Un tragi-vaudeville qui fut un bide en son temps. Il ne vaut pas le quart de la moitié de la très bonne réputation qui lui a été faite, bien longtemps après sa sortie, par quelques gourous influents. Il serait temps maintenant qu’on le déréhabilite©.
- Le scénario et l’intrigue résumés sont sur : Résumé. Film. La règle du jeu. Acteurs : Renoir Dalio Carette (1939) 6/10 Aperçu
- Vous trouverez notre avis sur : Avis. La règle du jeu. Film. Renoir / Truffaut / Musset. (1939) 6/10
La prise de vue n’est pas mauvaise. Et c’est à peu près tout ce qu’on peut garder.
Le scénario serait issu des Caprices de Marianne d’Alfred de Musset. Pourtant dans cette réécriture, les situations et les rôles sont caricaturaux.
Et le jeu affecté de tous les personnages rend le film difficilement regardable. Certes on voudrait nous montrer que tous « jouent », ce serait la leçon. Il est dit d’ailleurs « tout le monde ment », pour bien insister. Mais pour nous démontrer cela, il eut fallu de la finesse. Ce n’était vraiment pas la peine de surjouer et d’y aller avec de gros sabots. C’est même un contresens. Musset lui c’est la poésie et la délicatesse.
- D’abord, il y a un immensément riche métèque… au grand coeur, bien campé par le petit Dalio. Et c’est bien entendu un Rothschild, comme on dit. Et il a les manières de la haute, façon parfaite intégration, mais quand même il a le look petit marchand. On a droit à quelques salves d’antisémitisme classique, l’histoire de nous sortir un couplet sur la tolérance en réaction. Comme de bien entendu.
- Sa femme nous fait une blonde marquise évanescente et exotique, entre deux âges, mais pas encore tout à fait à la date de péremption. Du fait de sa douceur et de sa beauté triste et théâtrale, elle est « en théorie » convoitée par tous les hommes qui comptent. Cela se bouscule au portillon… ce qui est assez étonnant. Nora Gregor est une comédienne autrichienne mais on pourrait la croire magyar ou de je ne sais quel royaume slave d’opérette.
- Le troisième côté du triangle amoureux, qui en compte cinq au final, est interprété par le fade Roland Toutain. C’est l’innocent mais aussi le héros du jour. En principe un tel caractère est récompensé à la fin, mais pour lui cela finira mal. Il sera tiré comme un lapin. Et personne ne le pleurera. On ira même jusqu’à maquiller cela en accident de chasse, avec l’accord tacite de tous. Le pas de vague, on s’arrange entre nous, du plus humble au plus grand, est aussi la règle du jeu.
- Mila Parély incarne l’amante de Dalio (quatrième côté). Cette Polonaise a un physique et jeu moderne, mais son show de femme du monde opiniâtre est gâché par le ton pseudo-aristocratique qu’on l’oblige à prendre. Dommage elle vaut mieux que cela.
- Il y a forcément un homosexuel maniéré. Et c’est un peu toujours le même Géo Forster qu’on retrouve ici ou là au cinéma. On se doit d’avoir un tel convive.
- Pierre Magnier figure un Général droit dans ses bottes. Il donne dans le comique de répétition avec ses :« ça devient rare ! ». Il dit cela à tous bouts de champ. Je suppose que l’on doit rire. Je préfère « tiens voilà hallebardier » (Fernand Raynaud).
- Paulette Dubost n’a pas de mal à jouer la soubrette dévouée. Mais avec cette soumission un peu crétine à sa maîtresse, on se croirait davantage au dix-huitième siècle que dans l’immédiat avant dernière guerre. Bien maigre retour à Musset.
- Il y a un Italien, bien authentiquement transalpin. Je suppose qu’on doit s‘esclaffer ?
- C’est finalement Julien Carette en braconnier opportuniste qui s’en sort le mieux. Il y a la sincérité d’un Papageno chez lui (du même dix-huitième siècle)
- Le pire des acteurs est bien sûr Jean Renoir. Son obstination à vouloir se mettre en scène lui-même démontre son manque de perspicacité. Surtout que c’est lui le « cinquième » côté du triangle. Ce pitre le doit à un rebondissement boulevardier de dernière minute. C’est en effet ce gros balourd pas très convaincant qui devient subitement le seul amour de la marquise. Vraiment n’importe quoi.
Même les grands sentiments semblent ici ridicules. C’est une farce et rien d’autre, mais une farce triste. Ce qui n’arrange pas les choses.
La fête au château est trop longue et grand-guignolesque. On court dans les couloirs, les portes claques, des objets tombent, des coups de feu sont tirés en l’air, il y a du « Ciel, mon mari ! ». N’est-ce pas la définition du vaudeville ?
La double méprise sur les pardessus qui fait que la victime n’est pas celle que l’on croit, est même en dessous du niveau vaudeville. C’est au-delà du franc n’importe quoi.
La seule question qui vaille est la suivante. Pourquoi les critiques d’après guerre se sont tant illusionnés ? Parti pris politique ? Contre-pied un peu snob ?
L’alibi défendu par Renoir lui-même, que « sous son apparence bénigne, cette histoire s’attaquait à la structure même de la société » ne vaut pas tripette. Tout le monde en prend pour son grade, du braconnier madré et complice d’assassinat au plus grand des aristos. Et puis cela reste gnangnan. Et même, il n’y a pas d’attaques structurelles là dedans, mais juste des caricatures qui voudraient faire sourire. Raté !
On ne peut même pas lui attribuer la dénonciation du paraître et de l’insouciance, alors qu’en 1939 on serait en train de « danser sur le volcan ». Je n’y crois pas une minute. Au contraire, il semble que Renoir cherche même à divertir. C’est bien lui qui danse là.
A sa sortie le film a déçu. Mais la nouvelle vague – dont Truffaut ce qui est étonnant – a cherché à le réhabiliter, en l’encensant outrageusement. Ils ont sans doute apprécié le côté bricolé et souvent improvisé.
A froid et sans a priori, j’ose dire que ce n’est pas un très bon film.
- Marcel Dalio : Marquis Robert de La Chesnaye
- Nora Gregor : Christine de La Chesnaye
- Julien Carette : Marceau, le braconnier
- Roland Toutain : André Jurieux
- Paulette Dubost : Lisette, la camériste
- Mila Parély : Geneviève de Marras
- Jean Renoir : Octave
- Gaston Modot : Édouard Schumacher, le garde-chasse
- Pierre Magnier : le général
- Edy Debray : Corneille, le majordome
- Pierre Nay : Monsieur de Saint-Aubin
- Francœur : Monsieur de La Bruyère
- Claire Gérard : Madame de La Bruyère
- Odette Talazac : Charlotte de La Plante
- Anne Mayennote 3 : Jackie, nièce de Christine
- Léon Larive : le cuisinier
- Géo Forster : l’invité efféminé
- Tony Corteggiani : Berthelin
- Nicolas Amato : Cava
- Jacques Beauvais : Adolphe
- Jenny Hélia : Germaine
- Bob Mathieu : le chauffeur de Monsieur
- Gitta Hardy : Mitzi
- Henri Cartier-Bresson : William, le domestique anglais
- Lise Élina : la journaliste à l’aérodrome
- André Zwobada : l’ingénieur de chez Caudron
- Maurice Marceau : le premier garde
- Camille François7 : la voix du speaker
- Marguerite de Morlaye : une invitée
- Marcel Melrac
