraître, cependant cette passion amoureuse n’a en vue que la procréation d’un individu de nature déterminée ; et ce qui le prouve avant tout, c’est que l’essentiel n’est pas la réciprocité de l’amour, mais bien la possession, c’est-à-dire la jouissance physique. »

« La procréation de tel enfant déterminé, voilà le but véritable, quoique ignoré des acteurs, de tout roman d’amour »

« Ce qui enfin attire si fortement et si exclusivement l’un vers l’autre deux individus de sexe différent, c’est le vouloir-vivre de toute l’espèce, qui par anticipation s’objective d’une façon conforme à ses vues dans un être auquel ces deux individus peuvent donner naissance »

Voir le texte résumé sur : Avis – Film : La région sauvage (2016) 6.5/10 – Métaphysique de l’amour – Schopenhauer

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_R%C3%A9gion_sauvage

Ruth RamosSimone BucioJesús Meza Edén Villavicencio

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