Le criminel (The Stranger) (1946) 7/10

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Le brave Orson Welles (il aurait détesté qu’on le qualifie ainsi) ne me convainc jamais entièrement. Il fait des efforts mais il n’arrive pas se débarrasser vraiment de son côté m’as-tu-vu et poseur. On pourrait parler de distanciation wellesienne.

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Mais on ne peut pas lui reprocher de s’investir si pleinement dans ces films, comme réalisateur mais aussi comme acteur. Sous réserve qu’on résiste à ses assauts visant à coloniser notre tête, comme n’importe quel Big Brother. Il faut se méfier du petit Orson (près de deux mètres tout de même).

Il n’a pas le beau rôle ici puisqu’il est un criminel de guerre nazi de haut rang (un jeune Himmler).

Si peu de temps après la défaite, ce discret organisateur de la solution finale est à présent bien planqué aux USA. C’est devenu un citoyen bien intégré au dessus de tous soupçons. Pourtant il attend son heure et rêve d’une belle revanche par une nouvelle guerre. On est en 1946, c’est tout frais et il y a du avoir des dignitaires dans cet état d’esprit.

  • Il a quand même du mal à filtrer ce qu’il dit parfois :
  • « Tout individu sincère voit le fond des choses, mesure l’abîme qui c’était ouvert, tandis que l’Allemand, écrasé, vaincu, suit encore la vision de ces dieux guerriers, exaltés par la musique de Wagner, il chevauche en esprit avec les Walkyries et reforge l’épée de Siegfried, et dans des assemblées secrètes, revit enfin l’espoir de remettre le monde au pied de l’Allemagne. Il est là, dans sa toute-puissance revêtue d’une armure de fer sous la bannière des chevaliers teutoniques. L’humanité souffrante appelle un messie mais pour l’Allemand, le messie ce n’est pas un angélique prince de la paix, c’est un autre Bismarck ou un autre Hitler ».

Ou bien :

  • « Marx n’était pas un Allemand mais juste un juif »
  • Pourtant il a fort à contrer car cela a été scénarisé en même temps que s’ouvrait le procès de Nuremberg et des scènes crues et authentiques de massacres sont projetées dans le film lui-même. La première fois au cinéma !

Le poids des mots contre la force des images.

Il a réussi à se fondre dans la bourgeoisie de la ville. Il est bien vu de ses étudiants et des gens de tous les milieux. Il est même sur le point d’épouser la fille d’un membre de la cour suprême.

Celle qui est interprétée par Loretta Young ne se doute de rien et aura même beaucoup de mal à accepter les preuves qu’on lui présente. Il faudra une approche Hitchcocko-freudienne pour en venir à bout. C’est son subconscient qui est visé. Welles est un précurseur de cette tendance psychanalytique tenace, dont on a eu tant de difficultés à se débarrasser.

Edward G. Robinson figure l’inspecteur qui fait la chasse à ces tortionnaires qui ont sévi dans les camps d’extermination directement et/ou ceux qui ont donné les ordres. Ce grand acteur (de petite taille) sait très bien rendre la force tranquille nécessaire. Il avance méthodiquement en confortant chaque fois un peu plus l’édifice accusateur. Pas facile quand on n’a aucune photo du gars recherché. Il va falloir faire dans l’indirect.

Un ancien gardien de camp de la mort va servir bien involontairement d’appât. Le bonhomme est devenue complètement givré et en proie à des délires religieux. Il est promis à la potence mais on le relâche pour pister grâce à lui un plus gros gibier. Il va vouloir retrouver son supérieur pour le convertir. Ça tombe bien ! Une fois le fou sur place, Orson comprend vite que l’animal incontrôlable pourrait avoir été suivi. Il le supprime.

Mais le mal est fait et Robinson s’engouffre dans la brèche. Il a désormais une ville, le parcours de l’étranglé sur les lieux, et quelques indices quant au bonhomme recherché.

Il fait le siège de la femme du diable, car il comprend vite que le dérangé du ciboulot est passé par là. Elle l’a vu en effet mais elle doit impérativement se taire.

Le Méphistophélès a contré la fraîchement épousée en lui brodant une histoire qui le disculpe. L’amour rend aveugle comme c’est répété dans le film. Elle prend sa défense et surtout respecte la consigne d’en dire le moins possible. Il faudra quand même songer à l’assassiner elle aussi.

Et bien évidemment l’angoisse monte chez tout le monde, y compris le spectateur qui marche à fond. Qui arrivera à temps ? Le méchant qui fera taire définitivement la belle innocente ? Les gentils qui vont la sauver et confondre l’abominable personnage ?

S’en suit une nouvelle poursuite très hitchcockienne dans le clocher d’une tour. A ceci près que Hitch n’utilisera le procédé qu’en 1958 dans Sueurs froides. C’est à dire 12 ans après Welles ! On tombe de haut… si j’ose dire.

Et c’est bien entendu l’ange de fer qui donnera le coup fatal. Un peu trop gros Monsieur Welles !

La prise de vue est pleine de clairs obscurs et de jeux d’ombre. C’est sa marque, cela frise l’expressionnisme allemand et ce n’est pas toujours judicieux à mon avis. Toujours cette tension et ces oppositions contrastées.

Le jeune Orson Welles en tant qu’acteur rend très bien cette sorte de banalité rusée du mal. Pour une fois il n’est pas trop théâtral. Le personnage est bien lissé pour passer inaperçu, mais toujours sur le qui vive. Et cette puissante énergie canalisée et sourde est vraiment palpable, sans qu’il y ait besoin d’éclats démonstratifs pour la démontrer. Il aurait pu être un bon acteur main-stream finalement, tout en conservant son originalité. Un deuxième Nicholson ?

La lucidité froide et chirurgicale semble être dans le caractère de l’auteur-interprète angoissé. Elle atteindra des sommets dans le très recommandable La Soif du mal (Touch of Evil) de 1958 – Pour tout dire son jeu n’a pas vieilli.


Cette personnalité envahissante est loin de nous à présent. On peut oser s’en approcher, c’est juste un sujet d’étude. Il n’est plus dangereux.

… et pourtant Welles détestait ce film, le pire selon lui. Il prétend qu’il n’était pas complètement de lui et qui n’aurait été qu’un gage au cinéma hollywoodien. En pleine déconfiture, il aurait eu besoin de démontrer qu’il pouvait aussi faire des longs métrages qui marchent. Mais peut on croire ce que dit Orson !

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Criminel

Orson Welles
Loretta Young
Edward G. Robinson

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