Un bon produit que l’on doit à notre cow-boy bien aimé.
Sacré Clint Eastwood ! Il n’a pas été un bon acteur de western pour rien ! Quand il s’agit de nous soutirer des émotions, il sait nous prendre avec ses ruses et son lasso. Je sais que je n’ai pas toujours été tendre dans mes critiques avec son cinéma, mais il faut quand même savoir reconnaitre ce qui est vraiment bon dans sa production.
Ce n’est qu’un film, et pourtant une fois encore, notre cow-boy nous ramène bien gentiment dans son enclos.
La méthode.
Pourquoi cela fonctionne-t-il si bien ?
D’abord, dans un film réalisé par Clint, tout est explicite et précis. C’est en quelque sorte « la ligne claire ».
L’histoire est bien pensée. Elle se reconstruit devant nous avec minutie, mais solidement, tout en évitant les pesanteurs.
Il s’agit de mettre sur la table, quelques bonnes idées sans fioritures inutiles. Elles seront exploitées jusqu’au bout, avec rigueur. On ne peut pas s’ennuyer. Le réalisateur sait nous en donner pour notre argent.
Le sujet.
L’affaire est bien menée.
Souvent, on sait de quoi il s’agit, bien avant de démarrer la séance de cinéma. Le buzz est écrit partout en long et en large.
Ici, il s’agit d’une énorme bourde policière et médiatique, après l’attentat des jeux olympiques d’Atlanta. Un vigile qui agit héroïquement juste avant l’explosion, a le malheur d’avoir son 1/4 d’heure de célébrité. Mais pour plusieurs raisons, le personnage finit par éveiller les suspicions.
Et si ce « héros » n’était qu’une sorte de pompier/pyromane, comme il y en a eu tant d’autres ?
A partir de là, les médias et la police vont se liguer contre lui, pour le faire craquer.
On est prévenu. Mais c’est tellement prenant, qu’on finit même par se demander, en dépit du bon sens, si tout ce qui est écrit dans le ciel, va vraiment lui tomber sur le coin de la figure ! Du grand art !
L’idéologie.
Le réalisateur nous fait donc enfourcher son nouveau dada. La dénonciation des travers de l’inquisition médiatico-policière.
Que vois-je à l’horizon ? Les caleçons de la grand-mère, certes (ici, les pantyhoses confisqués à des fins d’analyse).
Mais surtout : la course aux scoops, les pressions, les intrusions, les falsifications, le non respect des procédures, les tentatives d’extorsion d’aveux… Mais c’est au niveau FBI et grand journalisme, c’est à dire avec une certaine subtilité, voire des pincettes.
Le biopic d’un individu broyé par le système, c’est tout sauf nouveau aux USA. Mais comme Clint sait nous prendre par les sentiments, on se laisse piéger une nouvelle fois.
Le rythme.
En route pour cette nouvelle aventure.
Au début, c’est une petite course paisible, qui campe le sujet et le « background » des personnages. On voit de petites anecdotes qui peuvent sembler insignifiantes mais qui pourront par la suite se retourner contre lui.
Le tout se fait à une allure naturelle, avec une bonne respiration. 40 minutes s’écoulent avant l’attentat.
On a des provisions (de pop corn?), la route est longue (2h10), et on est paré.
Le sommet est loin, mais il n’est pas inaccessible. L’ascension se fait par paliers confortables. Et sans que l’on s’en rende compte, on finit par atteindre des pics émotionnels. Puis c’est l’explosion cathartique.
Et enfin, Clint a l’élégance de nous faire redescendre toute aussi progressivement et de manière soignée. Le valeureux cow-boy sait qu’il ne faut pas effrayer le bétail.
Les trucs de réalisateur.
Le réalisateur connaît les ficelles du métier. Il ne veut pas nous faire un reportage relatant les minutes de ces trois mois d’imbroglio. Il cherche de la dynamique et du démonstratif.
Et donc, alors que les dés sont jetés, contre toutes attentes, on a quand même droit ici à du suspense.
Ce suspense réside en grande partie dans le fait de savoir si le gros Richard Jewell, personnage limité et éternel bavard, va dire des bêtises compromettantes ou non. A chaque phrase, c’est la panique.
Bien entendu, Clint finira par laisser parler Jewell. Et comme par hasard, celui qui n’a dit que de âneries, s’exprimera très bien au tournant du film. Petite concession un peu démagogique et téléphonée au « story telling ». Mais bon, on pardonne à ce « metteur en scène », cette classique scénarisation.
Mais il y a d’autres suspenses fabriqués pour les besoins du récit cinématographique.
Par exemple cette mise en scène d’un rucksack obsédant et qui est susceptible de contenir les bombes. Celui qui finit par faire l’objet d’un contrôle et donc qui nous tient en haleine, au bon moment. Et celui, quasi identique qui pourrait bien être cette fois le bon. Surtout quand le spectateur glisse avec eux sous le banc et qu’il redoute que cela lui pète à la figure.
En restant borderline et apparemment indécis sur l’issue de ces scénettes, Clint montre qu’il sait jouer avec nos nerfs et donc retenir notre attention. C’est un talent de prestidigitateur. Je vous fais regarder là, mais c’est justement ailleurs que cela se passe.
C’est de bonne guerre.
Il en est de même pour le barbu suspect vu ici ou là. Est-ce le bon ou non ? Et l’ombre chinoise du vrai terroriste, qui annonce l’imminence de la bombe à la cabine téléphonique. Est-ce que cela va nous aider à trouver ?
Il y a d’autres concessions aux conventions du grand écran.
Comme le flirt entre le beau policier et la journaliste bombasse. Un film grand public sans problématique fille/garçon, et si possible avec des personnages attirants, ça n’existe pas. Et comme le malheureux Richard n’est pas en couple, loin s’en faut, on a trouvé cela.
Autre technique, ces remords bien visibles de ceux qui se sont trompés, façon rituel « reborn », larmes à l’appui. La boucle est bouclée.
Le personnage principal.
Il faut bien avouer quand dans ce rôle central de Sergent Garcia, gardien de la sécurité, Paul Walter Hauser fait des merveilles. Il est vraiment excellent.
Ce vigile obèse et insignifiant a tout pour être antipathique. Un solitaire, amateur d’armes, qui vit chez sa mère. Un écœurant goinfre de junk-food. Il est servile et rigide. Il respecte les institutions et ses maîtres au-delà du bon sens. Il donne dans les valeurs communes, la doxa. Plus bête que méchant, il est totalement dépourvu d’esprit critique. Il ne s’aperçoit pas que ses collègues se moquent de lui. Il ne peut pas imaginer un instant que la police puisse lui tendre des pièges malhonnêtes et lui faire des croche-pieds.
Et comme nombre d’entre nous, il dissimule certaines zones d’ombre. Ce qui ne va pas faciliter la tâche de son avocat.
Mais Clint se fait un point d’honneur de réhabiliter cet obscur personnage. On finit par être touché, et en raison de son histoire, et en raison de son humanité « oubliée ». Et c’est là que ça devient intéressant.
D’abord parce qu’il en bave vraiment et qu’on suit pas à pas son chemin de croix. Ça crée des liens.
Mais aussi parce que ce simplet est l’archétype du « primitif » méprisé par les élites. Une quantité négligeable qui n’existe pas vraiment pour eux. Et donc, qu’on n’hésite pas à sacrifier. Qu’importe qu’il soit coupable ou non. Les lecteurs, les électeurs réclament une tête, on va leur offrir celle-là
Ce héros ordinaire a une foi de charbonnier dans les institutions et son pays. C’est fusionnel.
Ces USA collectivistes parviennent toujours à fédérer. Les Américains y arrivent en désignant d’abord de manière claire un ennemi commun. Puis ils mettent de l’autre côté de la balance, l’armée, les bons cow-boys, les cavaliers bleus… ceux qui finissent toujours par les sauver au dernier moment. Pas question de remettre en cause ce système (*)
C’est pourquoi, lorsque Jewell finit enfin par douter de la machine judiciaire de son pays, cela prend une dimension énorme.
Il est confronté à cette terrible vérité, que les justiciables découvrent toujours trop tard. La sincérité et la conviction profonde de son innocence sont peu de chose.
Bien souvent, dans la réalité judiciaire, on a l’impression qu’il incombe à l’accusé de prouver qu’il est innocent. Suprême sentiment d’injustice quand de surcroît l’accusé est en plus une victime.
Le policier principal.
C’est l’impressionnant Jon Hamm. Il fait le job. Et alors qu’il figure en fait le méchant, il donne de l’élégance et de l’épaisseur à son personnage.
La journaliste par qui tout le malheur arrive.
Olivia Wilde a la lourde tâche de mettre en scène la journaliste sans scrupule. Celle qui fait tourner l’affaire en fiasco judiciaire. D’abord auréolée du succès de son soit-disant scoop, elle finira par en prendre plein les gencives. C’est le procès du carriérisme et des illusions journalistiques.
Mater dolorosa.
La mère aimante est interprétée par l’inoxydable Kathy Bates. Elle fait si bien les choses, qu’elle finira par être sélectionnée (nominée) aux Oscars. Chapeau pour elle, au quotidien de l’enquête et bien entendu pour le morceau de bravoure devant les micros !
Le vrai héros.
Le personnage décisif, c’est l’avocat, incarné par le décontracté Sam Rockwell. Il accepte du bout des lèvres cette affaire casse-gueule. Mais quand il est convaincu de l’innocence de son client, il se démène. Dans ce jeu complexe avec le système, il avance sûrement mais avec prudence. Il faut dire qu’il n’a pas un client facile.
Il se révèle sous les projecteurs et dans l’adversité. Et dans cette atmosphère conspirationniste et de harcèlement médiatique, dans le huis-clos de sa maison assiégée, même Jewell aura des doutes passagers à son sujet.
C’est très réaliste et habillement mené.
Et lorsque Jewell sera mis hors de cause, ces deux personnages si distincts tomberont dans les bras l’un de l’autre. Cette allégorie vibrante d’une humanité réconciliée, ne peut laisser personne insensible.
Le saviez-vous ?
Les emblèmes américains doivent être sans tâches. Au début, quand on fabrique à Jewell un beau costume de héros, tout est parfait. Mais comme les doutes et quelques petites histoires sont passés par là, il ne retrouvera jamais ce statut. Par contre, il s’activera avec toute une équipe d’avocats, pour obtenir des compromis avantageux de réparation, avec la presse. Point si bête.
Sous les assauts du cholestérol vengeur, il ne survivra que dix ans à son affaire.
Pour un film réalisé par un homme de presque 90 ans, c’est extraordinaire. Mais dans l’absolu, c’est juste un bon film. Et par les temps qui courent, ce n’est déjà pas si mal. La preuve, c’est qu’il paraît que les spectateurs s’y précipitent.
A voir en V.O. si possible.
(*) Les Français ont plus de mal avec l’esprit collectif et la cohésion nationale. Il y a bien eu un petit mouvement d’union lors du « je suis Charlie » mais c’était très incomplet et il n’y a pas eu de suite.
On n’a pas ce genre d’Ostrogoth de type Jewell, dans la vieille France. Chez nous, c’est toujours coloré d’esprit critique et de revendications. L’équivalent pourrait être un gilet jaune basique des campagnes. Ce quidam bizarre qui fait des merguez le samedi sur les ronds points. Ce qui chez nos décideurs correspond à une sous-catégorie incompréhensible et inclassable d’êtres para-humains. Des entités illogiques à leurs yeux et dont ils se passeraient bien. Une figure de laissé pour compte qu’on cherche à dissimuler et qu’on voudrait voir disparaître.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Cas_Richard_Jewell
Paul Walter Hauser
Sam Rockwell
Olivia Wilde
Jon Hamm
Kathy Bates