L’Arbre, le Maire et la Médiathèque (1993) 7.5/10

Temps de lecture : 4 minutes

Une œuvre foncièrement politique d’Éric Rohmer, mais qui se donne des airs de devoir de classe. C’est dû au formatage en 7 pages d’écolier, assorties de propositions circonstancielles.

Il s’agit donc d’autant de chapitres qui s’enchaînent et qui sont supposés mener à une fin inéluctable.

  • Qui, du Maire, de l’arbre ou de la médiathèque va l’emporter ?

Plusieurs visions s’opposent et elles vont se manifester à l’occasion d’un projet de médiathèque. Jusque là, ce tout petit village, qui baigne dans son jus, est préservé. Les futurs bâtiments et bâtiments du futur, doivent s’établir dans un pré jouxtant la bourgade, juste en bas d’une belle église du treizième siècle. On conçoit d’emblée les tensions possibles. Les monuments historiques veillent au grain. Un peu.

Pascal Greggory est le jeune maire socialiste. Il apprécie ses concitoyens et réciproquement. Mais il aspire à un destin plus national. La gauche est au pouvoir et elle lui fait cadeau d’un beau budget pour réaliser une implantation culturelle ambitieuse. Il faut faire quelque chose de bien visible pour contrer des projets de droite aux alentours.

  • On est dans une obsession anti-droite, qui est devenu un des principaux objectifs de la gauche. C’est bien souligné.

La petite bourgade paysanne n’a que quelques centaines d’habitants, dont peu de lecteurs et encore moins de vidéastes. Elle n’a vraiment pas besoin d’un tel édifice.

Greggory s’accroche et décline tous les avantages à ceux qui veulent bien l’écouter. Les bouseux constatent juste que leur communauté vieillit et va sans doute mourir. Toute perfusion est bonne à prendre de ce fait.

Lui, il croit fermement au retour à la campagne. Il évoque même, ce que sera 30 ans plus tard une tendance issue de l’épidémie Covid-19, avec le développement des technologies du travail à distance. Il n’a pas foncièrement tort.

  • Même si après la fuite initiale, on a bien vu que nos citadins se sont empressés de retourner dans leurs grandes villes. Le bruit et la fureur sont des drogues dont on a du mal à se passer.

Cela fait sourire sa compagne, la très citadine Arielle Dombasle. Elle pense tout le contraire. La grande cité c’est le lieu de toutes les énergies, la ruralité est anesthésiante. Et puis elle en a par dessus là tête de l’écologie militante. Ces alliés de circonstance des socialos. Elle a foi dans de nouvelles technologies qui arriveront à bout des problèmes … occasionnés par la technologie présente. Son discours à contre-courant (surtout à l’époque) se tient.

Pour elle, les vaches sont aussi étranges que des dinosaures. Elle ose dire tout haut ce que certains ruminent discrètement dans leur tête.

Elle veut bien jouer un peu à la châtelaine de province, mais pas trop longtemps.

Fabrice Luchini est un professeur des écoles assez lucide. Il craint le bétonnage de ces charmants paysages. Et ne se fait pas d’illusion quant au projet médiathèque, fut-il masqué par une devanture de pierres locales. Il décrit par avance, les chausse-trappes du parking qui finira par être envahissant et laid, et le poids de ces déplacements touristico-culturels de masse, qui ne vont pas tarder à se produire… Il n’est pas pour autant passéiste.

Simplement, il contemple ce qui est là depuis des siècles et se régale du spectacle en permanence.

On pourrait lui rétorquer que cet équilibre n’est que le fruit de remaniements divers qui on eu lieu en leurs temps. Et que tout se transforme nécessairement, en continu ou par à-coups. Encore faut-il que cela soit « physiologique » et intelligent. Mais surtout que le village est dans le coma.

Mais dans le fond, il n’a pas tort. Même si son discours, comme d’habitude, est surtout une œuvre théâtrale en soi. Il aime bien s’écouter Luchini… et nous aussi, on aime bien l’entendre faire son petit Cyrano.

La fille de cet instituteur, 9 ans, est haute comme trois pommes, mais elle est déjà bien décidée à embrasser la carrière politique. Elle va faire le siège du maire pour faire valoir ses arguments. Pourquoi ne pas laisser tomber le futur immeuble et aménager plutôt un espace vert ludique à la place. Ce n’est pas une mauvaise idée reconnaît l’élu. C’est un dialogue charmant et bien conçu.

Une journaliste, jouée par Clémentine Amouroux, vient se rendre compte des tenants et aboutissants sur le terrain. Elle a son avis. Elle le défend finement.

Un rédacteur en chef de gauche, François-Marie Banier, donne son point de vue également. Il se positionne un cran au dessus, en se préoccupant plutôt des enjeux de pouvoir. Il ne donne pas cher du maire. Il ne croit pas en son avenir politique à Paris.

L’architecte, qui doit louvoyer en fonction de chacun, est bien rendu. On dirait un vrai. L’est-il ?

Les acteurs jouent bien, mais les politiques qu’ils incarnent jouent volontairement un peu faux. En ce sens qu’ils travestissent tous leurs ambitions, dans une argumentation un peu artificielle et convenue. Bien que le bien commun ne soit pas loin dans tout cela. Les intérêts particuliers nourriraient l’intérêt général (Adam Smith) ? (*)

Dans ce film, mine de rien, il y a la lourde question de la France défigurée et la responsabilité des maires qui veulent laisser une trace de leur passage et/ou sauver les finances municipales avec quelques compromissions urbanistiques.Une problématique qui mérite d’être posée. Elle l’est depuis des décennies mais il serait temps de passer aux actes. A moins qu’il ne soit déjà trop tard.

Voilà des acteurs qui paraissent totalement libres, un thème intéressant traité sous des angles multiples, un réalisateur-scénariste-dialoguiste brillant (Éric Rohmer) et pourtant le tout, filmé en petit format, donne un côté « amateur », qu’on peut aimer ou non. Une parenthèse enchantée ?

Le plus surprenant, c’est que ce « petit » film très sérieux et néanmoins assez drôle, de par ses thématiques et de part la façon ouverte de les aborder, n’a pas vieilli du tout.

… à part cette fin chantée, où quelques protagonistes fêteront, chacun à leur manière, l’enterrement du projet.

Et qui a eu raison du chantier ? C’est un dépassement de budget en raison de contraintes d’assainissement qui en viendra à bout.

  • (*) Les âmes pures, qui pensent qu’il faut tout abdiquer à l’intérêt général, feraient bien de se replonger dans l’histoire. « Gemeinnutz geht vor Eigennutz » (l’intérêt général avant l’intérêt particulier) – Nationalsozialistische Rhetorik und Praxis – Adolf Hitler. Combien de crimes ont été fait au nom de l’intérêt général ? Tout autant que dans la stricte observance des seuls intérêts particuliers. Balle au centre.

https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Arbre,_le_Maire_et_la_M%C3%A9diath%C3%A8que

Pascal Greggory
Arielle Dombasle
Fabrice Luchini

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